La France n'a pas besoin d'immigration et autres enseignements sur l’emploi que révèle l’étude de notre démographie à horizon 2030<!-- --> | Atlantico.fr
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La France a une démographie dynamique.
La France a une démographie dynamique.
©Reuters

Autosuffisance démographique

Selon une étude rendue au mois de juillet 2014 par le cabinet international de conseil en stratégie BCG, la France pourrait se trouver en pénurie de main-d’œuvre d'ici 2030. Une évolution que les démographes Gérard-François Dumont et Michèle Tribalat, interrogés par Atlantico, contestent formellement.

Gérard-François Dumont

Gérard-François Dumont

Gérard-François Dumont est géographe, économiste et démographe, professeur à l'université à Paris IV-Sorbonne, président de la revue Population & Avenir, auteur notamment de Populations et Territoires de France en 2030 (L’Harmattan), et de Géopolitique de l’Europe (Armand Colin).

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Michèle Tribalat

Michèle Tribalat

Michèle Tribalat est démographe, spécialisée dans le domaine de l'immigration. Elle a notamment écrit Assimilation : la fin du modèle français aux éditions du Toucan (2013). Son dernier ouvrage Immigration, idéologie et souci de la vérité vient d'être publié (éditions de l'Artilleur). Son site : www.micheletribalat.fr

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Atlantico : D’après une récente étude du Boston Consulting Group (lire ici en anglais), la France pourrait se retrouver en pénurie de main-d’œuvre, tous secteurs confondus, d’ici 2030. Vos analyses confirment-elles cette évolution ?

Gérard-François Dumont : La projection moyenne que nous pouvons faire aujourd’hui ne confirme absolument pas une telle évolution ; bien au contraire, elle laisse entrevoir une situation de la France assez atypique en Europe : elle est l’un des rares pays européens dont la population active devrait stagner voire légèrement augmenter, alors qu’elle diminuerait dans la plupart des autres pays européens à l’horizon 2030 (1) (les notes se trouvent en dernière page ndlr). Cette non diminution de la population active en France est essentiellement liée au fait que l’Hexagone a eu une fécondité qui a été supérieure d’environ 30 % à la moyenne de l’Europe ces trois dernières décennies, notamment sous l’effet de la politique familiale (2). La France est le pays de l’Union européenne comptant le plusgrand nombre de naissances, devant le Royaume-Uni (3). Le pays compte même chaque année environ 150 000 naissances de plus que l’Allemagne, pourtant nettement plus peuplée, et 250 000 de plus que l’Italie, qui est un pays pourtant guère moins peuplé que la France.

Donc, au point de vue purement comptable, la France ne devrait pas connaîtrede pénurie de main-d’œuvre puisque sa population active potentielle devrait demeurer du même ordre de grandeur qu’aujourd’hui à l’horizon 2030, soit environ 41 millions de 15-64 ans (tranche d’âge courante d’évaluation de la population active), alors que la population active potentielle de l’Allemagne, selon la projection moyenne, baisserait de près de 8 millions, de 54,6 millions en 2010 à 46,7 en 2030. Le véritable problème de la France est la faiblesse de son taux d’emploi, c’est-à-dire de la part de sa population active qui exerce un emploi. Plus précisément,cette faiblesse réside dans le faible taux d’emploi des jeunes et des séniors. La tranche d’âge du milieu de la population active, c’est-à-dire les 30-55 ans, compte un taux d’emploi qui n’est pas défavorable par rapport aux autres pays européens, et on observe même un taux d’emploi féminin dans cette tranche d’âge assez satisfaisant par rapport à nos partenaires européens. Autrement dit, si la France avait le taux d’emploi de l’Allemagne ou du Royaume-Uni, elle compterait aujourd’hui plus d’un million de personnes de plus ayant un emploi, soit autant de chômeurs en moins.

La France doit donc avoir pour principal souci d’améliorer le taux d’emploi de sa population active, surtout celui des jeunes et des seniors, alors que nombre de sesvoisins européens doivent, eux, faire face à une baisse pure et simple de leur population active d’ici 2030. Notons que, dans ces pays-là, la diminution de la population active, compte tenu deson intensité, peut difficilement être compensée par un simple repoussement de l’âge de départ à la retraite. En revanche, la France dispose notamment de deux importantes marges de manœuvre pour augmenter sa population active employable, d’une part en allongeant la durée d’activité professionnelle des seniors, d’autre part en facilitant l’entrée des jeunes dans la vie active.

D’aucuns pourraient rétorquer que repousser l’âge de départ à la retraite revient à repousser le problème de la baisse de la population active à plus tard…

Gérard-François Dumont : Augmenter l’âge de départ à la retraite ne repousse pas à plus tard le problème d’une éventuelle baisse de population active : compte tenu des logiques de longue durée de la démographie, les personnes entrant en âge d’activité de 2030 sont déjà toutes nées. Donc, sauf si ces dernières émigrent massivement à l’étranger ou sauf catastrophes (épidémies, guerres…), on connaît leurs effectifs et on peut en déduire qu’à l’horizon 2030, la population active de la France ne devrait pas connaître de diminution. Autrement dit, la France ne devant pas, selon la projection moyenne, enregistrer de diminution de sa population active, l’Hexagone n’a pas, sur le plan comptable, besoin de ce qu’on appelle des migrations de remplacement, contrairement à ce que l’on constate chez nos voisins allemands, autrichiens ou suisses.

Si, à la différence de l’Allemagne, la France n’a pas à s’inquiéter de sa capacité à pourvoir les emplois d’ici 2030, cela signifie-t-il que le pays n’est pas du tout dépendant de l’immigration ?

Gérard-François Dumont : D’un point de vue strictement économique, la France a toutefois deux raisons d’être ouverte à l’immigration.

Premièrement, il faut bien constater une faible appétence de nos nationaux pour un certain nombre de métiers. Beaucoup d’entreprises ne trouvant pas de main-d’œuvre en France – alors que cette dernière existe, au vu du taux de chômage – elles souhaitent que les portes de l’immigration restent ouvertes, car elles ont besoin d’employés, qu’il s’agisse de la restauration, d’un certain nombre d’activité saisonnières dans l’agriculture, ou encore du bâtiment. Si l’on encourageait davantage la formation professionnelle et la motivation à l’emploi en France, les effectifs de jeunes générations existant en France sont suffisants pour satisfaire les besoins de ces différents métiers.

Deuxièmement, la France se trouve, qu’elle le veuille ou non, dans une concurrence internationale pour attirer le meilleur capital humain pour améliorer sa compétitivité. La France, comme tout autre pays, a intérêt à être plus attractive en vue d’attirer des ingénieurs, des chercheurs et autres personnes hautement qualifiées venant de pays étrangers. Les États-Unis, depuis des années, ont créé la carte verte, un système qui permet d’attirer des gens compétents pour qu’ils créent des entreprises et concourent à la création de richesses. Une tentative similaire a été menée au sein de l’Union européenne sous la dénomination de "carte bleue" mais, pour le moment, le système n’est pas bien rodé et comporte des imperfections. Aussi très peu de personnes utilisent-elles cette procédure chaque année. Sous la présidence de Nicolas Sarkozy, une loi française a créé la carte "compétences et talents" pour attirer des gens de qualité en France, mais là aussi les résultats sont maigres, car il faudrait aussi leur offrir de meilleures conditions d’attractivité, comme un cadre fiscal et d’accueil qui les satisfasse. L’insuffisante attractivité de la France pour des personnes entreprenantes est bien mise en évidence au travers l’exemple de l’émigration à partir d’un certain nombre de pays du Sud : il y a trente ans, les Marocains les mieux formés ou les Sénégalais les plus entreprenants qui souhaitaient émigrer choisissaient majoritairement la France. Aujourd’hui, le Canada ou les Etats-Unis mènent des campagnes de recrutement auprès de ces Marocains pour les attirer. Et les Sénégalais les plus entreprenants ont tendance à choisir l’Amérique du Nord au détriment de la France (4). Ce sont autant de travailleurs étrangers qualifiés qui ne participent pas au développement de l’économie française.

Si plusieurs secteurs en France n’attirent pas suffisamment les travailleurs français, cela signifie-t-il qu’il faut revoir de fond en comble les politiques d’apprentissage et d’orientation ?

Gérard-François Dumont : La France est très faible dans ses politiques d’apprentissage et d’alternance. D’ailleurs les décisions prises ces dernières années ont entraîné une baisse de l’apprentissage, alors que, bien au contraire, il faut créer des conditions plus favorables. La France continue d’avoir une approche intellectualiste de la formation en considérant qu’un bac d’enseignement général est forcément mieux qu’un bac d’enseignement technique ou d’enseignement professionnel. Or en réalité, certains bacs d’enseignement technique ou professionnel peuvent être bien plus formateurs et intéressants pour les élèves que des bac d’enseignement général. Il faut donc bien plus encourager ces types d’enseignements et, en même temps, encourager davantage le jumelage entre lycées techniques et entreprises, notamment dans le cadre de l’apprentissage et de l’alternance.

Sait-on combien de Français aujourd’hui partent travailler à l’étranger, et comment le phénomène pourrait évoluer au cours des prochaines décennies ?

Gérard-François Dumont : Aujourd’hui, la France est un pays insuffisamment attractif pour ses propres ressortissants. Nous voyons donc des jeunes dont la France a financé l’éducation et la formation pour en faire des ingénieurs, des spécialistes financiers ou commerciaux, des techniciens de la restauration… qui sont attirés par des pays étrangers qui leur offrent un cadre réglementaire et fiscal, ainsi que des possibilités de promotion bien plus rapides. Notre système d’information démographique ne permet pas malheureusement de donner des chiffres précis sur ce sujet, mais il est incontestable que, chaque année, des dizaines de milliers de jeunes bénéficiant d’un diplôme qualifiant vont faire profiter de leurs compétences acquises des économies étrangères.

En l’état actuel, l’immigration pèse-t-elle sur l’emploi en France ? A l'inverse, dans quelles conditions le solde migratoire profite-t-il à l’économie, et donc à l’emploi ?

Gérard-François Dumont : On ne peut pas raisonner globalement. Certains immigrés, compte tenu de leur professionnalisme, quel que soit leur niveau de formation, ou de leur motivation à travailler, contribuent à l’économie française. D’autres ont plutôt tendance à peser sur le système français de protection sociale et accentuent, par exemple, les besoins en logement social. Pour illustrer cette dualité, considérons l’exemple des Britanniques venus s’installer en France dans des départements ruraux. Certains y déploient des activités créatrices de richesses et concourent à l’économie française.D’autres sont plutôt des bénéficiaires du système de protection sociale, par exemple à travers le RSA.

Dans quelle mesure la moindre augmentation de la populationde la France, et l’inflexion de la courbe dans l’ensemble de l’Europe, pourraient-elles peser sur l’économie française d’ici 2030, voire 2050 ?

Gérard-François Dumont : D’ici 2030, sauf catastrophes, le nombre d’habitants en France est appelé à augmenter dans la mesure où les générations précédentes ont été relativement nombreuses, créant des effets de vitesse acquis qui devraient donner un nombre de naissances continument supérieur à celui de décès, même si l’écart se réduit sous l’effet quasi-certain du vieillissement de la population (6) ou en raison du risque de la poursuite du rabotage de la politique familiale, risque accentué par le resserrement des budgets des collectivités territoriales qui exercent un rôle essentiel dans la politique familiale.

Cette augmentation projetée de la population de la France s’explique aussi par la poursuite probable de l’immigration. D’une part, sauf remise en cause – peu probable – du droit au regroupement familial, cette voie d’immigration – aujourd’hui la plus importante – devrait continuer. D’autre part, la France reste une très importante terre d’asile. Vu les conflits géopolitiques dans le monde, on a du mal à imaginer que l’immigration, ne serait-ce qu’en termes de droit d’asile, ne continue pas à être significative.

Néanmoins, l’économie française se trouve handicapée par l’évolution démographique négative de plusieurs pays européens. L’Allemagne, par exemple, est un grand client de l’économie française. Mais dans la mesure où, depuis une vingtaine d’années,sa population diminue, cela signifie que l’Allemagne compte moins de consommateurs que si sa fécondité avait été plus élevée, soit moins de clients potentiels pour l’économie française. Pour prendre seulement l’exemple du tourisme, l’Allemagne est le plus gros fournisseur de touristes en France avec 90 millions de nuitées par an, soit 15% des nuitées de touristes étrangers.Ceteris paribus, une diminution de la population de l’Allemagne signifie une baisse des nuitées d’Allemands en France.

Il ne faut donc pas se réjouir à l’idée de voir la population d’un certain nombre de pays européens diminuer, car ce sont autant de clients de la France qui disparaissent.

Quelles autres conséquences l’évolution de notre démographie à l’horizon 2030 aura-t-elle sur l’emploi ?

Gérard-François Dumont : Une conséquence essentielle de l’évolution de la population de la France à l’horizon 2030 est la nécessité de revoir la gestion des ressources humaines. Même si la population de la France est appelée à augmenter, il n’en reste pas moins qu’elle est vieillissante. Or ce vieillissement de la population totale implique également celui de la population active. Le pourcentage des 50-64 ans sera plus élevé que celui des 20-34 ans, ce qui suppose une adaptation en termes de gestion des ressources humaines, et la nécessité d’assurer une formation continue de populations actives plus âgées plus nombreuses. Aujourd’hui, l’entreprise peut se dire qu’une formation continue offerte à une personne de 35 ans sera rentabilisée, mais il faudrait désormais investir davantage en formation continue sur des actifs de 55 ans.

Une autre donnée des projections démographiques de la France à l’horizon 2030 à prendre en compte est celle des différences de composition par âge et de vieillissement selon les territoires (6). Entre Paris et certains départements ruraux, la disparité en termes de vieillissement pose, pour satisfaire de façon équitable les besoins des populations, des problèmes de péréquation difficile à mettre en œuvre.

Il est donc nécessaire d’anticiper une révision de nos systèmes de formation et de nos systèmes de protection sociale en fonction de l’évolution du vieillissement de nos populations. Parmi les mesures envisageables, je réitère ma proposition de transformer les actuels lycées de formation professionnelle en lycées de formation professionnelle initiale et continue selon un statut inspiré d’une logique de partenariat entre l’éducation nationale, les employeurs et les territoires. Il s’agirait de lycées dans lesquels on verrait se former des jeunes de 18 ans, mais aussi des personnes de 40 ans qui, du fait de la rapidité de l’évolution des technologies, doivent en permanence "se recycler". Or, la synergie entre un jeune qui se trouve en formation initiale et un adulte qui se trouve en formation continue est extrêmement favorable.

Le vieillissement de la population impliquant le développement de tout un ensemble de services, la France s’y prépare-t-elle comme il se doit ?

Gérard-François Dumont : La demande économique des consommateurs est le résultat de la combinaison des effets de génération, c’est-à-dire du comportement du consommateur lié à son année de naissance, donc la période historique où se déroule son existence, et des effets d’âge, qui impliquent des besoins différents selon que l’on a 25 ou 75 ans. L’économie doit s’adapter mieux à ce vieillissement de la population. Par exemple, la SNCF a une population de clients qui vieillit, ce qui implique que de plus en plus sont ou seront presbytes : elle devrait donc davantage adapter les billets de train et la signalétique dans les trains ou les gares. Le ministère des finances, quant à lui, devrait tenir compte dans ses envois de déclarations d’impôt – papier ou courriel – qu’il existe de plus en plus de personnes âgées qui ont besoin d’avoir une lecture plus aisée de documents pour lesquels ce ministère utilise aujourd’hui des corps fort petits.

Propos recueillis par Gilles Boutin

L'analyse détaillée de l'étude du Boston Consulting Group, par Michèle Tribalat :

Le Boston Consulting Group (BCG) a publié en juillet dernier un exercice de projection sur 25 pays, dont la France, pour examiner quels pourraient être les surplus ou déficits de main-d’œuvre d’ici 2030. La France pourrait ainsi, d’après lui, subir un léger déficit dès 2030.

Il convient d’examiner les hypothèses du BCG avant d’en tirer des conclusions hâtives et définitives. Le BCG a estimé la taille de la population active effectivement en emplois qu’il faudrait à ces 25 pays en 2030 si chacun d’entre eux voulait conserver la croissance du PIB connue au cours des dix (2003-2012) ou vingt (1993-2012) dernières années, avec une augmentation de la productivité à un rythme identique à celui de ces dix ou vingt dernières années.

Il a confronté cette estimation à l’offre d’emploi tirée des projections démographiques des Nations Unies, sous l’hypothèse d’un maintien des taux d’activité actuels. Les hypothèses démographiques des Nations unies reposent sur les données fournies par les pays. Pour la France, la migration projetée est sans doute plutôt faible car fondée sur les estimations effectuées par l’Insee du solde migratoire qui tourne, ces dernières années, autour de 40 000 par an et ne dit rien, rappelons-le, de l’immigration étrangère. En effet, ce solde fait la moyenne entre un solde négatif pour les natifs (beaucoup plus de sorties que d’entrées) et un solde positif pour les immigrés (beaucoup plus d’entrées que de sorties). Nous perdons des jeunes actifs et gagnons des immigrés à l’employabilité probablement plus faible.

Les hypothèses du BCG sont très conservatrices. Il projette, par exemple, une croissance de 1,8 % sur dix ans ou de 2,6 % sur 20 ans aux Etats-Unis, contre respectivement 1 % et 1,5 % en France. Ainsi, la crise économique connue récemment par l’Espagne est si sévère (sans toutefois lester trop fortement sa performance moyenne au cours des vingt dernières années) qu’elle la positionne en début de période avec gros sous-emploi. En dépit d’une fécondité très basse, elle ne connaîtrait donc pas de pénurie de main-d’œuvre en 2030, pour arriver à une croissance de 2,2 % sur 20 ans. Par contre, avec une croissance à 10 % au cours des vingt dernières années, la Chine pourrait être à court de main-d’œuvre, dès avant 2030,si elle cherche à maintenir le même rythme de croissance.

Les conclusions auxquelles parvient le BCG font donc l’hypothèse que les conditions du marché du travail ne changeront pas pour s’adapter aux évolutions démographiques. Pour échapper à ses propres prévisions, il propose d’agir sur différents leviers : âge de départ à la retraite, employabilité, taux d’activité des femmes, accroissement du temps de travail, productivité et politique migratoire.

Par ailleurs, contrairement à ce que postule le BCG, ce qui compte ce n’est pas tant la croissance du PIB en tant que telle que sa croissance par habitant. Des pays développés à la démographie déclinante ne peuvent espérer connaître un taux de croissance équivalent à ceux qui ont une démographie encore très dynamique. Cette démographie déclinante aura des effets importants sur la charge des personnes qui ne travaillent pas en raison du vieillissement. Il faut donc veiller à ce que cette charge ne s’accroisse pas  excessivement.

La France, pour l’instant au moins, connaît une démographie beaucoup plus dynamique que beaucoup de ses voisins, et notamment l’Allemagne dont la fécondité est très basse depuis 40 ans. Malgré une supériorité numérique globale de près de 17 millions, le nombre des moins de 20 ans y est aujourd’hui inférieur de 1,3 million à celui de la France. Les perspectives de vieillissement ne sont pas aussi terribles en France qu’en Allemagne. Cette dernière aura recours à l’immigration étrangère et à une intensification de la participation au marché du travail pour ne pas être écrasée par la charge du vieillissement. Avec ou sans migration, sa population d’âge actif, au sens actuel (15-64 ans), va diminuer considérablement, sauf à imaginer une immigration étrangère beaucoup plus massive. La version moyenne des projections de population d’Eurostat (l’institut de statistique de la Commission européenne) anticipe une diminution de 33 % à 44 % avec ou sans migration entre 2010 et 2060. Il en va tout autrement pour la France qui verrait sa population d’âge actif diminuer de seulement 8 % d’ici 2060 sans migration et légèrement augmenter avec migration.

En France, l’immigration n’a été et ne sera d’aucun secours si rien n’est fait pour améliorer les taux d’emploi de l’ensemble de la population. Il ne suffit pas, en effet, de maintenir une croissance démographique suffisante de la population en âge de travailler pour escompter maintenir ou améliorer les performances françaises. Je viens d’estimer l’apport démographique de l’immigration étrangère depuis 1960 jusqu’en 2011. En l’absence d’immigration étrangère depuis 1960, il manquerait 9,7 millions d’habitants en 2011. Si cet apport a un peu rajeuni la pyramide des âges, la prise en compte des taux d’emploi effectifs en 2011 modère grandement ce résultat. L’apport démographique de près de 10 millions de personnes en à peine plus de cinquante ans n’a pas amélioré le rapport de soutien réel en 2011, c’est-à-dire le nombre de personnes qui travaillent rapporté à celui des personnes qui ne travaillent pas, quelle qu’en soit la raison. Les taux d’emploi des personnes apportées par l’immigration étrangère sont trop bas pour contribuer à alléger la charge des personnes sans emploi. Il en va de même lorsqu’on examine les projections d’Eurostat 2010-2060 ou les projections françaises 2007-2060. Si l’on veut que le rapport de soutien réel ne se dégrade pas trop, il y a plus à attendre d’une amélioration de l’employabilité pour parvenir à des taux d’emploi rivalisant avec ceux du Nord de l’Europe que de l’immigration étrangère. C’est seulement à cette condition que l’immigration étrangère pourrait donner un léger coup de pouce. Aller répétant que l’immigration étrangère est la solution à nos problèmes c’est choisir, dans la palette de solutions proposées par le BCG,celle qui paraît la plus facile à court terme mais est au fond peu efficace et problématique à plus long terme. En effet toute solution aux problèmes de structure de la pyramide des âges par immigration suppose, à plus long terme, la perpétuation de cette immigration, car les populations apportées par l’immigration étrangère vieillissent elles-aussi. À très long terme, la planète ne suffirait pas à traiter les problèmes de vieillissement qui vont finir par toucher tous les pays.


(1) Cf. Dumont, Gérard-François, Verluise, Pierre,Géopolitique de l’Europe, Paris, Armand Colin/Sedes, 2014.

(2) Dumont, Gérard-François, "La fécondité en Europe : quelle influence de la politique familiale ?", Population & Avenir, n° 716, janvier-février 2014.

(3) Zouari, Ilyes, "France - Royaume-Uni : un match démographique très disputé", Population & Avenir, n° 717, mars-avril 2014.

(4) Kante, Seydou, Géopolitique de l’émigration sénégalaise en France et aux Etats-Unis, Paris, L’Harmattan, 2014.

(5) Dumont, Gérard-François et alii, Les territoires face au vieillissement en France et en Europe, Paris, Ellipses.

(6) Dumont, Gérard-François (direction), Populations et territoires de France en 2030, le scénario d’un futur choisi, Paris, L’Harmattan.

Pour lire le Hors-Série Atlantico, c'est ici : "France, encéphalogramme plat : Chronique d'une débâcle économique et politique"

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