La France des villes cassées : le vrai bilan de 30 ans de désindustrialisation<!-- --> | Atlantico.fr
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La désindustrialisation a un impact sur le territoire français.
La désindustrialisation a un impact sur le territoire français.
©Reuters

Ce qu’on perd en perdant l’industrie

La désindustrialisation a un impact sur le territoire français, de sorte qu'une fracture a tendance à se créer entre les métropoles qui ont su anticiper les changements en se spécialisant et les régions périphériques, isolées. Troisième épisode de notre série "Ce qu’on perd en perdant l’industrie".

Jean-Louis Levet

Jean-Louis Levet

Jean-Louis Levet est économiste.

Son dernier livre est Réindustrialisation j'écris ton nom, (Fondation Jean Jaurès, mars 2012).

Il est également l'auteur de Les Pratiques de l'Intelligence Economique : Dix cas d'entreprises paru chez Economica en 2008 et GDF-Suez, Arcelor, EADS, Pechiney... : Les dossiers noirs de la droite paru chez Jean-Claude Gawsewitch en 2007, et de Investir : une urgence absolue pour la France et l'Europe à télécharger chez la Fondation jean Jaurès (en libre téléchargement).

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Atlantico : Existe-t-il des disparités territoriales en France en matière de désindustrialisation ?

Jean-Louis Levet : il faut remette en perspective ce processus de désindustrialisation. L'industrie est revenue dans le débat public depuis le milieu des années 2000 avec le débat sur les délocalisations, et  l'État français a alors  encouragé en particulier la création de pôles de compétitivité, puis avec la crise financière de 2008, lorsque le pays s'est rendu compte que quand l'industrie se fragilise, c'est l'ensemble de notre potentiel économique qui se fragilise également. Ces deux effets ont montré qu'un pays sans industrie a du mal à se construire un avenir. Et c'est évidemment la même chose avec les régions.

Bien sûr, suivant le territoire, que vous soyez en Bretagne, en Lorraine ou en Rhône-Alpes, les activités – et donc l'impact de la désindustrialisation - seront différentes. Un territoire comme le Nord a joué un rôle très important dans la dynamique des première et deuxième révolutions industrielles. Mais cette région est un exemple de reconversion de son activité manufacturière, par exemple dans les transports. D'autres régions en revanche, comme la Bretagne avec l'agro-alimentaire, sont en train de changer de modèle économique. A Toulouse, l'aéronautique connaît un essor régulier depuis des années avec la croissance du trafic aérien.

A lire également dans la série "Ce qu’on perd en perdant l’industrie" :

>>> La désindustrialisation nous condamne-t-elle à vivre dans un désert d’innovations ?

>>> Pourquoi la désindustrialisation pourrait bien ne pas nous faire perdre que des usines mais aussi... la démocratie

La présence de telle ou telle industrie a donc un impact, voire des impacts sur le territoire sur lequel elle se situe. Cela signifie-t-il que, de facto, la désindustrialisation d'une région a obligatoirement une répercussion sur son territoire ?

Le territoire se transforme inévitablement avec la désindustrialisation lorsqu’elle a lieu mais cela dépend avant tout de la conception économique du territoire. Il y a deux types de conceptions :

Soit on considère que le territoire (quel que soit son périmètre) est une plate-forme offshore de la mondialisation et on instaure une concurrence terrible par le bas, par les coûts entre les territoires qui entraîne un nomadisme des entreprises et une précarisation des emplois. C'est ce qui s'est passé dans les années 90 quand l'ensemble de l'Europe a fait le choix du marché unique sans stratégie technologique et industrielle globale, ce qui a favorisé la délocalisation de certaines industries depuis certaines régions comme la Lorraine ou l'Alsace vers des pays à plus faibles coûts de production.

Soit on perçoit le territoire comme un espace collectif qui se construit. C'est le cas par exemple en Rhône-Alpes, où tout un ensemble d'acteurs de la production se mobilise autour de projets communs. La désindustrialisation se pose alors en termes de transition : il n’y pas de désindustrialisation à proprement parler, c’est-à-dire de pertes de substance en termes d’innovation et d’emplois, mais une transition à conduire et à maîtriser, c’est-à-dire passer d'un modèle économique à un autre. Ce qui n'a évidemment pas les mêmes conséquences sur le territoire.

Peut-on parler d'abandon de territoires dans le premier cas ? Est-ce qu'il y a de fait une sous-exploitation de certains territoires français du fait de la désindustrialisation ?

La fermeture de certaines entreprises, sans création d’autres opérateurs,  va forcément entraîner la destruction d'emplois. Quand on regarde l'ensemble de la carte européenne, on voit qu'il y a une concentration forte de population active  autour de certaines agglomérations. Cela crée une inégalité territoriale entre des centres dynamiques et des zones qui se retrouvent de plus en plus à la périphérie. Ce phénomène d'inégalité est croissant en France, comme de multiples travaux l’ont montré.

Cela se traduit évidemment par un taux de chômage plus fort dans certaines régions. Dans ces zones-là, l'emploi est moins durable, le revenu par habitant est moins important ou en tous cas plus inégalitaire entre les plus riches et les moins riches, l'accès au marché du travail est plus difficile pour les jeunes et pour les seniors, la précarité est plus importante et donc la mobilité est plus difficile pour les actifs, etc.

Est-ce que ce phénomène d'inégalité ne concerne que l'économie ? La désindustrialisation de certaines régions entraîne-t-elle une scission entre deux France ? En termes de sécurité par exemple, les atteintes à l'intégrité physique ont augmenté de 14,5 % dans le Bas-Rhin en 2012, de 2,6 % la même année dans le Haut-Rhin, de 6,9 % en Moselle...

De nombreuses études confirment la création d'une fracture entre certaines régions. Il y a des zones  qui ont une forte densité d'entreprises  comme les régions Midi-Pyrénées ou Rhône-Alpes, et d'autres où ce n'est pas le cas, comme la Lorraine par exemple qui fait de gros efforts pour recréer des dynamiques de développement endogène. D’un côté de grandes villes se métropolisent, se spécialisent dans des activités à forte valeur ajoutée, concentrent les principaux centres de décision économique et attirent ainsi des emplois très qualifiés ; c’est le cas de Paris, Lille, Bordeaux, Lyon, Nantes, Toulouse ou encore Grenoble. De l’autre, de plus en plus de Français touchés par les difficultés économiques et la précarité vivent au-delà des banlieues, dans des territoires périurbians, industriels (où le foncier est moins cher pour l’implantation de sites industriels) et ruraux. Cette "France périphérique" vit avec le lourd handicap d’être ainsi éloignée des marchés territoriaux de l’emploi.

Les inégalités entre territoires se retrouvent également au niveau culturel. Si la désindustrialisation s'accompagne d'un affaiblissement économique, une ville peu riche aura mécaniquement moins les moyens de développer toute une série de services (culture, aides à l’éducation, services à la personne, etc.).  Pareillement, la solidarité est moins facile dans ces zones. Les services publics peuvent être moins développés, notamment en termes sanitaires, et c'est évidemment le rôle des pouvoirs publics d'agir pour réduire ces inégalités au niveau national en favorisant en particulier le développement d’entreprises par une politique fiscale ambitieuse en faveur de l’investissement, une mobilisation des territoires par une évolution de la décentralisation, etc.

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