La France, cet enfer néo-libéral où le taux de prélèvements obligatoires vient de battre un nouveau record <!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron et Bruno Le Maire lors d'un sommet franco-britannique.
Emmanuel Macron et Bruno Le Maire lors d'un sommet franco-britannique.
©Emmanuel DUNAND / AFP

Alerte ironie triste

Malgré les multiples dérapages des comptes publics ou de notre déficit commercial, cela n’a pas empêché Bruno Le Maire de se livrer ce lundi à un exercice d’auto-satisfaction…

Alexis Karklins-Marchay

Alexis Karklins-Marchay

Alexis Karklins-Marchay est chargé d'enseignement en finance à l'ESCP et à l'université de Caroline du Nord (États-Unis). Franco-américain, Alexis Karklins-Marchay est diplômé de Paris-Dauphine. Il est l'auteur de plus d'une centaine d'articles de finance, d'histoire et d'économie ainsi que d'ouvrages de théorie économique et de littérature.

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Adélaïde Motte

Adélaïde Motte

Adélaïde Motte est journaliste à l'IREF. 

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Atlantico : Sur Twitter, Bruno Le Maire se félicite de la réduction du déficit public, passé sous la barre des 5% du PIB, à 4,7%.  “En 2022, grâce à une croissance solide et à de bonnes recettes fiscales notamment d’IS, le niveau de dette publique atteint 111,6 % du PIB, ce qui nous permet de respecter notre objectif de finances publiques avec un déficit qui s’établit sous les 5 %, à 4,7 %.”  Le gouvernement peut-il véritablement s’auto féliciter de ces résultats ? Au regard de la situation de notre déficit commercial et des multiples dérapages des comptes publics ces dernières années, la déclaration de Bruno Le Maire est-elle justifiée ?

Alexis Karklins-Marchay : C’est d’abord et avant tout de la communication, avec une volonté d’envoyer des éléments plus positifs, après des semaines difficiles. Je pense qu’il y a une ambition sincère à Bercy de revenir sur les déficits que l’on a connus et donc de faire des efforts, même si c’est impossible de le dire de la sorte car ce serait absolument inaudible. La question n’est pas tant de dire les choses que d’avoir les moyens de les faire. Et il n’est pas sûr qu’il y ait, à l’heure actuelle, une assise politique suffisante pour faire le nécessaire. On voit assez clairement, dans les chiffres de l’INSEE, un écart grandissant entre les recettes et les dépenses à partir de 1982. 

Adelaïde Motte : Tout d’abord, calculer le niveau de dette publique par rapport au PIB n’a pas grand sens, même si tout le monde admet cette mesure. Le PIB, ou produit intérieur brut, est la somme des valeurs ajoutées créées en un an. Autrement dit, la dette représente actuellement un peu plus que tout ce qui est produit en France. Or, ces productions ne sont pas nécessairement destinées à rembourser cette dette ! Si l’on ne peut pas forcément en vouloir à Bruno Le Maire d’utiliser une mesure qui, pour être absurde, n’en est pas moins répandue, il n’y a vraiment pas lieu de se féliciter de devoir à peine plus que ce que toutes les entreprises françaises produisent. Les deux champs observés ne sont pas sur le même plan.

On peut en revanche en vouloir au ministre d’éviter des informations autrement plus préoccupantes. Le déficit commercial est de plus de 160 milliards d’euros en 2022. On peut arguer que la guerre entre l’Ukraine et la Russie ont mis les entreprises françaises en difficulté, sans parler de la crise de l’énergie. On peut aussi remarquer que notre balance commerciale est déficitaire depuis quinze ans, exceptions faites de 2019 et 2021. Ces mauvais résultats sont, entre autres, le fruit de matraquages fiscal et réglementaire incessants qui empêchent nos entreprises d’être compétitives, et accessoirement d’embaucher.

Nous sommes en déficit constant depuis 1975. L’aggravation du problème vient notamment du poids des retraites. Les retraites créent des déficits qu’on ne pourra pas résorber sans mesures fortes. Le déficit recule effectivement un peu, mais il n’y a pas de trajectoire pour la suite. Nous avons perdu toute capacité et toute crédibilité sur notre capacité réelle à réduire les déficits. L’amélioration constatée est en partie liée au soutien public. Nous avons fait le choix de dépenser pour maintenir l’emploi et l’activité en temps de crise. Mais quelle est la pérennité de ce genre de démarches ?

Alexis Karklins-Marchay : Et comment faisons-nous, lorsque la situation s’améliore, pour revenir à l’équilibre budgétaire. Les Pays-Bas, ou d’autres pays nordiques, sont capables de dépenser ce qui est nécessaire en temps de crise mais savent aussi réguler la situation lors de moment d’expansion. Ma crainte, c’est que nous soyons dans un moment de raccourcissement entre les phases de crise et que nous n’arrivions pas à réduire le déficit budgétaire dans les moments où nous devrions le pouvoir. Cela signifie un creusement de la dette, ce qui était moins problématique quand les taux d’intérêts étaient vraiment bas. Mais avec la remontée des taux, le coût de la future dette pourrait s’avérer très élevé. Il y a peu d’indicateurs positifs dans l’économie française actuellement, exception faite du taux d’emploi et du taux de chômage qui ont évolué favorablement. Mais il ne faut pas oublier qu’on part de très haut.

Dans le même temps, et malgré les baisses d'impôts décidées par le chef de l’Etat, le taux de prélèvements obligatoires en France a atteint un niveau record. Comment l’expliquer ? 

Alexis Karklins-Marchay : Le problème est qu’on a beau baisser tel ou tel impôt, cela peut être compensé par d’autres hausses. Et les baisses se révèlent marginales. On a supprimé l’ISF mais on a mis l’IFI. Nous n’avons pas connu la grande révolution fiscale dont nous avons besoin. Et pour cause, ce n’est pas facile. C’est aussi le fruit de rentrées fiscales qui sont plutôt bonnes. L’activité française s’est bien maintenue. Et ce n’est pas parce qu’on supprime une taxe que, en valeur, les quantités imposées vont diminuer, si l’entreprise fait plus de bénéfices par exemple. Tant mieux pour nos recettes, mais cela nous détourne du vrai problème qu’est la nécessaire réforme fiscale. Dans une récente tribune aux Echos, Xavier Jaravel s’intéresse au taux maximum d’imposition du travail et du capital. Sa conclusion est que, sur ces deux facteurs, la France est confrontée aujourd’hui à des taux d’imposition maximums et que s’ils augmentent les rentrées fiscales ne peuvent que baisser.

Adelaïde Motte : Si nos dirigeants ont annoncé en grande pompe quelques baisses d’impôts, ils ont aussi, et surtout, alourdit d’autres prélèvements. Le tour n’est pas difficile étant donnée la masse de taxes, cotisations et impôts en tous genres que les ménages et entreprises doivent payer. Ainsi, le projet de budget 2023 prévoyait une augmentation de la taxe foncière de 7%, après la suppression de la taxe d’habitation sur les résidences principales. Au lieu de quelques impôts lisibles et logiques, la fiscalité française est un labyrinthe de vases communicants où nos dirigeants ont beau jeu de réduire ici pour augmenter là. Résultats, en 2022, les prélèvements obligatoires atteignent 45,2% de ce fameux PIB auquel le gouvernement compare sa dette. C’est le taux le plus haut de la Ve République.

Ces prélèvements obligatoires importants sont-ils justifiés ? La dépense publique française, notamment financée par ces prélèvements obligatoires, est-elle efficace ?  Les exemples européens ne montrent-ils pas qu’une meilleure allocation des ressources est possible ?

Alexis Karklins-Marchay : La réponse est non. On peut avoir des taux de prélèvements obligatoires importants – c’est le cas des pays nordiques, notamment le Danemark et la Finlande – c’est un choix citoyen qui dépend de l’attachement à un modèle social redistributif. Mais la grande spécificité française c’est d’avoir fait le double choix de prélèvements obligatoires élevées et de dépenses publiques encore plus élevées. Avec une incapacité à revenir à l’équilibre quasi unique au monde.

En tout cas, ces données cassent le discours puéril, infantilisant et erroné qui consiste à dire que la France subit l’austérité depuis 40 ans. Il y a bien eu des mesures d’austérité dans certains domaines, mais en matière de gestion générale de la dépense publique la France  n’a connu ni austérité ni rigueur.

On voit bien aujourd’hui que le modèle français est inefficace. Il a un vrai coût et pourtant, il y a des crises dans tous les secteurs : hôpital public, éducation, justice, police, etc. Nous sommes arrivés au bout d’un système.

Adelaïde Motte : Tout dirigeant devrait, devant chaque impôt, se demander si cet argent reviendra au contribuable qui l’a payé, sous une forme qu’il n’aurait pas pu obtenir par lui-même. Dans le cas de la santé par exemple, l’Etat ne devrait prélever des cotisations que s’il est sûr que celui qui la paie aura ainsi une meilleure couverture que celle à laquelle il aurait pu prétendre seul. Or, nos services publics, qu’il s’agisse de la justice, de la police, de la santé, de l’éducation ou de l’offre de transports, sont rarement satisfaisants. Les finances de l’Etat français sont trop dispersées. De plus, les services publics sont peu adaptables aux évolutions de la société à cause du statut de la fonction publique. Les exemples de gestion plus saine ne manquent pourtant pas, que ce soit en Allemagne, où le système de santé est plus flexible, ou dans les pays scandinaves, où le secteur de l’éducation est plus libre.

On entend souvent critiquer le "néo-libéralisme" à la française mais est-ce une incompréhension de la manière dont fonctionne le pays ? 

Alexis Karklins-Marchay : Absolument. Compte tenu du taux de prélèvements obligatoires, du rôle de l’Etat dans l’économie et du taux de dépense publique, cela devient difficile de parler d’un pays néo-libéral. Certains ont pratiqué un glissement sémantique pour évoquer l’inclusion de la France dans la mondialisation et le libre-échange. La France a plutôt tendance à casser les jambes des entreprises avant de lui donner des béquilles pour marcher.

Adelaïde Motte : On aime ajouter le préfixe « néo » à des concepts que l’on rejette sans pour autant les connaître. Cela permet de faire croire à son interlocuteur qu’il connaît moins bien ce concept que nous. Le néo-libéralisme est une invention de cet ordre. Le libéralisme en revanche existe. Il implique notamment un Etat dont les responsabilités sont réduites au régalien, avec des dépenses publiques faibles et des impôts à l’avenant. Considérer que la France suit la voie du néo-libéralisme voudrait dire que ce concept se satisfait de prélèvements obligatoires représentant la moitié des richesses produites, d’une dette supérieure à l’ensemble des valeurs produites et de dépenses publiques représentant près de 60% du PIB. Ces faits montrent un Etat obèse et s’accommodent assez mal du libéralisme.

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