La "folie du drive" va-t-elle américaniser notre mode de consommation ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le secteur de la grande distribution se met lui aussi au drive et pourrait ainsi changer nos modes de consommation.
Le secteur de la grande distribution se met lui aussi au drive et pourrait ainsi changer nos modes de consommation.
©Reuters

Sur place ou à emporter ?

Après le fast-food, c'est le secteur de la grande distribution qui se met au "drive". Simple gain de temps ou changement fondamental de nos habitudes de consommation ?

Patrice Duchemin

Patrice Duchemin

Sociologue de la consommation, enseignant au Celsa et à l'Iscom, rédacteur de l'Oeil LaSer:  www.oeil-laser.com

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Atlantico : Le géant du fast-food McDonald’s déplace certains de ses restaurants, en réponse au changement d'habitudes de consommation de ses clients, avec en particulier le succès du drive. Plusieurs chaînes de distribution ont également opté pour le drive (Chronodrive, Carrefour drive, etc). Comment expliquer le développement de ce service ?

Patrice Duchemin : Il ne faut pas confondre le drive chez McDonald's et le drive en grande surface. Je ne pense pas que McDonald's se développe dans le drive, la chaîne se dirige plutôt vers un système de service à table, où un employé apporte la commande directement au client déjà installé.

Le drive développé par Auchan, puis repris par Leclerc et Carrefour, correspond simplement à la volonté des enseignes de simplifier la vie de leurs clients. Le drive est le chainon manquant entre Internet et le réel. Jusqu'à présent, vous aviez deux possibilités : prendre votre voiture pour aller au supermarché, ou aller sur Internet. Le drive se place entre les deux, puisque vous commandez sur le net et allez au supermarché pour qu'on vous charge votre coffre

Derrière tout ça, il y a l'idée que les consommateurs sont de moins en moins disposés à perdre leur temps : prendre leur voiture, se garer sur un parking, faire la queue à la caisse... Ou perdre leur temps à attendre un livreur quand ils commandent sur Internet.

Peut-on voir émerger plus de concept drive, comme les banques, les pharmacies ou la Poste ?

Ca serait difficile pour les banques, car de l'argent est manipulé. Par contre, il me semble que ça existe déjà dans certaines pharmacies : vous passez votre commande et elle est prête à votre arrivée.

En fait, le problème du drive concerne sa rentabilité. Quand vous allez dans un magasin avec la volonté d'acheter cinq produits, vous en sortez souvent avec une quinzaine. Le fait de vous balader dans les rayons vous donne des idées. Le panier moyen est donc supérieur dans les magasins en dur que sur Internet, où on achète surtout des produits essentiels. Avec le drive, les enseignes perdent les achats dits « de plaisir ». Je pense donc que le modèle du drive dans les grandes enseignes n'est pas rentable, même s'il est bon pour l'image et donne un côté moderne. Il ne faut pas imaginer que le drive soit la panacée, pour cette raison de rentabilité.

Outre l'absence d'achats de plaisir, le drive modifie-t-il les habitudes d'achat ?

Oui, mais ce n'est pas seulement lié au drive, c'est aussi à cause des achats sur Internet. Il y a dix ans, quand vous vouliez un livre, vous alliez chez un libraire et feuilletiez les ouvrages. Aujourd'hui, lorsque vous allez sur Amazon, vous savez précisément ce que vous voulez commander. Il n'y a plus l'expérience de feuilleter et de comparer, ce qui pouvait modifier l'acte d'achat.

Plus le commerce virtuel se développe, plus le commerce en dur est obligé d'évoluer. On voit ainsi se développer dans certains magasins la présence de tablettes tactiles, ce qui permet au vendeur de connaître votre historique d'achat, de vous informer sur les marques que vous aimez, etc. Il ne faut donc pas opposer le physique et le virtuel, mais faire en sorte de concilier les deux.

Tout cela c'est une logique d'offre, pas de demande. Le consommateur n'a rien demandé. On lui propose un nouveau service, et s'il le trouve intéressant, il l'adopte. Les gens n'ont pas décidé un beau matin d'exiger des drives. D'ailleurs, quand Auchan a lancé Chronodrive, c'était totalement expérimental, dans le département du Nord. Je suis presque convaincu qu'ils ne s'attendaient pas à un tel succès. Ils se sont ensuite rendu compte que ça répondait aux attentes du consommateur. Des attentes que le client n'arrive pas à formuler a priori.

Mais le drive à un coût : il faut des entrepôts, du personnel qui fait vos cartons en one-to-one. Il y a un employé dont le travail est de lire votre liste et de faire vos courses. Ce n'est pas plus épanouissant que le métier de caissière, et ça coûte de l'argent pour les entreprises.

Concernant la restauration, la France a une tradition hédoniste, où il s'agit de prendre son temps. Le développement des drives montre-t-il une américanisation de notre mode de consommation ?

Je pense que c'est un faux rapprochement. Le drive dans les fast-foods s'est développé aux Etats-Unis car les villes sont grandes et les gens se déplacent en voiture. En France, les gens vont de moins en moins au supermarché en voiture, alors pourquoi la prendraient-ils pour aller au McDo ? L'enseigne en propose, mais on ne peut donc pas dire que le drive est le futur du fast-food. On ne peut pas non plus dire que ça va à l'encontre de la restauration traditionnelle, puisqu'ils ne s'opposent pas : ce sont simplement deux moments de consommation différents.

C'est simplement une question de service rendu. Si vous êtes pressé et en voiture, vous irez au drive, mais sinon vous pourrez très bien avoir envie de vous poser dans le restaurant. Il n'y a pas d'un côté les condamnés au drive et de l'autre les gens qui passent trois heures à table.

Mais il est difficile de faire le rapprochement entre le drive des fast-foods et celui des grandes surfaces. Le drive du McDo consiste à rajouter un service dans la palette des services disponibles, au même titre que les animations pour un anniversaire, par exemple ; alors que le drive d'Auchan est plus fondamental et correspond à une manière de rattraper les consommateurs qui seraient tentés d'aller sur le net. Ce sont donc deux concepts différents. D'autant que je n'ai trouvé que le drive de chez McDo soit lié à son succès. D'ailleurs, ils ne parlent jamais du drive : il n'y a pas eu de campagne de publicité pour dire « le drive, c'est moderne, ça vous fait gagner du temps », contrairement à ceux des grandes surfaces.

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