La Finlande se donne un Premier ministre ancien patron : les entrepreneurs sont-ils une solution en politique ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le prochain Premier ministre de Finlande devrait être Juha Sipila, ici en illustration.
Le prochain Premier ministre de Finlande devrait être Juha Sipila, ici en illustration.
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Bon courage

Alors que l'opposition a remporté les élections en Finlande la semaine dernière, le prochain Premier ministre devrait être Juha Sipila, un ancien homme d'affaires reconverti en politique. Mais les bons entrepreneurs ne font pas forcément - et même rarement ! - de bons hommes politiques.

Philippe Crevel

Philippe Crevel

Philippe Crevel est économiste, directeur du Cercle de l’Épargne et directeur associé de Lorello Ecodata, société d'études et de conseils en stratégies économiques.

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Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Atlantico : Alors que l'opposition a remporté les élections en Finlande la semaine dernière, le prochain Premier ministre devrait être Juha Sipala, un ancien homme d'affaires reconverti en politique. Mis à part Thaksin Shinawatra en Thaïlande, il devrait être le premier entrepreneur à diriger une des 100 premières économies mondiales. Quels pourraient être les avantages à voir des entrepreneurs entrer en politique ?

Jean Petaux : Le sens commun (le « bon sens populaire ») peut penser facilement qu’il peut être de bonne politique qu’un leader économique prenne des responsabilités politiques. En 1961, John F. Kennedy a choisi Robert McNamara comme secrétaire à la Défense des Etats-Unis au motif qu’il était à 44 ans le président de Ford Motor Company (le premier président de Ford qui n’était pas héritier de la famille) et comme il dirigeait une entreprise de plusieurs dizaines de milliers de salariés il allait être « forcément » un excellent « ministre de la Défense » des USA, autre grande « compagnie » forte de centaines de milliers d’hommes. On a vu le résultat : la désastreuse guerre du Vietnam que Mc Namara eut à gérer sous Kennedy et Johnson !... Clémenceau, qui n’y allait pas par quatre chemins en matière de gouvernement disait : « Si vous voulez perdre une guerre, nommez un général à la tête du ministère des Armées ». Il faut dire que le général Boulanger (qui n’a pas eu l’occasion de perdre une guerre mais qui a juste perdu la vie en se suicidant sur la tombe de sa maitresse « comme un sous-lieutenant » dixit Clémenceau encore) avait suffisamment montré, à l’époque, le ridicule de la confusion des rôles entre militaire et civil. En d’autres termes : le fossé est souvent profond entre des professionnels dans telle ou telle activité (la santé, l’armée, les finances, la police) et la responsabilité politique qui est liée à l’art de gouverner dans l’une ou l’autre de ces activités.

Philippe Crevel : Les chefs d’entreprise qui ont réussi dans le monde des affaires peuvent-ils devenir de bons hommes politiques ? Peuvent-ils transposer leurs méthodes, avec efficience, aux administrations publiques ? C’est tentant mais il faut avouer que les expériences passées ne militent pas toujours en faveur de ce type de mercato.

Pourtant le chef des entreprises pourraient avoir quelques atouts dans sa manche. En règle générale, il sait monter des projets, rassembler des énergies autour de lui, conduire des process de changement et gérer dans l’intérêt de son entreprise. L’arrivée d’entrepreneurs dans le cénacle politique serait un gage de renouvellement. Aujourd’hui, la politique est avant tout la chose des fonctionnaires, des apparatchiks et des professions libérales. Les salariés du privé et les chefs d’entreprises sont sous-représentés. La loi est avant tout enfantée par la sphère publique à son profit et bien souvent au détriment du monde des entreprises et en particulier du monde des PME.

Une expérience en matière de gestion d'entreprise peut-elle se transposer en politique ?

Jean Petaux : Tout est transposable dès lors qu’il s’agit d’expériences acquises. Il n’y a, heureusement, aucune contradiction entre la gestion d’une entreprise et l’exercice du pouvoir politique. Mais il n’y a pas, non plus, de « prédestination » à réussir en la matière. Par quel type de raisonnement peut-on croire qu’il y aurait comme une forme de « garantie de bonne fin » pour qu’un excellent patron devienne un « grand » politique ? Il faut, pour croire cela, être déjà sensible à l’idéologie libérale et adhérer aux vertus de l’entrepreneuriat. Si on considère qu’un Etat ou une collectivité publique doivent être dirigées comme une entreprise privée cela signifie qu’on est favorable à une prééminence du privé sur le public. Autrement dit il suffira d’appliquer les règles en vigueur dans le secteur privé et concurrentiel pour faire excellemment le « bien public ». Le deuxième argument qui va être évoqué et mis en avant est celui qui renvoie à « l’esprit d’entreprendre ». Comme le patron (plus d’ailleurs dans l’éthique protestante, nous montre fort bien Max Weber que chez les catholiques latins, plus portés sur la rente et la jouissance) cherche à accroître ses profits en développant son entreprise, le « politique-patron » va chercher à développer son pays en prônant une politique économique audacieuse et expansionniste. Là encore on conviendra qu’on est plus dans le registre du présupposé que dans celui de la réalité observée.

Philippe Crevel : Malheureusement, les deux univers obéissent à des règles différentes. Ce n’est pas parce qu’un chef d’entreprise a bien réussi dans ses affaires qu’il sera un bon responsable politique. Il y a un risque évident qu’il continue à faire des affaires comme l’a prouvé Berlusconi en Italie. Gérer son entreprise même si elle est de grande taille et être à la tête d’un ministère ou d’un Gouvernement, ce n’est pas comparable. Dans le premier cas, le patron conduit sa barque dans le cadre fixé par les actionnaires. Il doit veiller à développer l’outil de production en garantissant les intérêts des actionnaires. Pour cela, il doit veiller à obtenir la mobilisation de tous ses salariés. En politique, le juge est l’électeur. Par ailleurs, compte tenu des masses en jeu et des objectifs assignés, l’ennemi est le temps. Tout gouvernement doit faire face à une série d’élections, quand une politique économique, pour avoir des effets nécessite de nombreux mois voire plusieurs années. Le politique est en permanence sous pression médiatique et électorale. La forme l’emporte sur le fond.

Si les entrepreneurs pourraient effectivement apporter des compétences en micro-économie, leur compréhension des mécanismes macro-économiques est-elle suffisante ?

Jean Petaux : Cette question est à peu près la même que celle-ci : « Si les sexologues pourraient effectivement apporter des compétences dans la recherche du point G, leur compréhension des mécanismes de l’orgasme féminin en feraient-elle les meilleurs « coups » de la planète ? ». N’ayant pas le début du commencement d’une expérience en la matière, je suis assez mal placé pour apporter le commencement du début d’une réponse mais on pourra raisonnablement considérer que 1) si c’était le cas, cela se saurait et que 2) si c’était le cas, les files d’attente devant leurs cabinets seraient sans doute assez longues, donc cela se verrait également…

Philippe Crevel : Un Ministre, et surtout un Premier Ministre, a comme mission d’arbitrer, de prendre la moins mauvaise décision sur des sujets qu’il ne maîtrise pas obligatoirement. C’est la rapidité et la préparation des dossiers par les équipes en amont qui font la différence. Ainsi, Jean-Pierre Raffarin, Premier Ministre, pouvait être amené à cesser affaires tenantes une réunion interministérielle sur la réformes de l’assurance-maladie afin de réunir un comité de sécurité civile pour savoir s’il fallait évacuer un quartier d’une petite ville menacée par un feu de forêt.

Au-delà de la méconnaissance de la macro-économie, c’est surtout la mauvaise connaissance des rouages administratifs qui peut handicaper l’entrepreneur en politique. Les grands équilibres économiques peuvent rapidement être intégrés ; il est plus difficile d’apprécier les rapports de forces administratifs tout comme il n’est pas aisé d’être un spécialiste de la négociation au niveau étatique. Négocier au niveau de son entreprise ou de sa branche professionnelle, c’est une chose ; être un renard de la négociation à haut niveau en est une autre.

Denis Payre, fondateur de la plateforme de logistique Kiala, s'est lancé en politique avec des résultats mitigés. D'autres avant lui se sont-ils laissé tenter  par l'aventure ? Avec quel succès ?

Jean Petaux : Il faut bien l’avouer, le passage de l’économique au politique s’est souvent révélé très compliqué voire catastrophique pour ceux qui s’y sont essayés. Mais il faut, me semble-t-il, considérer plusieurs situations très différentes entre elles, tout simplement parce qu’il existe plusieurs catégories de dirigeants d’entreprise.

Il y a d’abord le « grand patron », le « capitaine d’industrie » qui a fondé son entreprise et qui l’a portée au plus haut dans l’excellence et qui « entre » en politique comme on se fait élire à l’Académie française. Exemple type du genre : Marcel Dassault. Pendant toute une première partie de sa vie (quand il s’appelle Bloch d’ailleurs), Dassault ne « fait » pas de politique au sens où il ne cherche pas à se faire élire. Sa première élection à la députation date de 1951, il ne cessera plus alors d’être parlementaire. Mais il ne fut jamais ministre et n’occupa aucune responsabilité politique d’envergure dans le parti gaulliste dont il était membre.

Autre exemple dans le même registre : Robert Hersant. Grand patron de presse, surnommé le « Papivore » quand il rachète l’illustre « Figaro » et le moribond « Aurore » et nombre de quotidiens régionaux et, parallèlement, député de 1956 à 1988 (avec une interruption de 8 ans entre 1978 et 1986) en ayant fréquenté à peu près tous les groupes politiques du Palais Bourbon hormis le PCF puisqu’il était tout aussi sûrement anti-communiste qu’il avait été condamné à dix ans d’indignité nationale consécutivement à sa conduite pendant la Seconde Guerre mondiale…

Troisième exemple : dans le camp politique opposé : Jean-Baptiste Doumeng surnommé le « milliardaire rouge ». A sa mort, en 1987, son groupe agro-alimentaire, Interagra, pèse l’équivalent de 4,5 milliards d’euros. Membre du Parti Communiste jusqu’à sa disparition, maire communiste de Noe (Haute-Garonne) et conseiller général communiste du canton de Carbonne, il ne fut jamais élu parlementaire mais fut un extraordinaire entrepreneur qui passait pour un membre du Parti Communiste français d’autant plus influent qu’il avait la liaison directe avec Moscou au plus beau temps de la guerre froide. Son engagement communiste datait de la Résistance, il ne se démentit jamais. Pour le coup cela ne l’a pas empêché d’être un formidable entrepreneur.

Il y aussi l’ancien « haut fonctionnaire » qui, ayant servi dans le public, est allé « pantoufler » dans le privé. Par exemple Francis Mer. Polytechnicien, ingénieur des mines, entré à Saint-Gobain en 1970 il devient le patron d’Usinor-Sacilor tantôt nationalisé tantôt privatisé. C’est un grand entrepreneur mais il n’est pas propriétaire de son entreprise. En revanche en 2002, Jean-Pierre Raffarin, lui-même issu de l’entreprise privée (Ecole Supérieure de Commerce de Paris puis la maison de café « Jacques-Vabre »), décide comme Premier ministre de faire venir au gouvernement des représentants de la « société civile »… Francis Mer devient ainsi ministre de l’Economie et des Finances. Il ne va absolument pas s’adapter à cette fonction ministérielle et fera, de lui-même, le constat que la greffe n’a jamais pris avec la citadelle de Bercy : 22 mois plus tard il fait ses cartons, remplacé par… Nicolas Sarkozy.

Autre exemple, toujours dans le monde du « capitaine d’entreprise » qui ne passe pas dans les circuits ministériels alors qu’il a plutôt bien réussi dans son métier de grand patron : Christian Blanc. Patron emblématique d’Air France, considéré comme le sauveur de la compagnie aérienne nationale. Alors qu’il connaissait bien les rouages politico-administratifs, lorsqu’il est nommé Secrétaire d’Etat au « Grand Paris » (titre ridicule) il est tellement « grillé » au bout de quelques mois que son parcours ministériel va se terminer dans les colonnes du « Canard Enchainé » pour une sombre histoire de « Havanes » achetés sur le budget de son ministère… « Ridicule » vous dit-on…

Troisième exemple de fiasco ministériel dans lequel va s’embourber un autre grand patron d’industrie : Thierry Breton. Patron de Thomson (1997-2002) et de France Télécom (2002-2005), il s’est forgé une solide réputation de « redresseur d’entreprises » en difficulté et « d’entrepreneur stratège ». Lui aussi, comme Christian Blanc, connait bien la machine politico-administrative même s’il n’appartient pas à un « grand corps » (il est sorti d’une école d’ingénieurs qui n’est pas « prestigieuse » : Supélec, même si elle a une excellente réputation) puisqu’il a été dans plusieurs cabinets ministériels (Balladur, Monory). Il est nommé en 2005 ministre de l’Economie, des Finances et de l’Industrie en remplacement d’Hervé Gaymard remercié. Mais son passage à Bercy ne va durer que 27 mois, interrompu il est vrai par l’élection présidentielle de 2007 mais en tout état de cause il ne retrouvera pas de portefeuille ministériel sous l’ère Sarkozy. Il quittera même la France en juillet 2007 pour aller enseigner à la Harvard Business School.

Philippe Crevel : La France est un pays éminemment politique. Il n’est pas rare que les entrepreneurs aient la tentation de franchir la frontière. Jacques Calvet, ancien PDG de PSA y avait pensé avant d’abandonner. D’autres ont décidé d’être ministre comme Francis Mer ou Thierry Breton ou Bernard Tapie. Dans ce dernier cas, l’homme d’affaires et l’homme politique ne faisaient qu’un et cela dès le départ. Il était avant tout un homme publique…

Le résultat est assez décevant car les dirigeants d’entreprise perdent vite patience face à l’inertie du système, face aux multiples interférences du jeu politico-administratif. Dans leur entreprise, ils sont des seigneurs, des rois éclairés autour desquels tout s’organise. En politique, le combat est incessant, les positions incertaines et les chausse-trappes permanentes. Francis Mer, excellent PDG d’Usinor-Sacilor, patron de Safran, n’arriva pas à s’imposer à Bercy car il ne savait pas défendre les intérêts de ses directions. Il perdait trop vite pied dans les réunions interministérielles où il faut savoir réaliser des concessions et revenir à la charge durant des heures. 

Quelle culture politique possèdent généralement les entrepreneurs, comme les personnes issues de la société civile en général ?

Jean Petaux : Aucune. Ou très faible… Pas d’apprentissage long, patient, tenant du rituel initiatique dans les rangs d’un parti politique où, à l’identique des loges maçonniques, on apprend d’abord à se taire et à écouter pendant plusieurs mois voire années avant de prétendre prendre la parole. Pas d’historicité des mouvements sociaux. Pas de colonne vertébrale idéologique. Les personnes issues de la société civile en politique sont à peu près aussi dégourdies qu’une poule devant un couteau ou qu’un jeune soldat découvrant, jadis, les « à-côtés » du service militaire et parfaitement dépeint par Jacques Brel dans la chanson « Au suivant ».

Quelques exemples. 1981 : le navigateur Alain Bombard entre au gouvernement « Mauroy I ». Comme il a déjà commis en 30 jours plus de bourdes que ce à quoi l’autorise sa ligne de crédit ministérielle, il est sorti au bout d’un mois. Il a, entre autres idées lumineuses, demandé l’interdiction de la chasse à courre… Ce n’était d’ailleurs qu’à moitié un représentant de la société civile. On l’avait vu en photo sur une des « grandes affiches » de la campagne présidentielle de François Mitterrand et il était conseiller général de Six-Fours les Plages depuis deux ans. Autre figure de la société civile que l’on voit aussi pendant la campagne présidentielle de Mitterrand en 1981 : le vulcanologue Haroun Tazieff. Il va être un éphémère secrétaire d’Etat chargé de la prévention des risques technologiques et naturels de 1984 à 1986…

Mais le plus beau, si l’on peut dire, reste le professeur Léon Schwartzenberg. En 1988, dans le gouvernement Rocard, il hérite du portefeuille de ministre délégué à Santé. Il est présenté comme le « pur » représentant de la société civile. Sa notoriété est grande. Il a publié en 1997 un livre qui a connu un énorme succès de librairie : « Changez la mort » avec le grand éditorialiste du « Monde », Pierre Viansson-Ponté. C’est le mari d’une célèbre actrice très connue et populaire, Marina Vlady. Bref : la très « bonne prise de guerre » pour un gouvernement soucieux de se montrer « différent ». Nommé le 29 juin 1988 il est limogé le 7 juillet pour avoir demandé la légalisation du cannabis et sa vente sous contrôle de l’Etat… 9 jours !...  Seul Thomas Thévenoud (qui était tout quant à lui, sauf issu de la « société civile » : pur apparatchik socialiste à l’inverse) est parvenu en 2014 à égaler le record du célèbre cancérologue que Pierre Desproges aimait à brocarder. On pourrait aussi ajouter à cette liste catastrophique le cas du philosophe très connu et coutumier des salons parisiens, Luc Ferry, dont le passage à l’Education nationale restera dans les mémoires essentiellement par le comportement du chien de son épouse Marie-Caroline sur les tapis du ministère…

Philippe Crevel : Chaque monde a son code, le monde politique a le sien. Il n’est pas facile de s’intégrer au milieu sans avoir réussi quelques rites initiatiques. Le passage par l’élection, par les cabinets ministériels, par les postes au sein de grandes collectivités publiques permettent d’acquérir certains us et coutumes. Ce qui est relaté par la presse n’est qu’une partie de l’iceberg de la vie politique. En passant du monde de l’entreprise à celui de la politique, il faut accepter d’abandonner l’anonymat, d’être exposé en permanence aux médias. Certes, certains chefs d’entreprise sont médiatiques mais en revanche leurs frasques, leurs dépenses font rarement la une des médias à la différence des politiques.

Par ailleurs, est-il possible de se lancer en politique sans posséder les réseaux nécessaires ? Faut-il en conclure que la politique ne reste accessible qu'aux initiés ? 

Jean Petaux : La politique est accessible à tout le monde. C’est le propre d’une démocratie où le cens a été aboli. Et personne ne s’en plaindra. Elle est accessible aux ânes et aux génies. Aux naïfs idéalistes et aux parfaits cyniques. La politique n’est que le reflet d’une société humaine avec toutes ses qualités (immenses) et ses défauts (immenses). Bien sûr qu’il faut s’inscrire dans des réseaux pour parvenir à ses fins. Croire  (ou faire croire) le contraire procède soit, justement, d’une naïveté dangereuse, soit de la ruse la plus manipulatrice qui puisse exister. Pourquoi considèrerait-on que la moindre activité professionnelle ou ludique nécessite un apprentissage et pas la politique ? Pourquoi existerait-il des « auto-écoles » pour apprendre à conduire un véhicule et n’y aurait-il pas une nécessaire « propédeutique » de la politique ?

Rappelons une réalité très concrète. Il y a 36.500 maires en France ; un peu plus de 4.000 conseillers départementaux ;  un peu plus de 2000 conseillers régionaux et 908 parlementaires (avec des double-comptes du fait des cumuls). Parmi tous ces élus (environ 43.000) combien commettent, chaque année, une irrégularité relevant des tribunaux ? Une infime partie qui ne dépasse certainement pas 1 pour 1000. Que constate-t-on pour ces cas frauduleux ? C’est que, souvent, l’élu en cause n’a pas été formé ou tout simplement « éduqué » à son « métier » d’élu. Et de ce point de vue-là le fait qu’il soit ou non familier avec les questions de gestion ou d’entrepreneuriat ne change pas grand-chose. Ce n’est pas du tout une assurance contre la « sortie de route » de la malhonnêteté. Ce n’est pas non plus, n’en déplaise aux adeptes des analyses simplistes dénonçant la collusion entre les « puissances de l’argent » ou le « monde de l’entreprise » et la politique (les premières se serviraient du pouvoir électif pour accroître leur domination tentaculaire) une fatalité malsaine qui déboucherait automatiquement sur la corruption.

En réalité les choses sont bien plus simples que cela. Les chefs d’entreprise ont souvent d’autres « chats à fouetter » que de se lancer en politique. Ils ont leur propre « maison » à gouverner et cela suffit plus qu’à les occuper. D’où, dans la majorité des cas, une hésitation à se lancer dans le grand bain de la politique… Et quand ils le font, trop souvent là aussi, une difficulté à comprendre et assimiler les codes de cette « tribu » particulière qu’on appelle improprement « classe politique ». Pas étonnant alors qu’on y rencontre des cas de dissonances cognitives d’autant plus spectaculaires et médiatisés qu’ils concernent des personnalités « en vue » qui ont souvent réussi dans leur activité entrepreneuriale et qui échouent (ou trébuchent) en politique. Faute, encore une fois, d’apprentissage suffisant. Le cas récent d’une adjointe au maire de Bordeaux, pressentie pour être désignée tête de liste aux prochaines élections régionales, ne vient pas démentir ce propos.

Philippe Crevel : Les réseaux sont indispensables en politique. Il faut en avoir au sein des partis politiques, du monde des partenaires sociaux et au sein de l’administration. L’appartenance à la franc-maçonnerie permet justement de lier les liens divers au sein de plusieurs sphères. L’entrepreneur passant en politique doit rapidement élargir son cercle et ne pas être droit dans ses certitudes. Le premier des réseaux est le parti politique. Il est incontournable sur plusieurs aspects. Aujourd’hui, le financement de la vie politique rend difficile l’accession aux responsabilités publiques sans passer par un parti. La suppression du financement par les entreprises a renforcé le poids des partis. De même, les élections à la proportionnelle (municipale ou régionale) donnent un rôle majeur aux partis.

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