La dure réalité des cours de philosophie au lycée : des classes hostiles ou indifférentes <!-- --> | Atlantico.fr
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Henri de Monvallier publie « L'avenir d'une désillusion. Faut-il encore enseigner la philosophie au lycée ? » chez Le Passeur éditeur.
Henri de Monvallier publie « L'avenir d'une désillusion. Faut-il encore enseigner la philosophie au lycée ? » chez Le Passeur éditeur.
©MEHDI FEDOUACH / AFP

Bonnes feuilles

Henri de Monvallier publie « L'avenir d'une désillusion. Faut-il encore enseigner la philosophie au lycée ? » chez Le Passeur éditeur. Après dix ans d'enseignement en lycée et autant de réflexion sur sa pratique, Henri de Monvallier s'interroge sur la nécessité du cours de philosophie : faut-il encore l'enseigner ? Quels sont ses effets réels sur les élèves ? Sert-elle encore vraiment à quelque chose ? Extrait 1/2.

Henri de Monvallier

Henri de Monvallier

Agrégé et docteur en philosophie, Henri de Monvallier a dirigé le Cahier de L'Herne Michel Onfray (L'Herne, 2019) ainsi que l'appareil critique du volume La Danse des simulacres qui rassemble les écrits esthétiques du philosophe (Robert Laffont, « Bouquins », 2019). Il anime une Université populaire à Issy-les-Moulineaux depuis octobre 2018.

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J’ai toujours pensé qu’il y avait un gouffre abyssal entre la représentation que le public peut se faire d’un cours de philosophie en terminale à travers, notamment, les instructions officielles ou les discours des inspecteurs généraux, et la réalité de cet enseignement que j’ai pu pratiquer pendant une dizaine d’années. Et encore : j’ai eu la chance d’enseigner dans un lycée privé largement « favorisé » à Versailles, je pense donc pouvoir raisonner ici a fortiori (comme aiment à dire les philosophes !), les observations que j’ai faites pouvant s’appliquer avec plus de pertinence encore à des lycées « défavorisés ».

Car il est bien des endroits en France où faire un cours de philosophie (et même un cours… tout court de n’importe quoi) n’est tout simplement plus possible. C’est ce que notait notre collègue Didier Gaulbert dans un livre paru il y a maintenant vingt ans et dont on peut penser qu’il est sans doute en dessous de ce qu’est devenue la situation actuelle : ce livre-témoignage avait pour titre la phrase d’un élève : « La philo, ça prend la tête. » L’auteur, reçu major au Capes de philosophie, explique son désarroi quand, nommé au lycée du Fouret dans la cité des Faures (près d’Amiens), il se rend compte à quel point l’enseignement de la philosophie n’a tout simplement plus aucun sens, bien loin des guerres picrocholines de spécialistes et d’associations de profs de philo sur la nature et le contenu des programmes susceptibles d’enclencher ou non le déclin de la civilisation. Face à un public totalement indifférent, voire hostile, pour les raisons sociologiques que l’on peut effectivement comprendre, à la philosophie, à son enseignement et à ses bienfaits réels ou supposés, Gaulbert se voit forcé à une mise en doute (pour le coup) radicale du cours de philosophie lui-même dans son principe :

À bien y réfléchir, le principe éthique fondamental auquel l’enseignement de la philosophie doit se soumettre est le suivant : fournir le maximum d’occasions de penser. Peu importe après si ces occasions de penser se prolongent à l’âge adulte ou pas, elles ont été fournies par l’institution scolaire. À un problème près : et si les élèves refusent ces occasions de penser ? Si, pour eux, elles ne sont pas valables ? Si, pour eux, elles n’ont aucun sens ? Il ne s’agit pas de nihilisme ou de fin de la pensée, mais de la clôture d’un certain mode de pensée qu’on croyait indépassable. À quoi bon s’acharner à défendre des valeurs si elles sont obsolètes ?

Quand il ne provoque pas une hostilité sur fond d’incompréhension totale (comme dans les lycées « difficiles »), le cours de philosophie ne suscite en général, comme j’ai pu le constater dans le lycée « favorisé » où j’ai enseigné pendant une dizaine d’années, qu’un désintérêt manifeste, ou une indifférence polie dans le meilleur des cas. Je suis toujours frappé par les gens, comme Raphaël Enthoven ou d’autres, qui font l’éloge de l’enseignement de la philo en terminale et demandent même qu’il soit étendu aux classes précédentes  : en général, ces personnes-là ont très peu enseigné en lycée et fondent principalement leurs représentations de l’enseignement sur leurs souvenirs des cours de philosophie de la khâgne d’Henri-IV ou de Louis-le-Grand où l’on entend les mouches voler au milieu des brillantes improvisations du professeur en complet-cravate sur Platon, Descartes ou Kant. Ils ne savent pas ce que c’est qu’une classe de terminale lambda, comme on en trouve des milliers en France, c’est-à-dire bavarde, inattentive, qui n’écoute rien, à qui il faut supplier sans cesse dix secondes d’attention et où chacun passe son temps à ricaner avec son voisin en regardant son téléphone portable. C’est ce genre de classe à laquelle on est censé faire deux heures de cours sur la conscience, la culture, l’histoire ou je ne sais quelle billevesée dont ils se moquent comme de leur première chaussette un vendredi après-midi gris de novembre. Et ça, quinze ou dix-huit heures par semaine.

Je m’empresse d’ajouter que, en disant cela, je ne cautionne aucun discours décliniste ou « réacrépublicain » sur la « désinstruction nationale ». Je suis en effet profondément rétif à ce genre de stratégie de la déploration aussi édifiante que stérile  : je décris juste un état de fait, un constat social ou sociologique, sans prétendre que c’était mieux avant. Jean-François Revel raconte déjà au début des années 1960 qu’un professeur de maths sup’ lui avait prêté des copies de ses étudiants de classes préparatoires scientifiques d’il y a soixante ans (le bon vieux temps sans écran ni SMS où les jeunes gens savaient encore écrire !). Chez ces étudiants qu’on peut penser sursélectionnés socialement pour l’époque, Revel note qu’on pouvait pourtant trouver des fautes du type « avec toutes les nuances qu’il existe », « cherchons qu’elles en peuvent être les aspects » ou encore « on se demande qu’elles en sont les problèmes »… Autant de fautes que l’on peut encore trouver aujourd’hui dans des copies de bac, de même pour les graphies . N’idéalisons donc pas trop le passé.

Indépendamment de ce problème, mon constat factuel est le suivant : je pense que la plupart des élèves se moquent éperdument du cours de philosophie et qu’ils ont conscience que ça ne sert à rien. Pour ma part, il m’est arrivé plusieurs fois de partir avant la fin du cours en claquant la porte pour manifester ma lassitude devant ces classes qui n’écoutaient rien après mes multiples rappels à l’ordre, ce qui avait pour effet de produire un petit électrochoc. Je revenais la fois suivante en faisant une leçon de morale à laquelle je ne croyais pas moi-même, je les menaçais de lâcher leur classe (ce que, bien évidemment, je ne pouvais pas faire sans une perte de salaire, mais j’arguais qu’ils étaient des « heures supplémentaires » pour moi…), leur rappelais qu’il y avait des classes sans profs de philo, qu’il était très difficile d’en trouver. J’invoquais également toujours l’épée de Damoclès de l’épreuve du bac, etc. J’avais droit à une accalmie pendant deux ou trois séances et après, bien évidemment, ça recommençait. J’attendais donc bon an mal an (mais dans l’ensemble plutôt mal an) que l’année se termine en faisant semblant, comme tout le monde, de faire cours. Je veux bien qu’il y ait un plaisir à transmettre oralement – il m’arrive de donner des conférences dans le cadre du séminaire de mon Université populaire, je ne le conteste pas. Mais le problème du dispositif du cours de philosophie, à mon avis, c’est qu’il tue toute possibilité de plaisir du côté du professeur comme du côté de l’élève, dans la mesure où il repose sur la contrainte et la « discipline » : le professeur est contraint d’être là pour être payé, l’élève est contraint d’être là pour ne pas être exclu de l’établissement. J’ai toujours pensé que j’aurais pu sans doute apprendre plus de philosophie à un élève pendant une heure en tête à tête dans un café que pendant un an dans une classe de trente.

Mais mettons que les choses se passent bien, ça a pu aussi parfois m’arriver (de moins en moins les années passant) : la classe n’est pas trop dissipée, les élèves écoutent, ou font semblant (après tout, c’est tout ce qu’on leur demande) et prennent des notes. À quoi ressemble un cours de philosophie en terminale ? 

Henri de Monvallier publie « L'avenir d'une désillusion. Faut-il encore enseigner la philosophie au lycée ? » chez Le Passeur éditeur

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