La désindustrialisation, ce sujet dont les économistes dominants se sont si longtemps désintéressés<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Un employé coupe un moule Renault sous le regard des grévistes de la Société Aveyronnaise de Métallurgie Alors qu'ils protestent contre la fermeture de la SAM, à Viviez, le 24 novembre 2021.
Un employé coupe un moule Renault sous le regard des grévistes de la Société Aveyronnaise de Métallurgie Alors qu'ils protestent contre la fermeture de la SAM, à Viviez, le 24 novembre 2021.
©Valentine CHAPUIS / AFP

Délocalisations

La question de la désindustrialisation a été occultée du débat durant la campagne présidentielle. Comment expliquer que cet enjeu majeur soit également minoré par une partie des économiste ?

François Geerolf

François Geerolf

François Geerolf est économiste, professeur à l'Université de Californie (UCLA).

Voir la bio »

Atlantico : Comment expliquer que les économistes minorent voire occultent le sujet de la désindustrialisation ?

François Geerolf : Ils l’occultent voire la justifie et considèrent que ce n’est pas un problème. Ils estiment que ceux qui s’en inquiètent sont dans un fétichisme industriel. Or, c’est un phénomène majeur en France et dans les pays anglo-saxons. Les politiques s’en soucient de plus en plus, mais les économistes libéraux tendent à chercher à justifier le phénomène coûte que coûte : par les gains de productivités, par l’augmentation de la part des services due à la hausse de niveau de vie, etc. Ces explications sont justes mais elles n’expliquent pas pourquoi le phénomène est particulièrement rapide dans certains pays, comme la France. De la même manière, les économistes dominants ont tendance à justifier le déficit commercial de la France. On explique cela par la logique du marché ou des logiques de rattrapage. Cette question est aussi vieille que l’économie. On la retrouve déjà chez Ricardo, Adam Smith qui avaient plutôt tendance à justifier ces écarts. La position adverse, celle des mercantilistes, était de considérer qu’il fallait dégager des bénéfices commerciaux à tout prix. Et aujourd’hui, on entend surtout les disciples d’Adam Smith, de Ricardo, qui considèrent qu’il ne faut pas s’inquiéter. Dans une vision mercantiliste, qui est aussi celle de Keynes, on s’inquiète du déficit commercial car il peut détruire de l’emploi industriel et mettre dans une situation de dépendance vis-à-vis de d’autres pays. Cette vision a été beaucoup défendue aux Etats-Unis par Paul Krugman. On a retrouvé ces questionnements sous Donald Trump et Joe Biden et il est notable de voir que les deux présidents mènent une politique relativement protectionniste contre l’avis des experts économiques libéraux. Biden revendique le besoin d’emplois industriels. Et ce que j’observe, c’est qu’il y a une corrélation très forte entre le succès des partis populistes et les fractures territoriales constatées dans ces pays, notamment dans les territoires désindustrialisés.

À Lire Aussi

Ce que le déficit commercial record de la France dit de l’état réel de l’économie (et des promesses de campagne 2022…)

Ainsi, pourquoi est-ce qu’il est important de se soucier de la question de la désindustrialisation ?

Pour plusieurs raisons. D’abord parce que l’industrie est souvent le secteur où les gains de productivité sont les plus forts. Tous les biens technologiques sont issus de secteurs industriels : de l’écran plat à Arianespace. Le fait que nous soyons des pays riches dépend largement de notre industrialisation. Même si l’industrie représente une part du PIB relativement faible, c’est de là d’où viennent les gains de productivité donc les hausses du niveau de vie.

Dans le cadre d’une présidentielle, y aurait-il intérêt à ce que le sujet soit plus sur la table ?

Le sujet à l’air d’être devenu relativement consensuel dans la sphère politique, y compris chez LREM alors même que ce n’était pas forcément dans leur ADN. Le Covid a montré notre dépendance sur un certain nombre de secteurs. Avec François Bayrou devenu commissaire au Plan, on a le sentiment que c’est presque un sujet de consensus.  Malgré tout, la seule solution que l’on propose, chez les deux candidats, c’est de diminuer les impôts de production. Je doute qu’on puisse en attendre des miracles. Le diagnostic est fait, reste à savoir s’il y aura des actes.

Que pourrait-on faire pour que le discours économique ne soit pas seulement celui des économistes désintéressés par la désindustrialisation ?

Il faut tout simplement donner ou redonner plus de voix aux économistes minoritaires. Certains en parlent heureusement depuis un moment : Christian Saint Etienne, Eli Cohen, Nadine Levratto, etc. mais ils sont moins entendus. Puisque c’est devenu un consensus politique, il faudrait au moins que la sphère économique et universitaire en débatte.

À Lire Aussi

Désindustrialisation : ce drame français largement auto-infligé

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !