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La dépression chez un adolescent est-elle différente de celle chez l'adulte ?
©Reuters

Bonnes feuilles

Comment identifier la dépression chez un jeune ? Comment la soigner ? Comment la comprendre et l'appréhender à travers les yeux d'une mère et d'un médecin ? Un ouvrage à quatre mains qui tente d'expliquer la dépression chez les jeunes. Extrait de "La dépression de l'adolescent" (1/2).

Tahar Ben Jelloun donne dans son livre L’auberge des pauvres (Éditions du Seuil, 2000) cette définition de la dépression : « Toute dépression est une rupture brutale, une confrontation avec soi dans la solitude. Si ça ne prévient pas, comment faire pour l’éviter ? »

Pour Alice, ma fille, cette dépression est arrivée sournoisement, sans crier gare. La première question que j’ai envie de poser au Docteur Gilles-Marie Valet est la suivante : la dépression est-elle une maladie ? Et d’ailleurs qu’appelle-t-on maladie ? L’encyclopédie médicale Vulgaris propose cette définition : « une altération de l’état de santé. De façon générale, le terme maladie désigne un état morbide dont on connaît le plus souvent la cause. Ce terme doit être différencié du terme syndrome qui définit un ensemble de symptômes. »

Gilles-Marie Vallet, le pédopsychiatre : Une maladie va se caractériser par des symptômes qui ont un retentissement sur l’état de santé du sujet altérant son fonctionnement naturel. C’est quelque chose qui survient de façon soit chronique, soit aigüe, qui marque un point de rupture par rapport à un état d’équilibre antérieur. Une fois guérie, il y a un retour à l’état initial. Parfois, on peut traverser des états proches de la dépression : déprime, baisse de moral qui sont des états naturels. Ils viennent nuancer le caractère maladif de la dépression.

Mais oui, la dépression est bien une maladie, de par la gravité et la chronicité des symptômes (baisse d’énergie, problèmes de sommeil, perte d’envie) qui altèrent le fonctionnement de l’adolescent ; elle l’est par la souffrance qu’elle génère : douleur morale, souffrance psychique comme physique, car les symptômes somatiques ne sont pas rares.

Mais contrairement à une maladie classique – infectieuse, immunitaire ou autre –, le traitement de la dépression ne porte pas uniquement sur les causes du trouble puisqu’il agit sur une personnalité en développement et sous l’influence de facteur à la fois extérieur, propre à l’environnement, et intérieur : l’état psychique et émotionnel. Et l’évolution sera telle que le jeune, une fois guéri, ne sera plus tout à fait le même qu’avant sa maladie.

Christine Viat-Berthod, la mère : J’avoue qu’aujourd’hui encore, j’ai du mal à parler de la dépression d’Alice comme d’une maladie ; sans aucun doute à cause de son caractère psychiatrique. Si seulement comme pour une mauvaise toux, il existait un sirop pour la soigner …

Le pédopsychiatre : Effectivement, à la différence des maladies classiques, on ne retrouve pas forcément d’agent causal que l’on pourrait éradiquer. Et de ce fait le traitement doit être multifocal : s’attacher à soulager les symptômes, mais également permettre une évolution psychologique qui renforce la personnalité du sujet.

La mère : La dépression est-elle plus fréquente de nos jours ?

Le pédopsychiatre : Les dépressions réactionnelles sont sans doute plus fréquentes parce que le contexte actuel dans lequel nous vivons est plus stressant. Nous vivons dans une société plus anxiogène et déprimante. Les statistiques indiquent une augmentation parce que, de nos jours, la dépression est beaucoup mieux dépistée qu’il y a des décennies. C’est un sujet beaucoup moins tabou qu’à l’époque de nos grands-parents. Selon l’OMS (Organisation mondiale de la santé), deux enfants sur cent vont déprimer à un moment donné. Chez les adolescents, le chiffre atteint six à 8 individus sur cent. Mais selon les critères retenus ce chiffre pourrait augmenter jusqu’à 15 % de la population adolescente, soit un chiffre proche de celui des adultes.

La mère : Quelle est la différence entre la dépression, la déprime et la crise d’adolescence ?

Le pédopsychiatre : La dépression est une maladie par sa gravité, la profondeur de ses symptômes et sa durée.

La déprime est un processus naturel, parfois réactionnel, qui s’apparente plus à une fluctuation de l’humeur, en lien ou non avec des événements de vie.

Quant à la crise d’adolescence, elle s’intègre également à un processus naturel avec la puberté et à un processus développemental, un passage qui va conduire l’adolescent à devenir un jeune adulte. Ce passage ne peut s’effectuer sans un travail de deuil de l’enfance (abandonner un monde connu pour un saut dans l’inconnu), des images parentales… Cette crise d’adolescence, si elle est transitoire, ne sera pas assimilée à une dépression.

La mère : Je m’interroge sur le sens exact du mot adolescence. Un simple clic sur mon ordinateur m’indique : « L’adolescence (du latin adolescere : grandir) est une phase du développement humain physique et mental qui survient généralement entre la puberté et l’âge adulte et suit la phase de l’enfance. »

Je continue ma recherche, je tombe sur une citation consacrée à cette tranche de vie si particulière qu’est l’adolescence, et c’est Victor Hugo qui, pour moi, illustre le mieux cette page de vie : « Elle avait cette grâce fugitive de l’allure qui marque la plus délicate des transitions, l’adolescence, les deux crépuscules mêlés, le commencement d’une femme dans la fin d’un enfant. » Alors posons-nous la question : la dépression chez le jeune est-elle différente de celle chez l’adulte ?

Le pédopsychiatre : Oui, la dépression est différente dans la mesure où, chez l’adolescent, elle survient chez un individu en évolution. Elle va affecter la personnalité de l’adulte en devenir. La dépression chez le jeune est plus somatisée, les plaintes physiques sont plus fréquentes, qu’elles soient formulées ou exprimées concrètement (maux de ventre, de tête, fatigue). La dépression chez l’adulte va favoriser des remaniements de la personnalité, mais de façon moins probante. L’adulte arrive plus facilement à mettre des mots sur ce qu’il qu’il ressent et à analyser ses émotions. Il comprendra plus facilement les facteurs qui interfèrent dans ses états d’âme, comme la tristesse, l’ennui ou la douleur morale. La dépression sera ainsi plus facile à guérir.

Extrait de "La dépression de l'adolescent", Gilles-Marie Valet et Christine Viat-Berthod, (Editions Jacob-Duvernet), 2013. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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