La décroissance, cette écologie triste qui ne résout rien<!-- --> | Atlantico.fr
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Des manifestants tiennent une banderole lors d'une « Marche pour le climat » dans le cadre d'une journée nationale d'action pour exiger la justice climatique, à Nantes, le 9 mai 2021.
Des manifestants tiennent une banderole lors d'une « Marche pour le climat » dans le cadre d'une journée nationale d'action pour exiger la justice climatique, à Nantes, le 9 mai 2021.
©SEBASTIEN SALOM-GOMIS / AFP

Bonnes feuilles

Pascal Perri publie « Le péril vert » aux éditions de L’Archipel. A contre-courant des mots d'ordre de la révolution verte, Pascal Perri apporte une contribution argumentée à un débat tant politique que philosophique et dont dépend notre avenir : comment préserver la nature sans porter atteinte aux droits humains ? Extrait 1/2.

Pascal Perri

Pascal Perri

Pascal Perri est économiste. Il dirige le cabinet PNC Economic, cabinet européen spécialisé dans les politiques de prix et les stratégies low cost. Il est l’auteur de  l’ouvrage "Les impôts pour les nuls" chez First Editions et de "Google, un ami qui ne vous veut pas que du bien" chez Anne Carrière.

En 2014, Pascal Perri a rendu un rapport sur l’impact social du numérique en France au ministre de l’économie.

Il est membre du talk "les grandes gueules de RMC" et consultant économique de l’agence RMC sport. Il commente régulièrement l’actualité économique dans les décodeurs de l’éco sur BFM Business.

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Les peurs collectives sont-elles justifiées ? Pourquoi le changement climatique est-il perçu aussi différemment par les membres de la communauté scientifique et parfois même au coeur d'une même discipline ? Un consensus international sur les mesures à prendre pour ralentir le réchauffement a toutefois été obtenu. Les États-Unis ont réintégré en 2021 l'Accord de Paris, assorti d'engagements précis et d'un objectif de limitation du réchauffement. Les Américains ne renonceront cependant pas à la civilisation de la voiture, dans un pays mal desservi par le train. La géographie américaine, le modèle d'urbanisme des malls, les grands centres commerciaux, en dehors des grandes villes, un habitat diffus et des commerces locaux souvent épars rendent la voiture indispensable aux familles. Joe Biden, le président élu en 2020, a fait voter un programme de rénovation des grandes infrastructures qui inclut la réfection du réseau des interstates, ces immenses autoroutes qui traversent le pays dans les deux sens. 250 millions de voitures circulent chaque jour aux États-Unis, sur un réseau tentaculaire de 70 000 kilomètres d'autoroutes et de plus de 6 millions de kilomètres d'autres routes. L’administration Biden soutiendra aussi les mobilités plus douces et le déploiement d'énergies plus propres, mais l'Amérique reste, avec la Chine, le premier grand pollueur du monde.

Les émissions de GES (gaz à effet De serre) ont connu un pic au cours des toutes dernières années, essentiellement en raison de l'augmentation de la consommation des pays émergents. La consommation de biens et services en Chine et en Inde est passée de 4 à 16 % de la consommation mondiale en vingt ans (entre 2000 et 2020), tandis que la part relative de l'Europe et des Etats-Unis baissait. Le bilan carbone des émergents n’est donc pas satisfaisant. Il a d’abord été détérioré par la délocalisation des productions industrielles de nos territoires vers ces régions au début des années 2000, puis il a été régulièrement abondé par l'augmentation de la consommation sur les marchés intérieurs des pays dits « émergents » ! De surcroît, l'efficacité énergétique de ces économies est médiocre. Elles consomment beaucoup d'énergie pour des rendements moyens — essentiellement du charbon et du pétrole.

Ce constat nous appelle à une réflexion sur les perspectives de décroissance qui sont proposées par certains écologistes français : quelles seraient les conséquences d’une expérience isolée de décroissance économique dans un pays comme le nôtre, au beau milieu d'un monde qui continue de croître, sachant que nous n’avons aucun moyen légal d'imposer une cure de décroissance aux peuples étrangers ? Nous subirions un double choc, économique et social. Cette voie est une impasse. Compte tenu de la géographie du monde, de son organisation politique, nous n'avons d'autre choix que de poursuivre la marche du progrès, qui seule garantira la sauvegarde des acquis sociaux de nos pays et une croissance respectueuse de son environnement. Nous devons faire confiance au génie humain. Nous n'avons collectivement aucune autre solution satisfaisante.

La préoccupation de l'environnement est partagée en France par toutes les générations, mais les jeunes sont sans doute les plus inquiets. On les comprend. Ils vont hériter d'une planète dont leurs ainés étaient jusqu'alors les dépositaires. Les activités humaines de production modifient leur environnement et le climat. Il n’y a pas d’activités sans énergie et c’est bien cet indicateur qu'il faut observer. Le mix énergétique mondial est actuellement dominé par les hydrocarbures à 85 % (sauf en France). Autant dire qu’on ne changera pas de modèle sur les bases actuelles.

Par acquit de conscience, examinons l'hypothèse de la décroissance en nous appuyant sur l'année Covid (printemps 2020, période correspondant à une mise à l'arrêt des économies du monde et des capacités de production industrielle en Asie). Comme l'ont montré sans équivoque les experts de l'institut Sapiens, le confinement du printemps 2020 a constitué une épreuve grandeur nature. Les échanges, les flux de personnes, la production industrielle, en particulier en Chine, ont très largement décru. Résultat ? Une symétrie parfaite entre l'effondrement de la croissance, environ 10 % à l'échelon mondial, et la baisse des émissions de gaz à effet de serre. Le résultat est spectaculaire mais notoirement insuffisant. « 10 % de réduction des émissions sur un an, c'est seulement une demi-PPM de rejets en moins : une réduction « epsilonesque » des émissions cumulées face à une restriction énorme des libertés et un accroissement démesuré de la pauvreté. Un calcul simple montre que pour satisfaire les objectifs de Paris via la seule décroissance économique (450 ppm en 2050), il faudrait pratiquement imposer à la planète un confinement permanent… durant les trente prochaines années. Dans l’hypothèse où la population du monde se stabiliserait à la fin du siècle autour de 10 milliards d'individus, les objectifs climatiques de limitation de la hausse des températures à 2°C en 2030 contraindraient en l'état actuel des technologies à rationner les émissions de CO2 par tête à une tonne équivalent CO2 par an, soit, comme le documente Guillaume Bazot pour la Fondapol, à un aller-retour Paris-New York en avion ou 5 000 kilomètres par la route au volant d'une berline moyenne.

La décroissance n'est pas la solution. Il faut au contraire considérer une autre croissance, et celle-ci est déjà en marche. Soyons clairs : tout le monde n'est pas d'accord avec cette vision du changement. Si la question de la décroissance se pose, c'est qu’une partie importante du courant de pensée écologiste (français) considère que la notion de croissance vertueuse n’est qu’une invention, une justification des libéraux et de l'industrie pour garantir le maintien ou le réaménagement du modèle en leur faveur. Par nature, toute forme de croissance serait mauvaise. Les « Amis de la terre », association anticapitaliste et écologiste, présente ainsi sa vision du monde : « Les dérèglements climatiques, les atteintes à la biodiversité, les pollutions de tous ordres, la dégradation de l'eau et des sols, l’épuisement des ressources naturelles sont les principales formes de la crise écologique. Le modèle économique actuel, capitaliste et productiviste, fondé sur la compétition et la croissance, bénéficie à une minorité de la population mondiale, dont le mode de vie, reposant sur l’hyperconsommation, ne persiste qu’à la condition du maintien de la majorité dans la pauvreté et la précarité. Les projets de développement dit durable, d’économie verte ou dématérialisée n'échappent pas à cette règle. Les progrès de l'efficacité énergétique sont immédiatement annihilés par l'augmentation de la production et de la consommation. La généralisation à tous les humains du mode de vie dominant, même "vert", épuisera en quelques décennies les sols, l'eau, les forêts, les principaux minerais et les ressources énergétiques, non seulement sans résoudre le dérèglement climatique, mais en multipliant les risques de conflits majeurs. »

Il y a ceux qui ont l'écologie triste et les autres qui cherchent des solutions. La bonne nouvelle, c'est que nous avons toutes les ressources pour produire et nous déplacer différemment, pour consommer mieux et maintenir l'équilibre social de nos pays. Rien  ne serait pire en effet que d'ajouter une crise sociale de grande ampleur aux désagréments climatiques auxquels il faudra s'habituer pour les années qui viennent.

© L’Archipel, 2021

Extrait du livre de Pascal Perri, « Le péril vert », publié aux éditions de L’Archipel

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