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La crise a-t-elle tué les grèves ?
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Motivés

Avec la crise, les grèves se succèdent ces derniers temps en Europe : Grèce, Angleterre, Italie et France ce mardi. Si ces manifestations débouchent rarement sur des changements politiques, leur intérêt est peut-être à chercher ailleurs...

Erik Neveu

Erik Neveu

Erik Neveu est un sociologue et politiste français, professeur des universités agrégé en science politique et enseigne à Sciences Po Rennes.

Il est l'auteur de l'ouvrage "Sociologie politique des problèmes publiques".

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Avec les grèves générales en Grèce, ou celle –impressionnante – qu'a connu récemment le Royaume-Uni, la question – dont l’énoncé vaut souvent réponse attendue – de la pertinence de ces actions « en temps de crise » revient dans le débat. Rappelons contre le poncif de la France grévicultrice que la fréquence des grèves s’est effondrée de longue date. Là où la moyenne des années 1970 est autour de 3 millions de jours de grève par an, les années 2000 se situent à un niveau six fois moindre. La forme centrale de l’action protestataire s’est déplacée vers la manifestation. Le processus était visible pendant les journées contre la reforme des retraites en 2010 où les cortèges grossissaient entre midi et deux heures de milliers de participants à sandwich qui ne pouvaient assumer financièrement la grève ou redoutaient par un tel geste de se faire défavorablement remarquer par l’employeur.

En quoi la grève serait-elle « dépassée » ? Elle est couteuse dira t-on. Oui, au premier chef pour les grévistes qui y ont sans doute réfléchi. Pour l’Economie à majuscule ? Sûrement… mais plus que le renflouement des banques qui présentent aux contribuables l’ardoise de leur gestion irresponsable ? Et peut on raisonnablement demander à ceux que l’Economie à majuscule – et croissantes inégalités - réduit au statut d’inutiles au monde ou de nouveaux pauvres par des licenciements boursiers ou des amputations de revenus d’avoir la servile élégance de le subir sans protester ?

La grève serait inefficace et impuissante. Il est vrai que depuis 1995, en France, les grands mouvements n’ont eu que des résultats modestes. Les faits têtus sont aussi que dans les entreprises qui ont connu des grèves dures (Conti, Molex), le sort matériel et l’état psychologique des licenciés aura été sinon brillant, assurément « moins pire » qu’ailleurs. Surtout une grève ne pèse pas qu’aux satisfactions de ses demandes. Elle demeure un moment où se fabriquent du « nous », des sentiments de solidarité. Elle peut faire entrer dans le débat public des propositions inédites. Pourquoi me revient ce reportage de « France 24 » comparant la réforme des retraites dans trois pays européens autour des paramètres «augmenter les cotisations », « allonger leur durée » et « réduire les pensions »…oubliant simplement une variable que les grévistes mirent en débat : étendre l’assiette au-delà des revenus du travail !

La grève est encore une expression légale des contrepoids critiques qui constituent une démocratie. Elle est aussi, on l’oublie trop, jusqu’en d’éventuels débordements une mécanique de conjuration de la violence, de canalisation de mécontentements et souffrances qui pourraient prendre des formes plus agressives.

La grève n’a pas forcément été le premier répertoire des mouvements récents. Les « indignés » ont joué de forums, d’occupations pacifiques d’espaces publics pour amorcer des débats. Des pratiques « alternatives », du covoiturage à l’achat direct en ferme via des AMAP ont connu un essor conséquent.

Quittons enfin le constat pour la mobilisation-fiction : imaginons que les protestataires empruntent à certaines entreprises de recouvrement de créances leurs méthodes. Les riches athéniens qui se soustraient à l’impôt, les usagers des paradis fiscaux, les professionnels de la spéculation se verraient, en tous déplacements publics, accompagnés d’un cortège pacifique mais bruyant, portant des pancartes indiquant leurs faits d’armes civiques et économiques. L’Economie n’en souffrirait point. Mais gageons que ceux qui voient dans la grève en temps de crise une faute de goût trouveraient encore à redire à ces salubres accompagnements…

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