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La Chine dépasse les Etats-Unis sur la recherche scientifique… et l’Europe continue sa petite dépression dans son coin
©STR / AFP

Bras de fer

Les Chinois sont en train de dépasser les Américains sur le plan de la recherche scientifique. Les données en Europe et en France sont très loin des prouesses de ces deux géants.

Laurent Alexandre

Laurent Alexandre

Chirurgien de formation, également diplômé de Science Po, d'Hec et de l'Ena, Laurent Alexandre a fondé dans les années 1990 le site d’information Doctissimo. Il le revend en 2008 et développe DNA Vision, entreprise spécialisée dans le séquençage ADN. Auteur de La mort de la mort paru en 2011, Laurent Alexandre est un expert des bouleversements que va connaître l'humanité grâce aux progrès de la biotechnologie. 

Vous pouvez suivre Laurent Alexandre sur son compe Twitter : @dr_l_alexandre

 
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Atlantico : Comment expliquer l'essor de la Chine dans ce domaine ? 

Laurent Alexandre : La Chine a d'ores et déjà beaucoup de publications bien qu’elle n’ait pas encore autant de grandes publications que les Etats-Unis. Il demeure une petite différence qualitative, ce qui est normal étant donné que la puissance chinoise est très récente. En 1980, il n’y avait quasiment rien, sauf en physique nucléaire. 
La Chine a donc construit sa capacité de recherche et développement très rapidement. Aujourd’hui, quantitativement parlant elle est presque au niveau américain. A l’heure actuelle, les dépense de recherche et développement chinoises tutoient celles des Etats-Unis et devraient les dépasser d’ici 2020 (en dépense globale de recherche et développement on arrive à 500 milliards par an pour la Chine). Ainsi, quantitativement la chine a progressé de manière extraordinaire . 
Qualitativement, elle a également progressé très rapidement mais elle n’est pas, à l’heure d’aujourd’hui, au niveau américain. 
On accuse également régulièrement la Chine de copiage technologique, mais du copiage technologique tout le monde en a fait ! Prenez, Bill Gates et Steve Jobs, par exemple, tous deux ont piqué des idées développées précédemment en 1968 par Douglas Engelbart. Il n’y avait pas une de leurs idées qui n’était pas tirée de ses travaux.
En recherche, chacun fait de l’espionnage, essaye de récupérer les idées des autres en les améliorant. Un chercheur ne réinvente pas tout, avant tout, il regarde les publications des autres chercheurs. Et c’est parfaitement normal, un chercheur qui ne se tiendrait pas au courant des publications dans son domaine, serait un bien mauvais chercheur. 
Donc effectivement, tout le monde se copie, tout le monde s’imite. La Chine, comme tout le monde, imite. Seulement, aujourd'hui elle développe également une vraie technologie originale. C’est la raison pour laquelle après les téléphones “designed in California” et “made in China” on commence à voir apparaître des téléphones et ordinateurs conçus et réalisés en Chine comme les Huawei.  
Ainsi, après un rattrapage par l'imitation, on a aujourd’hui l'arrivée de vraies innovations. Le premier pays à avoir fait des modifications sur embryons, par exemple, c’est la Chine, l’année dernière. Il y a des tas de domaines dans lesquelles la Chine est innovante (en matière d’intelligence artificielle, de paiements via internet, d’application pour smartphone…). 

En mai 2018 l'Indice de l'économie numérique et de la société (DESI) indiquait que les 28 pays de l'Union Européenne avaient très peu amélioré le nombre de diplômés en sciences, technologie, ingénierie et mathématiques. Pourtant, l'Europe ne cesse de répéter qu'elle cherche à devenir avant-gardiste sur l'Intelligence Artificielle, et la data. Mais il semble y avoir encore beaucoup de chemin à parcourir.  Comment expliquer ce retard ? Doit-on parler d'une dépression européenne ? 

On a bien une dépression européenne, il faut s’avoir que l’Europe du sud ne fait quasiment pas de recherche (la Corée du Sud consacre 5% de sa richesse nationale à la recherche, l’Espagne et l'Italie c’est autour d’1% et la France 2,2%). 
L’Europe investit trop peu en matière de recherche, elle forme trop peu d’ingénieurs et en plus, les meilleurs partent à l’étranger. En France, un chercheur de haut niveau, comme le patron du CNRS l’a révélé dans Le Figaro, ne gagne pas plus de 3 100 euros par mois, alors qu’une entreprise comme Google lui proposerait 20 à 30 fois plus sur le champs.
Donc nous ne payons pas assez nos chercheurs ni nos professeurs d’université. Un professeur de science à l’université, en fin de carrière, dernier échelon, en France, touche environ 6 200 euros par mois. Pour le même poste en Suisse, à l’université fédérale de Lausanne, c’est 303 milles euros par an. 
Ainsi, puisque l’UE ne rémunère pas assez ses chercheurs et ses universitaires, on observe une fuite des cerveaux alors même, que le nombre de scientifiques de haut niveau est d'ores et déjà limité. 
A l’inverse, la Chine produit un nombre incroyable de cerveaux et les grands chercheurs ont des budgets de laboratoires colossaux. En outre, bien que la Chine reste une dictature, son modèle de développement technique est bien supérieur au nôtre. D’ailleurs elle dépasse tout le monde très vite. En 1980, par exemple, le Maroc était 5 fois plus riche par habitant que la Chine. Aujourd’hui, le Maroc n’a pas bougé mais la Chine est devenue la deuxième puissance mondiale.
Donc effectivement, il y a une redistribution des cartes qui se fait très rapidement dans cette économie de la connaissance et le niveau de l’Europe ne fait que baisser. En matière d’innovation, en intelligence artificielle, en informatique… l’Europe est mauvaise. Il n’y aucun aucun acteur significatif du numérique en Europe. Donc oui, il est indéniable que nous avons loupé le coche, d’autant plus qu’on ne voit pas aujourd’hui de volonté de ratrraper les géants américains. Et de toute façon, il faudrait des budgets astronomiques et une mobilisation de toute l’UE pour le faire, ce qui est difficilement envisageable. Donc non, l’Europe n’est pas aujourd’hui sur un chemin de rattrapage.

Et en France ? Nous occupons la 18e place sur 28 à l'Indice de l'économie numérique et de la société (DESI)… 

En France, nous avons laissé pourrir la recherche universitaire. On a accepté que les universités qui produisent de la recherche avec des instituts comme le CNRS ou l'Inserm baissent de niveau. 
Quand on va dans les grands pays de la recherche, qu’on regarde leurs universités et qu’on les compare aux nôtres, on a honte. Honte de nos salaires, des moyens qu’on leur attribue, de la précarité des individus qui travaillent dans ce milieu…  
Pour redresser la barre il faudrait investir beaucoup plus. Prenons l’exemple de la Corée du sud, qui investit deux fois plus dans sa recherche : leurs laboratoires sont beaucoup mieux équipés, les professeurs mieux payés… Résultat, avec Taïwan ils font aujourd’hui les meilleurs micro processeurs au monde, alors que nous, nous sommes très mauvais en informatique. 
L’Asie est en train de devenir le leader de l’industrie de la connaissance et l’Europe n’est pas adapté à cette industrie très compétitive, qui va très vite ou l’on investit beaucoup la recherche, la science, la technologie. 

A la fin de l'année 2017, il a été annoncé un investissement de 57 milliards d'euros réparti sur 5 ans, visant à accompagner la transition de l'économie à un nouveau modèle de croissance. Cet investissement est-il de nature à vous rassurer ? 

Ce sont des budgets qui existent déjà, ces chiffres sont des effets d’annonces. On accumule plusieurs budgets qui existent déjà et on les regroupe pour le communiqué de presse. Ca fait 40 ans que l’on fait ça, alors qu’il n’y pas pas de nouveaux fond qui sont accordés à la recherche. 
La part du budget de l’UE consacré à la recherche n’augmente pas, ne rattrape en aucun cas les leader mondiaux que sont l’Asie ou les Etats-Unis. Comme toujours on est face à effet de communication. Or c’est une politique du passée, la vraie politique sur ces thématiques-ci serait d’augmenter les dépenses et d’implémenter une visions stratégique à la recherche tel que le font les chinois, les coréens..  Et non pas de perpétuer cette forme de communication politique qui aujourd’hui est mortifère et très néfaste parce que les gens finissent pas croire qu’on est sur la bonne route alors que ce n’est pas le cas. 

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