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La BCE prête à décider de taux négatifs : mais de quoi seraient-ils vraiment le signe ?
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Radical

Si les taux directeurs de la Fed et de la BoJ sont à zéro, Mario Draghi, le président de la Banque centrale européenne dont le taux à été abaissé à 0,5%, a menacé les banques d'un taux de dépôt négatif. Non sans conséquences.

Alexandre Baradez

Alexandre Baradez

Alexandre Baradez, 33 ans, diplômé de l'ESCE (Paris/La Défense) en 2003 a d'abord évolué plusieurs années chez BNPPARIBAS puis la Banque ROBECO en gestion privée avant de rejoindre SAXO BANQUE en 2009 en tant que Sales Trader. Son expérience des marchés financiers et plus particulièrement du marché des devises lui confère rapidement le rôle d’Analyste Marchés. Interlocuteur privilégié des médias français, il délivre quotidiennement des analyses sur les marchés financiers, tendances, risques macro-économiques et participe régulièrement à des conférences dédiées aux investisseurs. En novembre 2013, il rejoint le groupe IG, leader mondial des CFD, côté à Londres au FTSE 250, en tant que Chief Market Analyst.

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Atlantico : Alors que les taux directeurs de la Fed et de la BoJ, les banques centrales respectives des États-Unis et du Japon, sont à zéro, Mario Draghi, le président de la Banque centrale européenne (BCE), a annoncé une baisse du taux de l'institution à 0,5%. Certains économistes s'inquiètent car, avec des taux si bas, les banques centrales perdent de leurs marges de manœuvre en cas d'éventuel aggravation de la crise. Or, est-il possible que le taux directeur de la banque centrale soit négatif ?

Alexandre Baradez : La baisse du taux directeur de la BCE de 0,75% à 0,50% est effectivement un signal supplémentaire d’assouplissement de la politique monétaire menée. Mais même avec un taux abaissé de 0,25%, le BCE maintient son taux largement au-dessus de ceux de la Fed et de la BoJ qui flirtent avec les 0%. Le taux directeur nominal de la BCE ne pourra pas, dans l’absolu, descendre sous 0%, mais il reste encore un peu de marge de manœuvre entre 0,5% et 0%... notamment si la BCE se fixe toujours comme objectif la stabilité des prix. Nous sommes clairement dans un contexte de baisse des prix en zone euro, l’inflation étant tombée à 1,2% en avril après 1,7% au mois de mars.

Si les prix devaient continuer sur cette trajectoire - signe notamment d’une contraction de la demande - la BCE pourrait encore baisser son taux directeur. Il est d’ailleurs important de préciser que la baisse du taux de la BCE s’inscrit plus dans un objectif de maintien de la stabilité des prix que dans celui d’une réelle relance du crédit…c’est d’ailleurs pour ça que la BCE envisage d’autres options pour stimuler le crédit aux PME de la zone euro, comme notamment l’introduction potentielle des ABS (obligations adossées à des actifs).

Si l'hypothèse d'un taux directeur négatif est presque exclue, Mario Draghi a cependant "menacé" les banques d'un taux de dépôts négatifs...

Effectivement, lorsqu’on parle de l’hypothèse de taux négatifs, surtout en ce moment, cela concerne surtout la rémunération des dépôts à court terme des banques. Aujourd’hui les banques de la zone euro peuvent déposer leurs liquidité à très court terme auprès de la BCE et le taux de la facilité de dépôt est actuellement à 0%. C’est-à-dire que les banques ne"perdent" pas d’argent mais n’en gagnent pas non plus.

L’option avancée par Mario Draghi est celle de l’application d’un taux négatif sur ces dépôts, ce qui signifierait que les banques de la zone euro perdraient de l’argent sur leurs dépôts. Cette mesure serait notamment prise pour inciter les banques à réinjecter ces liquidités dans l’économie et relancer ainsi les flux de crédits à destination des PME au lieu de les placer aux guichets de la BCE…du moins en théorie.

Un tel scénario, de taux de dépôt négatif, s'est-il déjà produit dans l'histoire ? Est-il envisageable dans le contexte actuel ?

Oui, il y a quelques mois la banque centrale du Danemark a décidé d’appliquer un taux d’emprunt négatif sur les dépôts des banques, à l’image de ce qu’avait également fait la banque centrale suédoise en 2009. La Suisse a également menacé d’introduire des taux d’intérêts négatifs sur les dépôts, non pas pour stimuler le marché du crédit mais plutôt pour empêcher l’appréciation du franc suisse qui apparait de plus en plus comme un frein aux exportations, notamment dans la zone euro.

Or dans la situation de la Banque centrale européenne (BCE), on ne peut pas considérer que l’argument des taux négatifs soit utilisé pour faire baisser le cours de la devise européenne sachant que cette dernière évolue autour des 1,3 dollars, loin des 1,6 dollars de 2008 ou encore des 1,49 dollars de 2011. Même si à l’annonce de cette possibilité, l’euro s’est déprécié de 1,5% face au dollar en quelques minutes, plusieurs membres de la BCE, dont Ewald Nowotny, ont rapidement fait comprendre vendredi que les marchés avaient "sur-interprété" les éléments communiqués par le président de la BCE dans son intervention de la veille. Ce dernier avait laissé entendre pendant la conférence de presse de la BCE que cette dernière était "techniquement prête" à abaisser son taux de dépôt actuellement à 0%, ce qui le rendrait immédiatement négatif.

Le démenti sur l’imminence de cette mesure par plusieurs membres de la BCE laisse clairement penser que cette mesure ne sera pas appliquée dans les mois qui viennent. Ewald Nowotny expliquant clairement qu’il faudrait bien analyser les effets secondaires et psychologiques d’une telle mesure.

L'adoption de taux de dépôt négatif ne serait-elle pas un indicateur d’une profonde dégradation de la conjoncture ?

La problématique de la BCE et des dirigeants européens actuellement est la transmission du crédit aux PME, les grands groupes parvenant toujours à se financer par le circuit bancaire traditionnel ou sur les marchés. Or appliquer des taux négatifs sur les dépôts des banques pour stimuler le crédit ne semble être la mesure la plus appropriée dans cette situation. En effet, même si certains établissements bancaires en zone euro poursuivent leurs opérations de "deleveraging", réduisant ainsi la voilure sur certaines activités et limitant leurs risques, d’autres se trouvent également confrontées à un problème de demande. Face à l’incertitude économique et aux craintes sur l’avenir en zone euro, de nombreuses entreprises n’investissent plus. La problématique de la zone euro est donc à la fois une problématique d’offre que de demande.

Et pour stimuler la demande, la BCE a un rôle quasi nul. Ce rôle appartient à la classe politiques et aux différents gouvernements, le rôle de redonner un sens au projet européen, de mettre en place des mesures de relances à court, moyen et long terme, de définir les contours de l’après-crise pour casser le cercle vicieux de la récession économique et de la hausse du chômage.

La fait pour une banque centrale d’aborder la thématique des taux négatifs sur les dépôts est clairement le signe d’une dégradation de la conjoncture. Si on prend le cas de la Suisse par exemple, la menace de mettre en place des taux négatifs a été utilisée pour limiter l’appréciation de la devise nationale, faisant office de valeur refuge dans une Europe en crise. Plus le contexte économique se dégradait en zone euro, plus le franc suisse était recherché comme valeur refuge, cette survalorisation mettant en danger les exportations suisses, la BNS a décidé en 2011 de fixer un plafond à l’appréciation du franc suisse, face à l’euro notamment.

Un des rares effets positifs de la mise en place de taux négatifs serait de faire pression à la baisse sur l’euro face aux autres devises, stimulant ainsi légèrement les exportations…mais exposant la zone euro à une hausse potentielle de l’inflation, ayant pour conséquence une baisse du pouvoir d’achat.

Propos recueillis par Olivier Harmant

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