La BCE baisse (enfin) ses taux, voilà pourquoi il ne faut surtout pas écouter ceux qui s’en alarment à grands cris<!-- --> | Atlantico.fr
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La Banque centrale européenne (BCE) a annoncé une réduction de 0,25 point de pourcentage des principaux taux d'intérêt, citant une baisse de l'inflation.
La Banque centrale européenne (BCE) a annoncé une réduction de 0,25 point de pourcentage des principaux taux d'intérêt, citant une baisse de l'inflation.
©KIRILL KUDRYAVTSEV / AFP

Zone euro

La Banque centrale européenne a annoncé jeudi une réduction de 25 points de base de ses trois taux directeurs.

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue est professeur d'économie à l'université de Lille. Il est le co-auteur avec Stéphane Ménia des livres Nos phobies économiques et Sexe, drogue... et économie : pas de sujet tabou pour les économistes (parus chez Pearson). Son site : econoclaste.net

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Atlantico : La BCE a entamé une baisse de ses taux d’emprunts, pour la première fois en plusieurs années. Une situation qui n’est pas sans inquiéter certains, au sein de l’institution. Plusieurs, parmi lesquels Joachim Nagel de la Bundesbank, appellent à la prudence et à ne pas s’installer dans une politique de l’auto-pilotage. Que dire, pour commencer du contexte dans lequel s’ancre cette décision ?

Alexandre Delaigue : Comme chacun le sait, la Banque Centrale Européenne – de même que toutes les banques centrales du monde peu ou prou – ont mené des années durant une politique de taux très bas. C’est un phénomène que nous avons pu observer sur les deux tiers de la décennie 2010. Les taux, à ce moment, étaient si bas qu’il n’était plus vraiment possible de continuer à descendre et nous avons ensuite assisté à ce qui a relevé de la politique de la normalisation de cette situation. Cependant, à l’issue de la pandémie de COVID, nous avons fait face à d’importantes pressions inflationnistes et, assez naturellement, les banques centrales ont opté pour une remontée des taux. La Banque Centrale Européenne ne s’est pas particulièrement démarquée à ce sujet. Depuis 2019, elles ont ensuite manqué d’occasions de procéder à de nouvelles baisses de taux, dans un premier temps parce qu’ils étaient déjà assez bas et dans un second temps parce qu’il a fallu composer avec le redémarrage des économies européennes et les goulots d'étranglement engendrés par la sortie des confinements comme par l’inflation. Sans oublier, bien sûr, l’impact de la guerre d’invasion russe en Ukraine. Là encore, la Banque Centrale Européenne ne s’est pas particulièrement distinguée de ses homologues et a maintenu les taux assez élevés.

Nous avons assisté, des années durant, à une perspective haussière des taux d’intérêts.

Ce que l’on observe aujourd’hui, c’est que l’impact des chocs économiques qui étaient responsables de la hausse de l’inflation a pris fin. Dès lors, nous avons aussi observé une chute conséquente des taux d’inflation en Europe, notamment. Auparavant, ils flirtaient du côté des 10%, dorénavant, on est plutôt entre 2 et 3% de manière tendancielle. Naturellement, cette nouvelle donne n’est pas sans soulever un certain nombre de questions… à commencer par celle de savoir quoi faire pour assurer le retour de la croissance. Et ce qui rend la décision de la BCE assez notable aujourd’hui, c’est le fait qu’elle a décidé – pour une fois – de ne pas attendre la Fed. La BCE, qui a tendance à anticiper l’action de son homologue américaine sur la question des hausses de taux et à attendre son avis sur celle des baisses de taux, a opté de son propre chef pour une baisse de taux. Elle a donc pris l’initiative.

C’est un choix que l’on peut aisément justifier, compte tenu du contexte actuel. Il faut toutefois dire qu’en l’état actuel des choses – et comme c’est toujours le cas – la raison voudrait sans doute que l’on attende d’avoir un peu de recul pour juger de la qualité réelle de cette décision.

Rappelons toutefois que les banques centrales s’appuient sur deux acteurs principaux pour déterminer leur politique en matière de taux d'intérêt : il y a d’abord le mandat de lutte contre l’inflation, qui va les pousser à s’enquérir de l’état du marché du travail (on parle ici de potentiels pressions à la hausse des salaires) et des éventuelles anticipations d’inflation (illustrées notamment par le sentiment des acteurs économiques, tant ménages que entreprises). Quand elles s’inquiètent d’une poussée inflationniste, les Banques centrales ont tendance à remonter les taux. Aujourd’hui, en zone euro, tout porte à croire que les anticipations d’inflation sont faibles et que l’inflation est donc durablement descendue. A cet égard, une baisse des taux apparaît logique, d’autant qu’il n’est pas possible de parler d’une tendance très haussière du côté des salaires. Sans oublier les signaux qui laissent à penser que l’économie risque de ralentir ! C’est le cocktail parfait pour pousser la BCE a baisser ses taux aujourd’hui, quand bien même elle annonce aussi que chaque décision en ce sens fera l’objet d’une analyse poussée afin de ne pas faire d’erreur.

Faut-il craindre les baisses de taux, ainsi que le font parfois certains des membres de la BCE ou de banques centrales nationales ? Leur inquiétude est-elle justifiée ?

L’argumentaire que nous venons d’évoquer explique pourquoi il est tout à fait raisonnable d’estimer qu’il est utile de procéder à des baisses de taux aujourd’hui. Nous avons des raisons de penser que ce à quoi nous avons été confrontés jusqu’à présent constituait avant tout un choc temporaire sur les prix et non une inflation durable. Dans ce cas de figure, nous faisons aujourd’hui face à des taux d’intérêts supérieurs aux taux d’inflation constatée et la question qui se pose aujourd’hui est donc celle de la capacité de l’Europe à supporter des taux d’intérêts positifs aussi élevés. On peut légitimement penser que l’inflation, c’est terminé, et qu’il est grand temps de se préoccuper de l’économie sur le long terme. Cet argumentaire, que l’on ne peut pas balayer d’un simple revers de la main, justifie une baisse des taux telle que celle aujourd’hui décidée.

Notons également qu’il existe des arguments en faveur de la prudence que revendiquent les tenants d’un maintien du statu quo. Cet autre argumentaire consiste à dire que, certes, l’inflation a diminué mais qu’elle demeure tout de même au-dessus de l’objectif de long terme fixé à 2% par les banques centrales. Il s’agit ici de rappeler que leur rôle principal consiste normalement à maintenir l’inflation aux alentours de ce palier parce que c’est de lui que dépend la confiance que d’aucuns peuvent placer dans notre système. C’est sur la base de celui-ci que sont calculés les salaires à venir, les prix à venir, que les citoyens peuvent prendre des décisions de long terme. Ce n’est pas faux non plus.

En l'occurrence, la BCE a décidé de ne pas trancher entre ces deux arguments de façon trop marquée. La baisse de taux décidée a de quoi satisfaire (relativement, au moins) les tenants du premier discours sans trop hérisser ceux du second, à qui elle cherche à présenter des gages en affirmant qu’il faudra attendre jusqu’en septembre pour pouvoir analyser les effets précis de cette décision et qu’il ne faut pas s’attendre à une grande logique de baisse de taux pour autant.

Peut-on parler de frilosité de la BCE (ou de certains au sein de l’institution) à l’égard des baisses de taux ? Quel est le danger réel que l’on court si l’on décide de ne pas procéder de la sorte ?

La question de la frilosité de la BCE concernant la baisse des taux est un débat aussi vieux que la zone euro, ou presque. Il y a toujours eu des nations et des banquiers centraux qui se sont inscrits dans une logique très restrictive et pour qui l’inflation a toujours constitué le seul compas. Ceux-là assurent que la BCE doit être concentrée sur un seul objectif : celui du maintien de l’inflation à un niveau acceptable. On sait très bien qui sont les pays concernés… Il s’agit de l’Allemagne, de l’Autriche notamment, mais aussi des Pays baltes. De l’autre côté de l’échiquier, on retrouve ceux qui reprochent à la BCE de se cantonner à ce seul objectif et pour qui il faudrait faire preuve d’un peu plus d’audace.

Force est de constater, en tout cas, que sur ce sujet la doctrine n’a pas beaucoup bougé. C’est quelque chose que l’on peut effectivement déplorer mais il faut aussi souligner que plus le temps avance, plus la BCE se retrouve appelée à porter et défendre un grand nombre d’objectifs. D’aucuns exigent d’elle qu’elle se préoccupe de l’égalité entre les hommes et les femmes sur le plan salarial, qu’elle contrôle les investissements verts et soutiennent les établissements bancaires qui se montreraient vertueux sur ce sujet… Il y a matière à penser que tout ceci devient excessif, indépendamment de ce que l’on peut d’ailleurs penser de la nature même de ces objectifs. Rappeler que l’inflation doit rester l’objectif principal n’est pas nécessairement une erreur, surtout si l’on estime que ces missions-là devraient incomber à nos gouvernants.

Notons enfin que ces différences d’approche n’émanent pas nécessairement d’une vision purement dogmatique d’un côté et pragmatique de l’autre. Elles répondent à des logiques différentes qui correspondent à des situations économiques différentes des Etats concernés.

Se refuser à baisser les taux, potentiellement, c’est s’exposer au risque de décrochage de l’Europe sur le plan économique. Particulièrement vis-à-vis des Etats-Unis, dont l’économie est soutenue par des aides et par la Fed depuis maintenant 10 ans environ. Elle bénéficie d’une politique budgétaire très expansionniste, ce qui n’est pas le cas de l’Europe, qui décroche notamment pour cela. Soyons honnête, néanmoins : s’il peut sembler nécessaire, pour l’Europe, de se préoccuper en priorité de sa croissance, ce n’est pas la BCE qui peut changer la donne à elle seule. Pas avec une baisse de taux d’un quart de point.

D’aucuns souligneraient potentiellement le risque représenté par une baisse des taux déplacée : en théorie, on peut en effet s’inquiéter de voir les anticipations d’inflation sur le long terme et s’éloigner du palier de 2%. Ce serait un vrai problème si cela arrivait et une politique de taux trop faibles peut engendrer des bulles sur les marchés d’actifs, par exemple. Mais le risque est assez faible en l’état et le pari de la BCE apparaît tout à fait raisonnable.

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