François Taquet : "actuellement, l'URSSAF n'a d'autre choix que de prendre les vêtements du Docteur Jekyll ; une fois la crise passée, elle reprendra très vite son costume de Mister Hyde…"<!-- --> | Atlantico.fr
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François Taquet dénonce la politique du chiffre des URSSAF.
François Taquet dénonce la politique du chiffre des URSSAF.
©GAIZKA IROZ / AFP

Un ami qui vous veut du bien

Dans "URSSAF : un cancer français" (éditions du Rocher), François Taquet dénonce la politique du chiffre de l'URSSAF et son absence de dialogue avec les entreprises.

François Taquet

François Taquet

François Taquet est professeur en droit du travail, formateur auprès des avocats du barreau de Paris et membre du comité social du Conseil supérieur des experts-comptables. Il est également avocat à Cambrai et auteur de nombreux ouvrages sur le droit social.

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Atlantico : Vous publiez "URSSAF : un cancer français" aux éditions du Rocher. Vous explorez les injustices et les absurdités liées à l'URSSAF. Comment expliquer que cet organisme soit devenu une telle "machine infernale" pour les entreprises ? Vous évoquez notamment le fait que l'URSSAF soit devenue un Etat dans l'Etat, et même plus puissante que l'Etat... Vous pointez du doigt aussi une forme d'amateurisme et des méthodes douteuses utilisées par l'URSSAF.

François Taquet : Nous ne sommes ni contre la Sécurité sociale et son système de solidarité ni contre les URSSAF qui ont pour mission de collecter les cotisations (500 milliards d’euros d’encaissement - à titre d’exemple, l’impôt sur le revenu ne représente que 87 milliards d’euros et l’impôt sur les sociétés 67 milliards d’euros), de les recouvrer et de contrôler si la législation a bien été respectée, tout cela pour financer le système de protection sociale… Ce que nous déplorons, ce sont les méthodes employées qui transforment aujourd’hui les URSSAF en machines à redressement… Et tout est bon en la matière : on se souvient ainsi du redressement qui avait touché les laissés-pour-compte recevant un modeste pécule de 20 € par jour d’une communauté d’Emmaüs. Lorsqu’un cotisant fait l’objet d’un contrôle, il en sort rarement indemne : 9/10° des contrôles de PME se terminent par un redressement… Peut-on dire que 9/10° des chefs d’entreprise soient des « fraudeurs », selon la terminologie des URSSAF ? La fin ne justifie pas tous les moyens…

Quelles seraient les pistes pour améliorer le fonctionnement de l'URSSAF et pour soulager les entreprises, les salariés, les artisans ou bien encore les professions libérales, qui se retrouvent en position de cibles faciles lors des contrôles ? Comment regagner la confiance de tous ces acteurs au regard des faits et des aberrations que vous dénoncez dans votre ouvrage ? 

Depuis des lustres, nous répétons sans cesse les mêmes arguments. Lorsqu’un contrôleur vient dans une entreprise, le cotisant qui se doit d’appliquer pèle mêle et les dispositions du Code du travail et les dispositions du Code de la sécurité sociale, est une proie facile… Comment assimiler les 12 000 articles du Codes du travail, la diarrhée de textes en matière de sécurité sociale, sans compter la production journalière du Journal officiel (à titre d’exemple, le JO du 31 décembre 2020 faisait plus de 1300 pages…) ? Mission impossible… ! Il faut donc créer un véritable droit à l’erreur (et non ce miroir aux alouettes qui nous a été proposé par le gouvernement en 2018), moins légiférer et stabiliser la loi, ce qui en France, quel que soit le gouvernement paraît être un vœu pieu… Dans ces conditions, il faut développer davantage le dialogue entre ces organismes et les entreprises (par exemple en réformant les commissions de recours amiables, première étape du contentieux, qui aujourd’hui ne servent à rien, si ce n’est à augmenter le montant des majorations de retard…) ! En un mot, il faut une administration aidante et non punitive… Or, ce n’est pas le cas. Les URSSAF sont des organismes brutaux, qui ne recherchent pas le dialogue mais sont obsédés par la politique du chiffre et de la performance….

Vos réflexion semblent d’autant plus surprenante que ces organismes sont administrés par les partenaires sociaux…

C’est en effet une particularité du système français né de l’après-guerre. Ces organismes sont administrés par les partenaires sociaux et les présidents des 22 URSSAF sont issus du MEDEF ou de la CPME. A ce titre, ils peuvent formuler des propositions pour améliorer le processus. Le font-ils ? Nous en doutons beaucoup, beaucoup de représentants se contentant d’un rôle de figurant. En tout cas, s’ils le font, ils ne sont guère écoutés et devraient se poser la question de leur utilité !

Une partie importante de votre livre traite du travail du travail dissimulé. Pourquoi émettre des réserves en la matière sur les actions des URSSAF ?

Plus de la moitié des redressements concernent le travail dissimulé. Loin de nous, évidemment, de cautionner le « travail au noir », mais il faut toutefois rappeler que pour les URSSAF constitue du travail au noir ou du travail dissimulé, le cas de « Mamie bistro » qui aide bénévolement son conjoint, du client de bar qui vient rapporter son verre au comptoir, de l’entraide entre voisins, de la personne qui vient aider son frère sur un marché… Aujourd’hui on relève qu’avec les définitions très vastes et attrape tout du travail dissimulé, la plupart des chefs d’entreprise sont dans le travail dissimulé sans même le savoir (comme Monsieur Jourdain faisait de la prose sans le savoir) ! Cela n’est pas acceptable. Et force est de constater que les professionnels du droit rencontrent bien davantage ce type de dossiers, que les situations de détachement illégal compliqués à caractériser pour les organismes de recouvrement… Avec à la clé des conséquences d’une violence économique inouïe et disproportionnée pour le contrevenant.

Est-il possible de repenser le modèle social français et son financement au regard du fonctionnement de l'URSSAF ? La situation n'est-elle pas déjà désespérée au regard du titre de votre ouvrage ("un cancer français") et des fruits de votre enquête, au regard des difficultés et des errements de l'URSSAF ? Quels traitements de choc pourraient permettre de sortir de l'ornière et de cette situation complexe ? 

A l’origine d’un cancer, il y a des cellules utiles qui se développent de manière incontrôlée. L’URSSAF est utile mais ses moyens d’action, ce tir aux pigeons que nous constatons aujourd’hui, n’est pas acceptable et devrait laisser place au dialogue. Plusieurs propositions simples (que nous formulons depuis des années) permettront de mieux cerner notre combat : en cas de redressement suite à contrôle, permettre (comme en matière fiscale) l’intervention d’un tiers afin de créer les conditions du dialogue ; donner la possibilité au cotisant de venir défendre son dossier devant la Commission de recours amiable, première étape du contentieux ; revoir de fond en comble la définition du travail dissimulé….

La crise sanitaire de la Covid-19, son impact économique, la stratégie du "quoi qu'il en coûte" et les projections sur le "monde d'après" ne vont-ils pas constituer de nouvelles difficultés et représenter un casse-tête supplémentaire pour les entreprises, les entrepreneurs, les professions libérales face à l'URSSAF ?

Les URSSAF ont une double personnalité : Docteur Jekyll et Mister Hyde. Actuellement, en cette période de crise économique sans précédent, l’URSSAF doit prendre les vêtements du Docteur Jekyll… Elle n’a pas le choix car les cotisants ne peuvent assurer leurs obligations. D’où les slogans (voire la propagande) diffusés par les organismes, suivant lesquels l’URSSAF est au côté des entreprises. Mais gageons que la crise terminée, l’URSSAF reprendra très vite son costume de Mister Hyde…

François Taquet et Nicolas Delecourt publient "URSSAF : un cancer français" aux éditions du Rocher.

Deux extraits de l'ouvrage :

- L’URSSAF, un Etat dans l’Etat, prétendument au service des entreprises ?

- Les URSSAF, plus puissantes que l’Etat ?

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