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L’urgence d’un deuxième porte-avions pour la France
©Reuters

Militaire

Investi des pouvoirs présidentiels, Emmanuel Macron pourrait consacrer son premier voyage à l’étranger aux troupes françaises déployées au Sahel. D’emblée, il se poserait donc en chef des armées.

Jean-Sylvestre Mongrenier

Jean-Sylvestre Mongrenier

Jean-Sylvestre Mongrenier est docteur en géopolitique, professeur agrégé d'Histoire-Géographie, et chercheur à l'Institut français de Géopolitique (Université Paris VIII Vincennes-Saint-Denis).

Il est membre de l'Institut Thomas More.

Jean-Sylvestre Mongrenier a co-écrit, avec Françoise Thom, Géopolitique de la Russie (Puf, 2016). 

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On prête au nouveau président français la volonté de mettre en oeuvre une diplomatie cohérente et claire, étayée par un appareil militaire renouvelé. Dans l’immédiat, le président français ne sera pas en mesure de déployer le Charles-de-Gaulle, cet instrument de souveraineté de premier ordre.

Antan, toute crise d’importance au Moyen-Orient ou ailleurs conduisait le Chef de l’Etat à afficher la place et le rôle de la France en déployant un groupe aéronaval. Avec une opération de maintenance du porte-avions de dix-huit mois, jusqu’en juillet 2018, sa latitude d’action est sérieusement amputée. 

Certes, le Charles-de-Gaulle sortira considérablement renforcé de cet « arrêt technique majeur » et la possession d’un tel bâtiment place notre pays dans le club étroit des nations détentrices de capacités aéronavales. Le problème réside dans l’inexistence d’un « sister ship » (bâtiment jumeau). En conséquence, la France ne dispose plus de la « permanence à la mer », ce qui réduit les options du Chef de l’Etat et l’autonomie stratégique nationale. 

Il importe de comprendre en quoi le porte-avions constitue un moyen d’action exceptionnel. Cette base navale mobile et souveraine confère au pouvoir politique la capacité d’agir sans dépendre des contraintes diplomatiques et logistiques qui conditionnent l’emploi de la force armée à partir d’installations situées en territoire étranger. Sa puissance de feu peut assurer l’« entrée en premier » sur un théâtre d’opérations, puis renforcer la manœuvre terrestre, sans augmenter l’empreinte au sol. 

Alors que l’émergence navale de nouvelles puissances traduit la volonté de remettre en cause la longue hégémonie occidentale sur l’« Océan mondial », la possession de porte-avions conditionne la maîtrise de l’élément maritime. En effet, la mise en œuvre d’un groupe aéronaval est déterminante dans l’action contre la flotte de combat adverse, l’aviation embarquée assurant une allonge en termes de renseignement et de frappe qui permet de surclasser l’ennemi. 

Surtout, la présence d’un groupe aéronaval dans une zone du monde permet d’afficher son ambition politique et sa résolution, de tenir un rôle décisif au sein des alliances et coalitions, de peser dans la grande politique mondiale. A cet égard, le déplacement du porte-avions américain Carl Vinson et de son escorte vers la péninsule coréenne ainsi que le lancement par la Chine d’une deuxième plateforme de ce type soulignent l’importance géopolitique d’un tel outil de puissance. 

En vérité, les guerres et conflits géopolitiques dans lesquels la France est engagée depuis de longues années ont démontré la grande valeur stratégique du Charles-de-Gaulle. Au cours de son deuxième cycle opérationnel, entre 2009 et 2016, les Rafale ont remplacé les Super Etendard et le porte-avions français embarque désormais une flotte capable de voler pendant plus de sept heures et de frapper des objectifs situés au-delà de 2000 kilomètres. 

Après l’attentat contre l’hebdomadaire satirique Charlie Hebdo, en janvier 2015, le groupe aéronaval français a rapidement appareillé afin de porter la réponse sur le théâtre syro-irakien, là où s’enracine l’Etat islamique. Il en est allé de même après les attentats de Paris, la même année, puis l’attaque terroriste de Nice, le 14 juillet 2016. Au cours de ce dernier engagement, le Charles-de-Gaulle a doublé la contribution française à l’opération Inherent Resolve et, en deux semaines, a opéré une « bascule » entre la Méditerranée orientale et le golfe Arabo-Persique.

La situation internationale, les ambitions de puissances émergentes ou ré-émergentes et la convergence de multiples lignes dramaturgiques confortent donc le choix opéré de conserver une telle capacité. Il convient d’insister sur le rôle de premier plan tenu par les porte-avions dans les rapports de force mondiaux. Si la Russie ne possède que le Kuznetsov, il existe un projet de plateforme d’un tonnage de 100.000 tonnes. Compétiteur stratégique de l’Occident, la Chine populaire pourrait à terme posséder quatre porte-avions. Soucieuse de contrecarrer son expansionnisme naval, l’Inde entend déployer un porte-avions sur chacune de ses façades maritimes.

Aussi est-il temps que la France se dote d’une deuxième plateforme et anticipe le remplacement à moyen terme du Charles-de-Gaulle, à l’instar de son voisin et allié, le Royaume-Uni, qui affiche son objectif de « permanence à la mer ». Les tenants de la raison comptable opposeront le coût d’un tel projet mais l’argument ne tient pas. En son temps, le Charles-de-Gaulle ne représentait que le douzième programme d’armement français et le financement d’un nouveau porte-avions est à la portée du budget militaire français. 

Tel qu’il est évalué, le coût s’élèverait à 4,5 milliards d’euros, ce qui représente 450 millions d’euros pendant dix ans, soit 1,5 % du budget de la Défense en volume annuel, ou encore 0,02 % du PIB. Le ratio est très raisonnable, a fortiori si le pays consacre 2 % du PIB à la chose militaire. De surcroît, ces dépenses ont d’importantes contreparties en termes de technologies de souveraineté, de centres d’excellence et d’emplois qualifiés. 

In fine, il en va de l’autonomie stratégique de notre pays, de son rôle de « nation-cadre » et du rang qu’il entend tenir dans un monde dont les équilibres basculent. Puissance détentrice du deuxième domaine maritime mondial, la France devrait être à l’avant-pointe d’une Europe du grand large. 

Eminemment politique, la question du deuxième porte-avions n’est encore que timidement abordée par Emmanuel Macron. Elle a toute sa place dans le débat  sur les grandes directions de la diplomatie de la France et le renforcement de sa politique de défense.

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