L’un des 3 patrons de Zalando démissionne pour donner la priorité à la carrière de sa femme : et au fait, combien d’hommes font-ils le choix de rester au foyer ?<!-- --> | Atlantico.fr
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©TOBIAS SCHWARZ / AFP

(R)évolution ?

Rubin Ritter, un des co-dirigeants de Zalando va quitter le premier groupe européen du prêt-à-porter en ligne en 2021 pour « donner une nouvelle direction » à sa vie et laisser « la priorité » à la carrière de sa femme. Est-ce une tendance qui prend de l’ampleur ?

Audrey Richard

Audrey Richard

Audrey Richard est présidente de l'Association nationale des DRH (ANDRH) qui regroupe plus de 5000 membres.

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Atlantico.fr : L’un des trois patrons de Zalando a annoncé quitter son poste pour permettre à sa femme de se consacrer à sa carrière. Le fait de prendre l’exemple d’un grand patron et de le souligner montre que ce phénomène est assez rare, mais est-ce une tendance qui prend de l’ampleur ? Dispose-t-on de chiffres sur le sujet ?

Audrey Richard : Sur l’évolution de ce phénomène nous n’avons pas de chiffres. Mais il y a une source que nous pouvons mobiliser : le Conseil supérieur à l’égalité entre les hommes et les femmes. Là, ce que l'on constate c’est qu’aujourd’hui les femmes s’occupent très majoritairement des enfants et s’occupent un peu moins de leur évolution professionnelle. Elles sont soit amenées à réduire leur temps de travail, soit à s’arrêter de travailler. C’est majoritaire pour les femmes. Les hommes, eux, ne sont qu’à 6% concernés par une réduction ou un arrêt de leur activité quand arrive un enfant. Pour les mères, c’est 50% voire plus. Les chiffres ne montrent donc pas une tendance. L’exemple de Zalando, qui est assez médiatique, est très intéressant et important, mais il est trop tôt pour parler de vrai phénomène de société. Bien évidemment, c’est une initiative individuelle qui est à souligner et qui rentre dans une dynamique d’évolution. Les attentes « genrées » évoluent, celles des pères aussi. Il y a des pères qui se mettent à temps partiel, qui veulent avoir du temps, rééquilibrer les tâches. Les attentes changent, lentement, mais cela se passe.

Y-a-t-il eu des évolutions dans le droit du travail, à travers le monde et surtout en France qui ont peuvent inciter à ces nouveaux comportements ? 

Il y a trois niveaux d’évolution : au niveau légal, citoyen et individuel. Si on prend les évolutions au niveau légal, en France, il vient d’y avoir l’adoption définitive du congé paternité à hauteur de 28 jours. C’est intéressant parce que cela représente quand même une évolution importante pour notre société. On voit que la durée du congé paternité évolue et que l’on rend 7 jours de prise de congés obligatoires. La majorité des pères prennent leur congé paternité mais cela diminue avec le niveau hiérarchique. 78% des pères le prennent en intégralité, mais ce taux tombe à 47% pour les cadres dirigeants. Sur la partie citoyenne, on constate une évolution, notamment à travers le Parental Act. C’est un collectif d’entreprises qui estiment que quatre semaines est un délai minimal pour accueillir un enfant et ancrer des habitudes familiales équilibrées et équitables. Ils militent pour un congé de 4 semaines pour le second parent rémunéré à 100%. Il y a 391 entreprises signataires, majoritairement des entreprises qui incarnent la nouvelle génération : Goods to know, Yuka, Cheers, etc. Cela montre une évolution de la société, qui change grâce à ce type d’action. Le modèle de la famille s’enrichit du même coup. Enfin, il y a les initiatives personnelles, comme celle de Rubin Ritter, le co-président de Zalando, qui donne l’exemple et fait évoluer les représentations et les stéréotypes que l’on peut avoir. A cela s’ajoute une quatrième brique qui est la fonction RH. Le point important pour nous c’est de favoriser l’évolution professionnelle des hommes ET des femmes. Ce qu’on voit nous comme phénomène qui prend de l’ampleur, ce n’est pas des hommes ou des femmes qui quittent leur poste pour donner la possibilité à l’autre de faire carrière, ce sont des phénomènes de « doubles carrières ». Les couples à « double carrière » sont ceux qui font carrière tous les deux. Aujourd’hui, avec l’évolution des besoins des candidats, l’entreprise doit aussi favoriser cela. Quand on envisage une mobilité internationale par exemple, il peut y avoir des accompagnements pour le conjoint dans la recherche d’emploi. On nous dit de plus en plus : "Je peux partir, mais qu’en est-il de mon conjoint ?". Ce qu’on voit aussi, ce sont des temps de carrière. A tour de rôle, chacun va s’investir davantage à des moments clés de la famille ou de la vie professionnelle. Cela va être le cas lors d’une prise de fonction ou d’une mobilité.

Quels sont les freins à cette dynamique qui peuvent expliquer que ce sont plus souvent les femmes qui abandonnent leurs emplois et leur carrière pour leur conjoint que l’inverse ? 

Aujourd’hui l’évolution de la société fait que nous, en tant que RH, on doit aussi casser les stéréotypes et les idées qui disent que l’on doit se sacrifier pour l’autre. La jeune génération mais aussi celle d’avant est moins dans ces stéréotypes sur la vision de l’homme et de la femme qui se manifeste par le fait que la femme doit s’arrêter. Cela ne marche plus. Nous, DRH, devons accompagner cela et être à la hauteur des attentes des couples de quelque nature qu’elles soient. Il reste du chemin mais on voit qu’il y a une évolution. Le stéréotype est un frein majeur. On le connait tout au long de notre vie : en études, en début d’emploi, en évolution professionnelle. Donc donner une vision comme Zalando, cela montre qu’il est possible concrètement de faire autre chose donc c’est très bien mais il ne faut pas dire que c’est la majorité parce que ce n’est pas le cas. La bataille elle se fait sur tout, les horaires, la charge de travail, la qualité de vie professionnelle et personnelle, pas seulement sur le salaire.

Comment les RH peuvent-elles accompagner ce phénomène ?

Elles peuvent le faire par la sensibilisation, à travers le témoignage, des histoires réalisées au sein des entreprises. C’est comme cela qu’on peut le faire et aussi en contribuant à la réalisation des évolutions professionnelles, des promotions. Par exemple, quand on travaille sur un plan de succession, le rôle des RH c’est peut-être de présenter un profil d’homme et de femme et se forcer à aller chercher un double profil pour permettre la même chance, la même réflexion, autour de projets professionnels qui pourraient être proposés tant pour les hommes que pour les femmes. Ce n’est pas suffisamment fait, mais c’est de notre rôle et de notre ressort. Cela permet de lutter contre les stéréotypes et la stigmatisation de certains.

Pour que cela soit un vrai choix de l’homme ou de la femme c’est, à mon sens, à l’employeur de s’assurer qu’il y a une bonne conciliation vie familiale-vie professionnelle sans qu’on ait un membre qui soit obligé de sacrifier sa carrière pour que l’autre réussisse. Il y a un travail à faire sur l’organisation du travail, la charge de travail, le lieu, les modes de délégation, etc. 

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