L'Ukraine tiraillée : pourquoi une partition raisonnable à la tchécoslovaque est possible… mais improbable <!-- --> | Atlantico.fr
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L'opposante Ioulia Timochenko a été libérée.
L'opposante Ioulia Timochenko a été libérée.
©Reuters

Guerre ou paix

Une nouvelle ère a commencé dimanche en Ukraine après la destitution du président Viktor Ianoukovitch et la libération de l'opposante Ioulia Timochenko. Une situation qui relance la question d'une séparation du pays.

Guillaume Lagane

Guillaume Lagane

Guillaume Lagane est spécialiste des questions de défense.

Il est également maître de conférences à Science-Po Paris. 

Il est l'auteur de Questions internationales en fiches (Ellipses, 2021 (quatrième édition)) et de Premiers pas en géopolitique (Ellipses, 2012). il est également l'auteur de Théories des relations internationales (Ellipses, février 2016). Il participe au blog Eurasia Prospective.

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Atlantico : Alors qu'une une nouvelle ère a commencé dimanche en Ukraine après la destitution du président Viktor Ianoukovitch et la libération de l'opposante Ioulia Timochenko. Cela relance ainsi la  séparation prochaine du pays. Une sortie de crise pacifiste à la tchécoslovaque est-elle possible ? A quelles conditions ?

Guillaume Lagane : Effectivement la question de la division de l'Ukraine se pose aujourd'hui. La situation semble un peu inversée par rapport à quelques semaines auparavant, où l'on se demandait si ce n'était pas l'Ouest du pays qui allait faire sécession pour résister à la partie russophone et à sa volonté d'intégrer la zone d'influence de Moscou. Aujourd'hui la situation est un peu renversée. La capitale Kiev est sous la domination des révolutionnaires pro-occidentaux, et Ianoukovitch ainsi que ses alliés semblent s'être réfugiés à Kharkov dans l'Est, ou en Crimée où il a une résidence. Du coup, cela relance la question de la séparation du pays, mais cette fois à l'initiative de l'Est qui souhaiterait, soit refuser la légitimité du pouvoir centrale, soit négocier une partition avec le maintien des liens privilégiés avec la Russie. On sait d'ailleurs que c'est une volonté qui est forte dans la région du Donbas, dans l'Est de l'Ukraine. Véritable zone industrielle, elle a des intérêts économiques important parce qu'elle exporte beaucoup vers la Russie. Sur le littoral sud, il y a la Crimée avec l'enjeu de la base de Sébastopol et la présence de populations russophones. C'est un scénario qui pourrait se dérouler, mais le scénario tchécoslovaque était marqué par un enchainement pacifique, il n'y a pas eu d'affrontements entre Tchèques et Slovaques, la division s'est faite à l'amiable, l'état d'esprit en Ukraine ne semble pas le même.

Ne peut-on pas espérer une entente politique consensuelle après les affrontements ?

Il est toujours difficile de savoir si on ne peut pas malgré tout trouver un consensus. Cependant, la révolution orange de 2004 s'était déroulée de manière complètement pacifique. De plus, on n'a pas non plus ici la Révolution de velours qu'avait mené Václav Havel et les leaders de la Tchécoslovaquie. On a au contraire des affrontements qui ont fait plusieurs dizaines de morts, principalement du côté des révolutionnaires. A partir de là, un accord politique semble fragilisé. Il y a cependant des motifs d'espoir, car une bonne partie des membres du Parti des régions soutient maintenant le nouveau pouvoir central. Le Parti des régions s'est écarté lui-même de Ianoukovitch qu'il a accusé d'être un dirigeant criminel ayant pris seul la décision de réprimer les manifestants. Cela montre que dans ce Partie des régions, dominant à l'Est et au Sud du pays, la volonté d'affrontement n'est pas évidente. Du coup, cela ouvre la possibilité d'un compromis. En plus, les élites politiques des deux parties savent que l'Ukraine est dans une situation économique extrêmement fragile. Elle a besoin d'un prêt du FMI nécessaire car l'Etat n'a plus d'argent. Il faut donc recréer une sorte de consensus national sur des réformes économiques qui seront assez difficiles à avaler pour la population, et notamment l'augmentation du prix du gaz.

A quoi ressemblerait un Etat fédéral composé de plusieurs entités autonomes en Ukraine ?

Si un consensus émerge, on pourrait effectivement avoir une situation de compromis où l'unité de l'Ukraine serait préservée, ce à quoi beaucoup d'Ukrainiens semblent tenir. Aujourd'hui, il y a un système de régions, les "oblast", qui divisent le pays en entités administratives. On pourrait imaginer effectivement que ces régions aient davantage de pouvoir, en particulier au niveau culturel, puisque dans l'Ouest de l'Ukraine, il y a une volonté de rompre avec le passé Russe et Soviétique - les statues de Lénine ayant été démantelées - alors que dans le Donbas et dans la partie Est, les populations âgées et les ouvriers qui craignent des réformes économiques restent attachés à ce passé mythifié de l'URSS. On pourrait imaginer qu'eux conservent la pratique du Russe et des symboliques rappelant la Russie.

Quelles seraient les limites économiques d'une réelle partition du pays ?

Le gros problème de l'Ukraine c'est qu'elle est un peu mono sectorielle. Il y a deux poids lourds que sont le secteur agricole d'une part - l'Ukraine étant le grenier à blé de l'Europe- et d'autre part l'industrie métallurgique concentrée dans l'Est du pays. Cette dernière était très développée à l'époque soviétique. La partition du pays se voit ainsi dans l'économie car il y a cette opposition entre l'Est et l'Ouest. En même temps, ces deux parties ont quand même intérêt à rester en semble parce qu'au fond, elles ont les mêmes faiblesses. L'Ukraine est un exportateur de produit industriels basiques de type aluminium et de produits agricoles. Elle a connu un effondrement complet de son économie dans les années 90 juste après l'indépendance, sous la présidence de Leonid Koutchma. Ensuite, dans les années 2000, elle a connu une croissance forte du fait de la croissance mondiale qui achetait de l'aluminium, l'acier, et le blé du pays. Le problème vraiment majeur de l'Ukraine a débuté en 2008 avec la crise économique mondiale qui a ralenti la croissance dans le pays et provoqué des dérives dans les comptes publics, révélant ainsi les faiblesses d'une économie qui doit aujourd'hui se réformer. Il faut notamment restaurer un secteur bancaire efficace, accepter un prix du gaz plus élevé, diversifier l'économie et l'ouvrir pour la rendre plus honnête car elle est extrêmement corrompue. Il y a donc des réformes à faire, et pour le coup, l'Est comme l'Ouest sont concernés.

Qui gagnerait à l'instauration d'une partition du pays ? (Russie / Europe / Ukraine elle-même )

Aujourd'hui, on a l'impression que la création d'un état fédéral ou une partition du pays profiterait à la Russie. C'est peut-être la carte que les Russes s'apprêtent à utiliser, car malgré la relative réussite  pour le régime des JO de Sotchi, la perte de l'Ukraine est un coup dur pour Poutine qu'on disait gagnant, et qui à vient d'enregistrer une défaite assez sévère de sa reprise en main de l'espace ex-soviétique. Il pourrait ainsi être tenté de relancer la volonté d'autonomie de l'Est, de réactiver la scission, il l'a déjà fait en Géorgie en 2008. Cela pourrait être une carte à jouer pour faire pression sur le reste de l'Ukraine et les occidentaux.

Propos recueillis par Amandine Bernigaud

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