L'ONU a-t-elle démontré son incapacité à résoudre le conflit en Syrie ?<!-- --> | Atlantico.fr
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L'ONU est critiquée pour son incapacité à résoudre le conflit syrien.
L'ONU est critiquée pour son incapacité à résoudre le conflit syrien.
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Mission impossible

De Kofi Annan à Bernard Henri-Levy, les critiques se multiplient depuis quelques jours sur la gestion de la crise syrienne par l'ONU. Même l'Assemblée générale de l'institution dénonce le comportement du Conseil de sécurité.

Mathieu  Guidère

Mathieu Guidère

Mathieu Guidère est islamologue et spécialiste de veille stratégique. Il est  Professeur des Universités et Directeur de Recherches

Grand connaisseur du monde arabe et du terrorisme, il est l'auteur de nombreux ouvrages dont Le Choc des révolutions arabes (Autrement, 2011) et de Les Nouveaux Terroristes (Ed Autrement, sept 2010).

 

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Atlantico : Kofi Annan a démissionné jeudi de son poste d’émissaire de l’Onu, regrettant « son impuissance ». Comment s'explique cette situation ?

Mathieu Guidère : La démission de Kofi Annan indique l’échec de la diplomatie. Il ne faut quand même pas oublier que depuis février dernier, une mission de l'Onu est en place en Syrie. Le régime syrien avait signé le plan de l’Organisation pour différentes raisons :

  • une fin de la violence,
  • la libération de prisonniers politiques et de journalistes,
  • une transition politique.

C’est donc l’échec de la diplomatie, car rien n’a été respecté et le conflit syrien est devenu maintenant militarisé, avec l’utilisation des armes de guerre par le régime et les insurgés.

On est ainsi entré dans une phase de guerre par procuration entre différentes puissances. Nous avons d’une part la Russie, la Chine, l’Iran, le Hezbollah, qui soutiennent le régime syrien, puis un autre axe qui regroupe la Turquie, l’Arabie Saoudite, le Qatar et les États-Unis qui veulent la chute du clan Assad.

Voilà ce qui est visiblement affiché. Ces deux blocs montrent bien la difficulté à prendre une décision sur le cas syrien, car dans chacun d'entre eux, vous avez des membres du Conseil de sécurité qui ont un droit de veto. Au vue de la situation politique actuelle en Syrie, toute intervention diplomatique semble s’éloigner.

Plus que l’échec de la diplomatie, ne peut-on pas voir là l’échec du Conseil de sécurité de l'ONU ?

Le Conseil de sécurité fait partie du processus diplomatique. C’est parce qu’on négocie au sein du Conseil de sécurité qu’on peut arriver à une situation d’action. Le problème d’aujourd’hui souligne qu’à aucun moment ne s’est dégagé une position claire sur le chapitre 7 au sein du Conseil de sécurité. Ce chapitre repose sur l’autorisation d’une intervention du Conseil de Sécurité :

  • Dans son article 41, il y a possibilité de sanctions économiques, d’embargo.
  • Son article 42 regroupe d’autres sanctions, y compris l’intervention militaire. 

Les efforts de la France et la Grande- Bretagne n’ont pas réussi à convaincre Vladimir Poutine d’avoir une position un peu plus conciliante. Il n’y a donc bien un problème de diplomatie. Après, je ne pense pas que le Conseil de sécurité soit en crise. Il a montré par exemple dans le conflit libyen son efficacité. Le cas de la Syrie s’est confronté à un conflit d’intérêt. Enfin, le cas syrien met en avant la résurrection de la Russie qui joue son retour sur la scène internationale et au Moyen-Orient. 

Par cet échec diplomatique, l’ONU n’a pas su agir sur le cas de la Syrie. D’après vous, l’Assemblée générale va-t-elle sortir de l’impasse ?

L’Assemblée générale a déjà condamné le 17 février dernier les violences en Syrie et le régime syrien pour l’utilisation d’armes de guerre contre les civils. Cependant, elle n’a pas de moyens pour intervenir sur le terrain ni de motiver des missions. Cela reste le rôle du Conseil de sécurité.

A présent, l’Assemblée générale a condamné le Conseil de sécurité pour sa « non-assistance », car il est resté inactif face aux massacres de civils en Syrie.

On reste néanmoins dans une procédure interne des Nations unies, qui n’a pour l’instant aucun effet sur le terrain. Il y a donc un rapport de force interne pour essayer de montrer qu’il y a une majorité qui souhaite une résolution rapide du conflit syrien.

Bernard Henry Levy a regretté le manque d’action de la part du président François Hollande...

Je pense que la critique de Bernard Henri Levy est facile. D’abord, le président Hollande vient juste d’être investi. On ne peut pas lui demander d’avoir comme envie de déclencher une guerre. François Hollande n’a jamais dit qu’il se lancerait dans la résolution du conflit syrien. Ce n’est pas une priorité pour le président Hollande comme peut l’être la jeunesse ou l’éducation.

Je pense qu’il sera très difficile pour la France de renouveler l’expérience libyenne pour plusieurs raisons :

  • il faut d’abord trouver une coalition en dehors du Conseil de sécurité,
  • par ailleurs, je ne suis pas sûre que l’armée française ait digéré l’opération libyenne qui a duré plusieurs mois. Le budget de l’armée a le plus souffert depuis l’élection de François Hollande,
  • enfin, la France ne peut pas compter sur les États-Unis (élection présidentielle) ni sur l’Otan et ses alliés comme la Turquie.

Quelles sont d’après-vous les scénarios possibles pour sortir de la crise syrienne ?

Je vois 3 scénarios, un optimiste et deux pessimistes.

Le scénario optimiste serait une résolution interne du conflit. Face à l’extension possible de la guerre civile un peu partout dans le pays, on pourrait assister à un coup d’Etat de la part d’officiers de ce régime. C’est la solution la plus optimiste pour moi aujourd’hui.

On peut penser à des hommes comme l’ancien général Manaf Tlass, de confession sunnite ?

Oui, par exemple. Manaf Tlass pourrait jouer cette transition et arrêter les violences. Le problème de la Syrie aujourd’hui est Bachar el-Assad. Le peuple syrien n’appelle pas à d’autres changements dans l'immédiat.

Quelles sont les deux autres scénarios pessimistes ?

Un scénario de régionalisation et un autre d’internationalisation militarisée.

Pour le premier, on verrait le conflit syrien se régionaliser avec l’intervention et le soutien des acteurs régionaux plus ou moins indirectement :

  • Pour la rébellion, la Turquie, l’Arabie Saoudite et le Qatar
  • Pour le clan Assad, l’Iran, le Hezbollah et la Russie


Forcément à un moment donné, il y aura un vainqueur et un vaincu. L’armée régulière syrienne n’a pas encore donné toute la mesure de ses moyens. Si elle décidait de monter en puissance grâce à l’appui de ses alliés, elle pourrait aller vers des massacres encore plus importants dans l’espoir de résoudre l’insurrection. On en voit le début aujourd’hui mais pour moi le régime est condamné à long terme.

Le dernier scénario est celui de l’internationalisation du conflit. Les puissances occidentales interviendraient, à savoir la France, la Grande-Bretagne, les États-Unis d'un côté, et la Russie et la Chine de l’autre côté. Il y aurait une sorte de Yalta pour essayer de régler le conflit :

  • soit en coupant toute aide militaire aux différents partis,
  • soit en décidant d’une intervention conjointe des puissances, pour interdire l’utilisation de l’aviation afin de diminuer le massacre de civils.  


On est aujourd’hui dans une situation où le régime et les insurgés ne veulent pas d’une solution politique.

Les interventions de l’Onu ne se révèlent-elle pas inefficaces ? A-t-elle perdu de sa légitimité ?

Avec le recul, toutes les actions qui ont été entreprises par l’Onu et le Conseil de sécurité depuis septembre 2011 ont donné du temps à Bachar el-Assad pour essayer de maîtriser la situation. Un an plus tard, il est incapable de la gérer.

De ce point du vue, les mesures de l’Onu ont été inefficaces pour résoudre la situation militaire et inefficaces sur le plan politique pour assurer une transition démocratique. Je pense que l’Onu, sur le plan de l’action, reste légitime car la non-intervention en Syrie est du ressort du Conseil de sécurité et non pas de l’Assemblée générale.

Propos recueillis par Charles Rassaert

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