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La démission du président du conseil italien, Mario Draghi, fait ressurgir le spectre de la crise des dettes publiques de 2012
La démission du président du conseil italien, Mario Draghi, fait ressurgir le spectre de la crise des dettes publiques de 2012
©JOHN THYS / AFP

Décrochage

À la fin des années 1990, le PIB par habitant de l'Italie était supérieur à celui de la France. Malgré des atouts remarquables, notamment sur le plan industriel, l'économie italienne a subi un fort décrochage au cours des deux dernières décennies.

Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot est économiste et chercheur associé à l’IRIS. Il se consacre aux défis du développement technologique, de la stratégie commerciale et de l’équilibre monétaire de l’Europe en particulier.

Il a poursuivi une carrière d’économiste de marché dans le secteur financier et d’expert économique sur l’Europe et les marchés émergents pour divers think tanks. Il a travaillé sur un éventail de secteurs industriels, notamment l’électronique, l’énergie, l’aérospatiale et la santé ainsi que sur la stratégie technologique des grandes puissances dans ces domaines.

Il est ingénieur de l’Institut supérieur de l’aéronautique et de l’espace (ISAE-Supaéro), diplômé d’un master de l’Ecole d’économie de Toulouse, et docteur de l’Ecole des Hautes études en sciences sociales (EHESS).

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PIB par habitant

Rémi Bourgeot : L’économie italienne conserve des atouts remarquables, sur le plan industriel en particulier, mais la crise mondiale et la crise de l'euro l’ont entraîné sur la voie d’un décrochage marqué. Le pays n'a retrouvé que récemment son niveau de PIB par habitant de 1999. Les Italiens ne se sont pas enrichis en moyenne au cours des deux dernières décennies. Entre 2007 et 2014, le PIB par habitant a diminué d'environ 13 %. C'est à peu près le même ordre de grandeur que la chute en Espagne, sauf que ce dernier pays avait ensuite connu un rebond important. Le rebond espagnol avait notamment reposé sur la croissance des exportations liée à la réduction des coûts salariaux rendue possible par un chômage terriblement élevé, qui dépassait alors les 20%. L'Italie, qui n'a pas connu la même déflagration financière que l'Espagne, n'a pas suivi le même chemin et a néanmoins connu une dérive continue qui n'a donné lieu qu'à un rebond limité lors de la reprise européenne et mondiale. Le PIB par habitant de l'Italie n’a même pas encore tout à fait retrouvé son niveau de 2008. 

Industrie italienne

L’Italie reste une puissance industrielle importante, fortement exportatrice, dans des secteurs comme la mécanique de précision, la métallurgie, l’automobile, ainsi que le textile et le luxe bien sûr. Le pays continue de jouir d'un niveau éducatif élevé. Les jeunes Italiens n'ont guère de difficulté à trouver un bon emploi et une rémunération confortable, lorsqu'ils émigrent dans les pays qui offrent des conditions plus favorables. Le nord du pays en particulier abrite un réseau d'entreprises efficaces, surtout de taille moyenne et familiales, capables d'innovation technologique et de reconversion. Les entrepreneurs italiens n'ont pas vraiment de leçons de dynamisme à recevoir de la part des grandes bureaucraties. Quoi qu’en ait pensé Max Weber, le capitalisme est d’ailleurs né en Italie…

Outre son système bancaire labyrinthique, l’Italie souffre de la perte de compétitivité des deux dernières décennies, et du nivellement qui a conduit les pays européens à abaisser leurs coûts salariaux plutôt qu’à accroître leur productivité et l’innovation technologique. La fragilisation du tissu économique et industriel italien est ainsi alimentée par les recettes de la « gestion de crise ». Pourtant, le pays aurait les moyens, grâce à son niveau éducatif et à son tissu d'entreprises performantes, de renouer avec une croissance réelle, notamment sur une base technologique, loin du recours à la compression tous azimuts.

L’Italie vit-elle au dessus de ses moyens ?

L’Italie a un taux d’endettement public très élevé, à plus de 150% du PIB désormais (contre environ 120% pendant la crise de l’euro), mais l’étude de la situation globale du pays indique une réalité plus mesurée. Elle affiche un excédent commercial substantiel, souvent de plus de 2% voire 3% du PIB au cours de la décennie écoulée, et de la balance courante. Le réseau manufacturier italien a longtemps été présenté comme un modèle d’innovation, avant 1999 et la longue phase de perte de compétitivité. L’Italie jouit d’une position extérieure nette équilibrée ; le pays dans son ensemble n’est pas véritablement dans une situation de débiteur sur le plan de la dette et de l’investissement vis-à-vis du reste du monde. C’est ce qui explique que la note de la dette italienne auprès des agences de notation soit restée à peu près convenable au travers des crises, au regard de son niveau d’endettement publique spectaculaire. Le rapport de l’Italie aux marchés financiers est donc de nature assez différente de celui des économies, très déséquilibrées, qui ont été au cœur de la crise de l’euro et des plans de sauvetage-austérité. 

Les coûts salariaux en Italie

L’Italie suivait une évolution normale de ses coûts salariaux au moment de l’introduction de l’euro et au cours des années suivantes, tout comme la plupart des pays membres. L’Allemagne affichait au même moment dans les années 2000 une inflation bien plus basse ; ce qui, dans le contexte d’une union monétaire, se traduit directement par le creusement de divergences de compétitivité aux dépens des pays qui ont une inflation plus élevée. Facteur aggravant, à partir du milieu de la décennie 2000, l’Allemagne s’engage sur la voie de la compression salariale, en plus de son inflation très basse. Ainsi de 1999 à 2008, les coûts salariaux nominaux allemands n’ont pas du tout augmenté, alors que ceux de l’Italie augmentait assez normalement de l’ordre de 30% avec l’inflation cumulée sur la période (et ceux de la France de 20%). Par la suite, les pays les plus exposés à la crise financière mondiale (notamment dans son versant immobilier) puis à la crise de l’euro, comme l’Espagne, se sont engagés sur la voie d’une compression spectaculaire pour tenter de rebondir par les exportations bas ou moyen de gamme. Dans l’ensemble, l’Italie ne s’est pas engagée sur cette voie et souffre de ce nivellement par le bas, mais parvient bon an mal an, grâce à la qualité, l’intégration internationale, et la réputation de sa production à conserver des excédents commerciaux substantiels.

L’Italie, victime de l’euro ?

En remontant même au début des années 1990 et jusqu’à la crise financière mondiale, l’Italie connait une croissance comparable à celle de l’Allemagne, modérée, de l’ordre de 1,5% par an en moyenne. La France connait alors une croissance significativement plus forte, mais globalement l’évolution des trois principaux pays est comparable. L’Espagne est alors encore en rattrapage économique. De 1999 à 2007, elle croît d’environ 3,8% par an, avec une croissance gonflée par la bulle immobilière, à l’image de ce qu’on voit aux Etats-Unis ou en Irlande : envolée des prix, des constructions de nouveaux logements et titrisation massive des prêts immobiliers. L’Italie ne connait pas cette évolution.

Dans les années 1990, la compétitivité italienne avait été positivement influencée, à l’instar du Royaume-Uni, par la dépréciation de la lire après l’explosion du système monétaire européen. On se souvient de la sortie sous la pression des marchés du Royaume-Uni mais aussi des pays scandinaves, qui ne voudront dès lors jamais rejoindre la zone euro. Si la France a continué à appliquer une politique de franc fort dans les années 1990, l’Italie a connu une forte dépréciation, qui a amélioré la compétitivité de ses entreprises. A l’époque d’ailleurs, les entreprises allemandes se plaignaient des importations à bas coût venues d’Italie et de l’excédent bilatéral italien qui ne cessait de croître. Dans le même temps, la dette a connu son ascension initiée dans les années 1980 par la politique de taux d’intérêt élevés (notamment en termes réels) qui visait à stabiliser le taux de change de la lire par rapport au mark dans le cadre du serpent monétaire. L’Italie a par ailleurs fait un effort de réformes structurelles très conséquent dans la première moitié de la décennie 90, mais ceux-ci ont eu tendance à être engloutis par l’impact des taux sur la dynamique de la dette. Si la croissance reste à peu près stable après l’introduction de l’euro, les conditions sous-jacentes changent assez radicalement avec une dégradation continue et importante de la compétitivité en particulier par rapport à l’Allemagne, qui affiche alors une inflation plus basse et qui s’engage dans la voie de la compression des coûts salariaux.

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