L’Iran pourrait sortir vainqueur de la crise libanaise<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
L’Iran pourrait sortir vainqueur de la crise libanaise
©JOSEPH EID / AFP / 000_1WE9HA

DOSSIER LIBANAIS

Alain Rodier revient sur décomposition du Liban qui provoque de nombreuses convoitises extérieures.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

Voir la bio »

La décomposition du Liban qui prévaut depuis le début de la contestation populaire (qui s'est intensifiée suite au drame du 04 août survenu sur le port de Beyrouth) provoque bien des convoitises extérieures. En réalité, deux puissances régionales s’opposent via des proxies afin de renforcer leur influence au Proche-Orient sans compter Israël que regarde tout cela avec un intérêt non dissimulé (ce qui peut diminuer ses ennemis est toujours bon à prendre et à exploiter). Il semble que, pour l’instant l’Iran a l’avantage via sa "créature", le Hezbollah créé dans les années 1980. En effet, cette milice armée mais aussi parti politique officiel, est la seule organisation libanaise à être correctement organisée, encadrée et équipée. Elle s'appuie sur environ 30% de la population qui est chiite, le parti Amal rejoignant le Hezbollah quand ses intérêts vitaux sont engagés.

Le Hezbollah va d’ailleurs rassembler bien au delà des seuls chiites parmi tous ceux qui sont terrorisés par la tournure révolutionnaire que prennent les évènements, le souvenir des horreurs de la guerre civile (1975-1990) est encore vivace, sauf chez les jeunes. Après la démission du gouvernement de Hassan Diab, une partie des chrétiens fidèles au général Aoun actuel chef de l’État, pourrait se ranger aux côtés du Hezbollah. Il est d’ailleurs significatif que les "radio-trottoirs" enregistrés à Beyrouth au sein des communautés chrétiennes montrent une convergence de vues avec le parti chiite : une haine à l’égard de l’État d’Israël qui, selon les personnes interrogées, a "détruit le pays du Cèdre" à plusieurs reprises. À noter que selon la CIA, les catholiques représentent 45,5% de la population mais ils sont éclatés - pour ne pas dire des adversaires - entre maronites, grecs orthodoxes, grecs catholiques, arméniens, syriaques, etc.

Hassan Nasrallah a bien compris cette problématique et reste très modéré dans ses propos. Il "nie catégoriquement, qu'il y ait quoi que ce soit à nous dans le port [Beyrouth], ni entrepôt d'armes, ni entrepôt de missiles, ni des matières explosives, ni une bombe, ni une balle, ni nitrate [d'ammonium]. Il ajoute que les accusations proférées contre le Hezbollah "poussent le Liban vers la guerre civile". Il ajoute : "Certains ont dit que le Hezbollah portait une responsabilité car il contrôle le port. Il s'agit également d'un mensonge. Nous ne contrôlons pas le port de Beyrouth. Nous ne savons pas ce qui s'y trouve. Le port de Beyrouth n'est pas de notre responsabilité [...] Nous connaissons mieux le port de Haïfa [dans le nord d'Israël] que celui de Beyrouth". Cela est étonnant car il est difficilement concevable que l’infrastructure vitale représentée par le port de Beyrouth n’ait pas été prise en compte par ce parti. D’ailleurs, des tunnels auraient été découverts par les enquêteurs qui ont commencé leurs investigations. 

Nasrallah affirme par ailleurs souhaiter l’établissement d’un gouvernement de coalition… Certes, son effigie a été pendue lors de manifestations ayant eu lieu à Beyrouth le 7 août mais ce n’était certainement pas par des activistes chiites. 

La véritable opposition au Hezbollah est constituée par la communauté sunnite qui représente environ 27% de la population libanaise. Et c’est sur ce creuset - et le million de réfugiés venus de Syrie - que l’Arabie saoudite compte pour tenter de s’opposer aux initiatives de Téhéran. Riyad a un argument de poids : les financements dont le Liban exsangue a un besoin vital... Le Royaume se pose en leader de la reconstruction de Beyrouth entraînant dans son sillage ses alliés traditionnels du Golfe persique.

Enfin, il reste les Frères musulmans qui, comme toujours passent par la Turquie qui fournit les moyens techniques et le Qatar les financements.

Il serait injuste de ne pas citer l’initiative du président Emmanuel Macron qui, le premier, s’est précipité au chevet du Liban aujourd’hui dévasté pour tenter que les choses évoluent dans ce qu’il pense être le bon sens. Le geste est noble mais il est trop tôt pour savoir s’il sera suivi d’effets. Lors de la vidéo-conférence des bienfaiteurs avec quinze chefs d’États tenue le 9 août, il a obtenu 250 millions de dollars. Le maire de Beyrouth estime les dégâts entre 3 et 5 milliards de dollars… Mais il reste tout de même la question fondamentale : qu’est venu faire le président français dans cette galère? La France est confrontée à de multiples problèmes économiques, sociaux, idéologiques et le terrorisme vient de se rappeler à son bon souvenir au Niger. Jusqu’à preuve du contraire, il ne semble pas que les assassins soient manipulés par le Hezbollah libanais, ou l’Iran (ni d’ailleurs par Pékin ou Moscou ennemis préférentiels de Washington). Au jour d’aujourd’hui, l’ennemi qui assassine des Français civils, des policiers et des militaires, est constitué de salafistes-jihadistes et des individus et des entités  qui les soutiennent d’une manière ou d’une autre…

La vie politique libanaise est extrêmement complexe et les observateurs extérieurs la voient à bout de souffle avec son système alambiqué qui était censé représenter toutes les communautés avec un minimum de justice (pour mémoire, le Président est un chrétien maronite, le président de la Chambre des députés un chiite et le Premier ministre un sunnite). Il faut reconnaître que la corruption généralisée - mais qui existe aussi dans bien d’autres pays du Proche-Orient - a complètement faussé le système en jetant une grande partie des populations désespérées dans la rue. Mais là aussi, il convient de nuancer. La "révolution" médiatisée se passe à Beyrouth mais pas, pour le moment du moins, dans le reste du pays - même si des coups de feu saluant la démission du gouvernement ont été entendus à Tripoli au nord (région tenue par les sunnites et de nombreux salafistes-jihadistes) -. Son avenir semble bien sombre, les seuls éléments compétents étant des expatriés (environ 12 millions dont beaucoup n’ont plus la nationalité libanaise) et personne ne sait quel serait l’accueil qui leur serait réservé s’ils revenaient au pays pour prendre la situation en main… Pour une fois, les "professionnels de la révolution" style "Optor" pilotés par Washington ne semblent pas être présents (jusqu'à plus ample informé). Il n'en reste pas moins que le spectre de la guerre civile a refait son apparition et qu'il ne faudrait pas grand chose pour que le Liban y bascule de nouveau.

Téhéran est peut-être en passe de réussir son pari : établir un "croissant chiite" qui s'étend de l'Iran à l'Irak, la Syrie et qui débouche désormais au Liban. C'était le plan du général Qassem Soleimani, le chef de la forces al-Qods des pasdarans tué par les Américains le 3 janvier 2020 qui est en train de se réaliser... C'est à ce demander si la catastrophe du 4 août n’a pas été provoquée intentionnellement. Et même si elle a été accidentelle - comme le démontrent les premières constatations (en raison de l’incurie et de la corruption des responsables à tous les niveaux; plusieurs personnes dont le responsable du port de Beyrouth ont été arrêtées) -, elle a, le premier choc passé, été exploitée à des fins politiques dans la lutte de pouvoir qui fait désormais rage. 

Bien sûr, les Israéliens regardent la situation avec soin (mais certainement sans crainte réelle). Ils disent se méfier d’une action que pourrait mener le Hezbollah depuis le Liban contre l’État Hébreu. Il conviendrait qu’ils explicitent leurs propos car, pour beaucoup d’observateurs avertis, le Hezbollah a aujourd’hui d’autres soucis et s’en prendre à Israël ne paraît pas être pour le moment pour lui une solution viable car cela amènerait plus de problèmes que de réponses. Par contre, il est possible qu’Israël envisage une opération de "sécurisation" au Sud-Liban pour se préserver du désordre libanais. Les "zones de sécurité" constituent un concept revenu d'actualité depuis qu'il a été mis en oeuvre par Ankara en Syrie et en Irak du Nord sans que personne ne voit rien à y redire, même si les règles internationales ont été une fois de plus foulées au pied. Ayant le complet soutien de l’administration Trump, c’est peut-être le bon moment pour Israël de passer à l’action pour tenter de peser dans le dossier explosif (mais sans fin) du Liban.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !