L'interaction économique est le principal rempart contre "le choc des civilisations"<!-- --> | Atlantico.fr
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La guerre entre Israël et le Hamas, ajoutée à la guerre en Ukraine, ne serait que l'expression la plus violente d'un choc de civilisations qui fracture le monde entre des blocs antagonistes.
La guerre entre Israël et le Hamas, ajoutée à la guerre en Ukraine, ne serait que l'expression la plus violente d'un choc de civilisations qui fracture le monde entre des blocs antagonistes.
©Jack Guez / AFP

Atlantico Business

Pour de nombreux analystes de la géopolitique, la guerre entre Israël et le Hamas serait la manifestation d'un choc des civilisations qui pourrait affecter la planète entière. Pour le monde des affaires, les interactions économiques empêchent de telles guerres.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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La guerre entre Israël et le Hamas, ajoutée à la guerre en Ukraine, ne serait que l'expression la plus violente d'un choc de civilisations qui fracture le monde entre des blocs antagonistes. Tout se passe comme si les analystes occidentaux avaient redécouvert le concept de "choc de civilisations", exposé par Samuel Huntington, un professeur américain de science politique, dans son livre "The Clash of Civilizations" en 1996.

La thèse de Samuel Huntington décrit un monde divisé en huit civilisations : occidentale, slave-orthodoxe, islamique, africaine, hindoue, confucéenne, japonaise et latino-américaine. Une civilisation se définit pour lui par des éléments objectifs tels que la langue, l'histoire, la religion, ainsi que par des éléments subjectifs d'autoidentification. Si, comme c'est souvent le cas, ces civilisations différentes donnent naissance à des organisations étatiques, elles annoncent de fortes probabilités de conflits ou de "chocs".

Pour Huntington, les conflits ne résulteraient donc plus de confrontations entre des modèles idéologiques ou économiques, comme cela a été le cas au XXe siècle avec la guerre froide entre l'Est et l'Ouest, mais entre des civilisations différentes. Pour reprendre son expression, "les rideaux de velours tendus par la culture, la langue et la religion ont remplacé le rideau de fer de l'idéologie".

Aujourd'hui, compte tenu de l'occidentalisation du monde et du caractère universel de l'économie de marché, on est arrivé à un point où l'Occident s'oppose aux autres civilisations, notamment à la civilisation islamique, car selon Huntington, celle-ci aurait été humiliée et allergique aux principes des "Lumières", c'est-à-dire à la liberté individuelle et à la démocratie.

Ce rapport de force est directement et parfaitement décrit mais attaqué dans la théorie diffusée après la guerre froide dans "La fin de l'histoire" de Francis Fukuyama, qui décrivait dès 1992 un modèle démocratique et libéral alternatif et applicable dans le monde entier.

Huntington, pour sa part, n'y croit pas. C’est pour lui une utopie. Une mondialisatioin heureuse Il explique au contraire que la "fin de l'histoire communiste va libérer et révéler les forces culturelles et religieuses dont les humains ont besoin pour se distinguer. D'où la résurgence du succès de ses thèses dans l'explication apportée par la géopolitique à la situation actuelle, ce qui nous annonce une guerre mondiale.

Dans la réalité, il est difficile d'adhérer à la thèse du choc des civilisations. D’abord parce que depuis le chute du mur de Berlin la majorite des pays ne se sont pas fait prier pour participer au capitalisme international. Y compris et surtout les chinois. Mais ensuite, si le bloc occidental est assez homogène en termes d'organisation politique (la démocratie), les groupes antagonistes sont très hétérogènes. Il y a assez peu de points communs d'ordre culturel et religieux entre le monde musulman et celui de Vladimir Poutine ou de Xi Jinping. Dans le monde musulman lui-même, il y a des clivages difficiles à concilier, des pays très riches comme les monarchies pétrolières et d'autres, des sunnites et des chiites, adversaires séculaires où s'opposent l'Arabie saoudite et l'Iran. Mais il y a aussi l'influence de leur passé dominé par des histoires coloniales différentes.

En reprenant la chronique des événements qui se sont déroulés au cours des 50 dernières années, on constate que des belligérants ont été trouvés dans ces deux camps civilisationnels (la guerre du Golfe, l'invasion du Koweït par l'Irak). Les attentats du 11 septembre 2001, en revanche, ont donné raison à Huntington. Cependant, ils ont également accéléré le mouvement de mondialisation économique et financière.

Car ce qui est intéressant, c'est qu'au cours de cette période, les interactions économiques se sont multipliées. Les échanges de produits, de services, de capitaux, de technologie et d'hommes n'ont jamais été aussi nombreux. À tel point qu'au-delà des rivalités militaires, des positions antagonistes, au-delà des clivages d'organisations politiques (démocraties d'un côté, dictatures de l'autre), les échanges économiques sont devenus incontournables.

Jusqu'à la guerre en Ukraine, la Russie a été un très gros exportateur de pétrole et de gaz (et elle l'est toujours), mais aussi un très gros importateur de produits agroalimentaires et de produits technologiques. La Chine est devenue l'usine du monde, elle a donc un besoin "vital" de conserver un lien étroit avec l'Occident, qui est son principal client. Les pays du Golfe ont également besoin de vendre leur pétrole pour vivre. La Turquie d'Erdogan est minée par l'inflation et la pénurie de blé. Malgré ses discours menaçants, elle a un besoin urgent de maintenir ses liens commerciaux avec l'Ukraine et l'Europe, et pas seulement pour nourrir son peuple.

Sur le plan financier, tous ces pays de la sphère islamique ou asiatique ont besoin d'investir en Occident, ils ont besoin de la technologie occidentale et des centres de recherche et universitaires. La fortune de l'Arabie saoudite, des pays du Golfe, de l'Égypte et de Pékin est placée à New York, à Berlin, à Londres ou à Paris. Sans parler des besoins et des goûts des élites islamiques, russes ou chinoises pour l'art de vivre de l'Occident.

Les interactions sont donc très fortes. Tellement forte que les régimes de sanctions ou d’embargo ont moins d’efficacité que ce que les occidentaux espèrent. Tout le monde se débrouille et s’arrangent. Au-delà des discours et des oukases. Le pétrole russe continue de couler et les riches de Moscou continuent de venir en vacances sur la côte d’azur ou a Dubaï. Les pauvres sont envoyés au front.. les enfants de riches font leurs études à Harvard ou à Londres et leur parent ont amarré leurs bateaux  à Abou Dhabi ou à Chypre.

L'Occident a besoin de tous ces marchés, il a aussi besoin de conditions de fabrication à bas prix. Mais tous les pays qui semblent s'opposer aux valeurs occidentales (les islamistes et les autres) ont aussi besoin de l'Occident pour une raison très simple : ils ne savent pas créer de richesse. Ils savent exploiter leurs matières premières qui s'épuisent (gaz, pétrole, minerais, produits agricoles). Ils savent les vendre, mais ils ne savent pas toujours mettre en place des systèmes de production complexes qui généreront de la richesse. Pour une raison très simple : la création de richesse a besoin de liberté, d'innovation, de recherche, de concurrence comme stimulant au progrès. La création de richesse a besoin des libertés individuelles qui protègent la propriété, d'un État de droit qui protège contre la corruption. En bref, la création de richesse a besoin d'une économie de marché en état de fonctionnement, donc de démocratie. L'économie de marché et la démocratie sont intimement liées dans leur fonctionnement.

Les États qui se sont unis contre l'Occident n'atteindront jamais leurs objectifs s'ils n'introduisent pas un fonctionnement clair de l'économie de marché, un État de droit garantissant le respect des contrats et des accords de réciprocité, mais surtout les principes de la démocratie. Ces États ont promis à leur peuple la prospérité économique, que l'on veuille ou non, mais pour l'instant, bon nombre de ces peuples ne mettent pas en place les moyens nécessaires. Ils renforcent leur identité, exacerbent leur colère contre l'Amérique et ses alliés, mais travaillent peu à améliorer leur quotidien.

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