L'intégration, une illusion ? Ces données qui montrent à quel point les immigrés vivent séparés du reste des Français <!-- --> | Atlantico.fr
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Une image d'une manifestation rassemblant des Français
Une image d'une manifestation rassemblant des Français
©BERTRAND GUAY / AFP

Société française

Si les trajectoires individuelles d’intégration sont évidemment possibles et loin d’être marginales, des données de France Stratégie dressent un tableau révélateur de la concentration des immigrés ou enfants d’immigrés. Comment s’intégrer sans vivre au milieu des Français ?

Pierre-Yves Cusset

Pierre-Yves Cusset

Pierre-Yves Cusset est chef de projet au département société et politiques sociales de France Stratégie.

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Jean-Paul Gourévitch

Jean-Paul Gourévitch

Jean-Paul Gourévitch est écrivain, essayiste et universitaire français. Il a enseigné l'image politique à l'Université de Paris XII, a contribué à l'élaboration de l'histoire de la littérature de la jeunesse et de ses illustrateurs par ses ouvrages et ses expositions, et a publié plusieurs ouvrages consacrés à l'Afrique et aux aspects sociaux et économiques de l'immigration en France. Il a notamment publié La France en Afrique 1520-2020 (L'Harmattan), La tentation Zemmour et le Grand Remplacement (Ovadia 2021), Le coût annuel de l'immigration (Contribuables Associés 2022).

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Atlantico : En 2020, France Stratégie publiait « L’évolution de la ségrégation résidentielle en France : 1990-2015 ». Que nous apprennent ces données sur la concentration des immigrés ou enfants d’immigrés ? A quel point vivent-ils concentrés, voire isolés du reste de la population ?

Pierre-Yves Cusset : Pour mesurer à quel point une catégorie de population est « ségrégée », c'est-à-dire inégalement répartie au sein d’une agglomération, nous utilisons un indice qui évalue le pourcentage des membres du groupe étudié qui devraient changer de quartier de résidence pour que le poids de ce groupe soit le même d’un quartier à l’autre. Dans les grandes agglomérations de France métropolitaine, les immigrés d’origine européenne et leurs enfants sont répartis de façon très homogène. Les immigrés d’origine extra-européenne et leurs enfants sont répartis de façon plus hétérogène l’indice de ségrégation des 25-54 ans immigrés d’origine extra-européenne était de 33 % en 2015, celui des moins de 18 ans vivant avec au moins un parent immigré extra-européen de 38 %. Concrètement, cela veut dire que 38% des enfants d’immigrés extra-européens devraient changer de quartier si l’on voulait égaliser leur poids parmi les 0-18 ans dans tous les quartiers. Notons que les enfants de cadres présentent un indice de ségrégation du même ordre de grandeur. 

La concentration désigne un autre phénomène : elle augmente à la fois avec le niveau de ségrégation (inégale répartition) et avec le poids global de la catégorie étudiée. Une catégorie de population peut être mal répartie sur le territoire, mais si ses effectifs restent très faibles, elle ne représentera jamais une part importante de la population d’un quartier. L’indice de concentration des jeunes issus de l’immigration extra-européenne est élevé car c’est une catégorie à la fois assez mal répartie sur le territoire (cf. point précédent) et qui peut représenter une part importante de la jeunesse dans certaines agglomérations chez les moins de 18 ans, la part des enfants vivant avec au moins un parent immigré extra-européen était de 16% en France en 2015, proportion qui atteignait 26 % dans les agglomérations de plus de 100 000 habitants, et 37% dans dans l’agglomération parisienne. La proportion de jeunes vivant avec deux parents immigrés extra-européens était en revanche plus faible, à 10 % dans les grandes agglomérations (16% dans l’unité urbaine de Paris). Ces jeunes sont cependant particulièrement concentrés dans certains quartiers : l’indice de concentration des enfants ayant au moins un parent immigré extra-européen était de 42% dans les agglomérations de plus de 100 000 habitants en 2015. Ce qui veut dire que si l’on tire au sort un jeune vivant au moins un parent immigré extra-européen dans ces grandes agglomérations, en moyenne, on observera qu’il vit dans un quartier où 42% des jeunes vivent eux-mêmes au moins un parent immigré extra-européens. Quant à l’indice de concentration des 25-54 ans immigrés d’origine extra-européenne, il était de 26%.   

Quelle est la tendance de cette évolution sur les dernières années/ décennies ?

Pierre-Yves Cusset : Dans les grandes agglomérations, la tendance est à une meilleure répartition spatiale des immigrés d’origine extra-européenne et de leurs enfants. L’indice de ségrégation des 25-54 ans immigrés d’origine extra-européenne est passé de 36 % à 33 % en moyenne entre 1990 et 2015. On constate une baisse de 3 points également pour les moins de 18 ans vivant avec au moins un parent immigré extra-européen (de 41 % à 38 % entre 1990 et 2015).

Mais en parallèle, le poids des immigrés extra-européens et de leurs enfants a progressé assez fortement dans les agglomérations de plus de 100 000 habitants : les immigrés extra-européens y représentaient 8,6% des 25-54 ans en 1990 contre 15% en 2015. Le poids des enfants d’au moins un immigré extra-européen parmi les moins de 18 ans est passé sur la même période de 15,8% à 26,5%, celui des enfants vivant avec deux parents immigrés extra européens passant de 8 à 10% des moins de 18 ans en moyenne. Leur indice de concentration a donc augmenté, non du fait d’une ségrégation accrue, mais de la progression de leur part dans la population.

Pour résumer, la ségrégation résidentielle des immigrés et de leurs enfants est plutôt orientée (légèrement) à la baisse. Mais l’augmentation de leurs poids dans la population, et singulièrement dans les grandes agglomérations, fait que l’on trouve de plus en plus de quartiers, voire de communes, où les enfants issus de l’immigration sont majoritaires chez les moins de 18 ans.

Quelles peuvent être les clés d’explication de ce phénomène ?

Pierre-Yves Cusset : De nombreux phénomènes concourent à la ségrégation des différentes catégories de population, ségrégation qui peut être subie (relégation) ou choisie (recherche d’un certain entre-soi, chez les cadres en particulier). S’agissant des immigrés et de leurs enfants, on pense immédiatement au coût du logement : les nouveaux arrivants, souvent peu fortunés, se tournent vers des quartiers où l’on trouve des logements bons marchés et qui ne sont pas trop éloignés des zones d’emploi. D’autres mécanismes peuvent jouer : présence d’une diaspora pré-existante, solidarités familiales ou communautaires mais aussi difficultés à trouver à se loger ailleurs en raison de phénomènes de discrimination.

Dans quelle mesure la ségrégation résidentielle peut-elle rendre plus difficile l’intégration ?

Pierre-Yves Cusset : Le fait de grandir et de vivre dans un environnement où se concentrent les difficultés sociales peut tout d’abord assombrir les perspectives de réussite scolaire et professionnelle d’un individu, et augmenter un certain nombre de risques sanitaires et sociaux auxquels il pourrait être confronté : problèmes de santé, addiction, délinquance, grossesses précoces, etc. On parle dans ce cas d’« effets de quartier ». Les mécanismes sous-jacents à ces effets sont variés. Ils peuvent être liés à l’influence des groupes sociaux (pairs, parents, professeurs, etc.), aux ressources du quartier (qualité des services locaux, accès à l’emploi, isolement spatial), ou encore à la perception que les autres ont de ce quartier (phénomènes de discrimination liée au lieu de résidence) . Mais les phénomènes de ségrégation peuvent également miner plus globalement la cohésion de la société, en contribuant à faire émerger des sociétés parallèles, qui ne partagent plus ni les mêmes codes culturels, ni les mêmes aspirations. Si certains redoutent avant tout les phénomènes de communautarisme sur une base religieuse et/ou ethnique, d’autres auront tendance à dénoncer l’entre-soi des élites.

L'analyse de France Stratégie dans cette étude est-elle toujours pertinente pour comprendre la situation actuelle? 

Jean-Paul Gourévitch : Les analyses scientifiques de France-Stratégie, un organisme de prospective rattaché au Premier Ministre,   laissent rarement indifférents. On se souvient qu’en 2020 les cartes qu’il avait publiées sur la base d’une enquête conduite dans 55 unités urbaines de plus de 100 000 habitants, avaient montré la progression arithmétique du nombre d’enfants issus de l’immigration dans les agglomérations concernées et forcé une partie des medias à prendre en compte l’ensemble de cette donne.

Cette fois, en étudiant à partir des IRIS (Ilôts regroupés pour l’Information Statistique) la ségrégation urbaine dans les villes de plus de 100 000 habitants, France-Stratégie se propose à partir de deux concepts , l’indice de ségrégation (ou si l’on veut d’homogénéisation sociale et ethnique des populations dans ces ilôts restreints) et l’indice de concentration  (ou si l’on veut le poids majoritaire de ces populations dans ces ilôts ) d’éclairer un débat  sociétal qu’Hugues Lagrange, Christophe Guilluy, Laurent Obertone ou Jérôme Fourquet ont largement vivifié. Il importe par exemple de savoir si les conclusions scientifiques des experts de France Stratégie démontrent que la répartition des résidents dans le  parc d’HLM a contribué  ou non à la mixité sociale et plus encore si elles nous fournissent des clés pour analyser le déchainement actuel des violences urbaines.

Sans remettre en cause la profusion de graphiques, tableaux,  camemberts ou références livresques produits dans ces  111 pages ni le sérieux de la conduite de l’étude, on se doit de faire deux observations préliminaires.

Cette étude publiée en 2020 porte sur une période très longue (25 ans ) et bien antérieure à la situation actuelle qui a bien évolué depuis 2015. Les chiffres cités sont relativement obsolètes. Quand France-Stratégies nous révèle par exemple que dans ces unités urbaines de plus de 100 000 habitants la part des moins de 18 ans d’origine étrangère  est passée entre 1990 et 2015  de 24 à 30%, il met en évidence une tendance constante mais ne fournit aucune indication sur le pourcentage actuel.

Cette étude s’appuie sur une base statistique, la base Saphir de l’INSEE dont les auteurs reconnaissent eux-mêmes qu’elle ne donne pas d’indication sur le pays de naissance  des parents et leur origine migratoire ; ce qui limite en partie les analyses concernant les enfants à la toute petite fraction de ceux qui sont nés à l’étranger.

Mais ce qui me paraît rendre discutable toute extrapolation de  ces analyses à la situation actuelle, c’est qu’elle méconnait non seulement l’existence de l’immigration irrégulière mais surtout l’importance de l’économie informelle et des mécanismes qu’elle développe.  Affirmation du groupe  par la transgression et solidarisation de l’ensemble des bénéficiaires avec ceux qui auraient été arrêtés, mobilisation de toute une classe d’âge avec définition du  territoire à contrôler et  capitalisation des moyens de protection et de contre-attaque des ennemis désignés,  répartition des rôles en fonction des risques, redistribution des bénéfices sur la population du secteur qu’elle soumet ainsi à la double loi du profit et de l’omerta. Cette économie informelle qui échappe à tout contrôle de l’Etat qui ne sait ni la réprimer ni la gérer, et qui n’est pas seulement le fait de l’immigration, représente aujourd’hui comme nous l’avons montré près de 25% du PIB de la nation.

Il me semble un peu illusoire dans ces conditions de se demander comment agir pour plus d’intégration et moins de communautarisme si l’on fait abstraction de ces facteurs décisifs. 

Pour retrouver l'étude de France Stratégie : cliquez ICI

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