L’instauration de l’euro a réduit, dès avant la crise financière, la croissance de plusieurs pays européens d’après une étude australienne<!-- --> | Atlantico.fr
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L'euro a des effets pervers sur l'économie.
L'euro a des effets pervers sur l'économie.
©Reuters

Perdant-perdant

Depuis le lancement de la monnaie unique, la Belgique, l’Allemagne, la France et l’Italie ont vu leur économie se dégrader, et ce même avant la crise financière, d’après les économistes Pedro Gomis-Porqueras, de Deakin University, et Laura Puzzello, de Monash University.

Eric Dor

Eric Dor

Eric Dor est docteur en sciences économiques. Il est directeur des études économiques à l'IESEG School of Management qui a des campus à Paris et Lille. Ses travaux portent sur la macroéconomie monétaire et financière, ainsi que sur l'analyse conjoncturelle et l'économie internationale

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La Belgique, l’Allemagne, la France et l’Italie ont été perdantes après l’instauration de l’euro, même avant la crise financière, d’après les économistes Pedro Gomis-Porqueras, de Deakin University, et Laura Puzzello, de Monash University. Cette conclusion provocante résulte de travaux de recherche récemment publiés sous le titre « Winners and Losers from the €uro »:

Les auteurs utilisent une méthodologie économétrique récente pour déterminer comment aurait évolué le revenu réel par habitant de plusieurs pays[1] de la zone euro, de 1996 à 2007, s’ils avaient gardé leur monnaie nationale. Ils comparent ensuite cette trajectoire simulée du revenu réel à celle qui a été réellement observée. La période de l’euro commence en 1996, plutôt que 1999, parce que les exigences de la monnaie unique ont affecté les politiques menées par les pays concernés, et donc leurs performances macroéconomiques, bien avant son lancement effectif.

La méthodologie utilisée est la «méthode de contrôle synthétique ». Pour chaque pays concerné de la zone euro, les auteurs estiment d’abord les coefficients d’une relation statistique qui approxime au mieux son revenu réel par habitant, de 1970 à 1995, en fonction de ceux de plusieurs pays de contrôle situés hors de la zone euro. Ces pays de contrôle sont choisis de manière à partager des caractéristiques proches du pays concerné, du point de vue des déterminants de la croissance : taux d’inflation, part de l’industrie dans la valeur ajoutée, part de l’investissement dans le PIB, niveau d’éducation et degré d’ouverture au commerce international.

Ensuite, en fonction des revenus réels par habitants observés pour les pays de contrôle de 1996 à 2007, ces relations  statistiques estimées permettent de calculer ce qu’aurait été l’évolution du revenu réel par habitant des pays de la zone euro durant cette période, s’ils n’avaient pas rejoint la monnaie unique. On compare ces valeurs simulées des revenus réels par habitant avec leurs valeurs réellement observées.

Si les valeurs simulées sont significativement supérieures aux valeurs observées, c’est que l’euro a eu pour conséquence de réduire le revenu réel par rapport à ce qu’il aurait été en gardant les monnaies nationales. C’est exactement ce qu’on obtient comme résultat pour la France, l’Allemagne, l’Italie et la Belgique.

Les auteurs prouvent ensuite statistiquement que la perte de revenu réel due à l’euro est renforcée pour les pays dont

  • l’écart entre la dette publique en pourcents du PIB et la norme de Maastricht est relativement élevé,
  • la sévérité de la protection légale de l’emploi, qui mesure la rigidité du marché du travail, est relativement élevée
  • la différence entre l’intensité de la coordination des négociations salariales et la moyenne de celle des pays fondateurs de l’UEM est relativement élevée,
  • la part des actifs financiers extérieurs qui sont alloués au pays fondateurs de l’UME est relativement élevée,

mais est réduite par :

- l’intensité de la synchronisation entre leur cycle conjoncturel et celui des autres pays européens,

- le degré d’ouverture à l’immigration intra-européenne, qui mesure la mobilité du travail

- le degré d’ouverture au commerce international

Pour l’Irlande et les Pays Bas, la combinaison de tous ces effets a rendu la perte négative, c’est-à-dire que leur revenu réel a bénéficié de l’instauration de l’euro, entre 1996 et 2007.

Les auteurs ont souhaité se limiter à la période entre 1996 et 2007 pour éviter que leurs résultats soient affectés par les conséquences négatives de la crise financière ultérieure.

A titre personnel, nous pensons que les résultats de cette recherche viennent confirmer un faisceau de présomptions, maintenant partagées par la plupart des économistes, en ce qui concerne les effets délétères de la combinaison de l’union monétaire européenne, telle qu’elle a été construite, et des politiques nationales menées par les différents pays qui y participent.

Depuis le lancement de la monnaie unique, le décrochage de la zone euro par rapport aux autres pays industrialisés est évident.

Indice du produit intérieur brut à prix constants, base 100 en 1999

Source des données Base Ameco de la Commission Européenne, calculs IESEG

Certains préfèrent dire que ce n’est pas l’euro lui-même qui est en cause, mais le manque d’adaptation à l’euro de certains pays qui n’ont pas voulu réformer leurs structures et leurs politiques. Les autres leurs répondent que si tous les pays avaient appliqué une politique de déflation compétitive à l’allemande, les choses auraient encore été pires pour l’activité réelle, et que de toute manière certaines spécificités nationales, comme la spécialisation productive ou même le fonctionnement du marché du travail, ne peuvent évoluer que très lentement. Le débat peut encore durer longtemps, mais ne change rien au constat observé. C’est pourquoi nous préférons dire que c’est l’interaction des mécanismes de l’union monétaire avec les structures et politiques économiques nationales qui s’est avérée nuisible à l’activité et l’emploi.

L’accumulation des effets pervers de l’euro sur l’économie française, en raison des caractéristiques de celle-ci, a déjà été largement documentée[2]. Il peut toutefois paraître surprenant qu’une recherche conclue que l’Allemagne a également été perdante, alors qu’elle bénéficie d’un énorme surplus de balance extérieure et d’un taux de chômage très réduit. En réalité c’est loin d’être une contradiction. L’opinion générale des économistes allemands est que l’euro a été lancé avec un taux de conversion du mark surévalué qui a réduit d’emblée la compétitivité du pays. Ce problème était renforcé par la politique des pays de la périphérie qui avaient fortement déprécié leur monnaie par rapport à l’écu au cours des crises précédentes du SME, et participaient à l’union monétaire avec un avantage initial de compétitivité. Pour regagner de la compétitivité, l’Allemagne a été obligée de réaliser des réformes difficiles du marché du travail et la demande intérieure a été comprimée par une grande modération des rémunérations. Les investissements publics ont été fortement ralentis. Tout cela a freiné l’évolution du revenu réel. La compression de la demande intérieure et l’attractivité des produits de ses secteurs automobiles et des machines-outils a permis à l’Allemagne de dégager un surplus de balance extérieur. Le taux d’emploi élevé résulte de la modération de la rémunération moyenne et de la flexibilité du marché du travail. Mais le prix payé par l’Allemagne a été un ralentissement de l’évolution du revenu réel par citoyen. C’est la raison de l’incompréhension des Allemands lorsque certains leurs disent que l’Allemagne aurait été le grand bénéficiaire de l’euro.

Il faut éviter d’en déduire naïvement qu’une déconstruction de l’euro résoudrait mécaniquement les problèmes qui ont été ainsi causés. Observer que, telle qu’elle a été construite, l’union monétaire a été nuisible à ses pays membres n’implique toutefois pas mécaniquement que l’implosion de l’euro et le retour aux monnaies nationales garantirait un regain de prospérité à moyen terme.   Il n’y a pas une symétrie parfaite entre le chemin vers l’euro et celui d’un retour vers les monnaies nationales. Même si la monnaie unique, telle qu’elle a été construite, a été une erreur économique, elle a établi des interdépendances qui rendent tout retour en arrière complexe, même s’il est possible. Les complexités juridiques et opérationnelles d’un abandon de l’euro ont été déjà bien décrites, et permettent de bien comprendre les enjeux[3]. Il est évident qu’au départ, l’instabilité financière et juridique ainsi créée détériorerait l’activité économique de la zone pendant plusieurs années avant de pouvoir l’améliorer, ce qui mécontenterait l’opinion publique à court terme. L’horizon électoral court des dirigeants politiques explique qu’ils soient peu enclins à s’y risquer, puisque les citoyens seraient appelés à décider du renouvellement de leur mandat avant que la situation ait eu le temps d’être améliorée. Il est également clair que les conséquences d’une dissolution de l’euro dépendraient fortement de ses modalités. De la même manière qu’il y aurait eu beaucoup de manières différentes de construire l’union monétaire, dont certaines auraient produit de meilleurs effets que celle qui a été choisie, il y aurait bien des manières différentes de la dissoudre, avec des conséquences très divergentes sur l’activité et l’emploi. Or, ce sont les mêmes divergences de vues entre les pays à propos de la gestion de l’euro qui empêcheraient d’arriver à un consensus sur les modalités d’une dissolution ordonnée de l’euro à moindres coûts collectifs. Tout cela explique donc que les dirigeants politiques veulent garder l’euro, par contrainte plutôt que par enthousiasme[4].

Le vrai enjeu est donc de déterminer dans quelle mesure la zone euro peut être réformée pour retrouver des perspectives de progression de l’emploi et de l’activité.


[1] Allemagne, Belgique , France, Irlande, Italie et Pays Bas.

[3] Eric Dor, 2011, Leaving the euro area : a user’s guide, IESEG working paper 2011-ECO-06, http://my.ieseg.fr/bienvenue/DownloadDoc.asp?Fich=1046781054_2011-ECO-06_Dor.pdf

[4] Une implosion garde toujours une certaine probabilité d’occurrence et résulterait du départ unilatéral d’un pays membre sous la pression d’une population lassée par l’austérité, ou d’une divergence de vues extrêmement forte qui empêcherait la poursuite des politiques exceptionnelles de la BCE et des mécanismes établis par l’UE pour mutualiser les risques.

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