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La dette des entreprises continue de s'accroître face aux difficultés économiques.
La dette des entreprises continue de s'accroître face aux difficultés économiques.
©ALAIN JOCARD / AFP

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Les entreprises en quête de financement vont désormais devoir composer avec des taux d'intérêts en hausse dans un contexte économique difficile. Quelles sont les solutions pour les entreprises face à la hausse de leur endettement ?

Eric Chaney

Eric Chaney

Eric Chaney est conseiller économique de l'Institut Montaigne depuis janvier 2017.

De 2008 à 2016, il est le chef économiste d’AXA pour ses activités mondiales. Il conseille également diverses entreprises, financières et non-financières, sur les questions économiques et géopolitiques, par l’intermédiaire de sa société, EChO. De 2000 à 2008, Eric Chaney était le chef économiste Europe de Morgan Stanley, qu’il avait rejoint en 1995, après avoir dirigé la Division Synthèse Conjoncturelle de l’INSEE, où il animait en particulier la publication trimestrielle ‘Note de Conjoncture’. Il a été Maitre de Conférences à l’ENA (1993-1996), a siégé au Conseil des Prélèvements Obligatoires auprès de la Cour des Comptes (2010-2014), au Conseil Economique de la Nation (1997-2014) et au Conseil scientifique du Fonds AXA pour la Recherche. Il est membre du Conseil scientifique de l’Autorité des Marchés Financiers et, depuis 2014, est vice-Président du Conseil d’administration de l’Institut des hautes Etudes Scientifiques de Bures-sur-Yvette.

Ancien professeur de mathématiques et éditeur d’une publication mathématique de l’Université Louis Pasteur de Strasbourg, Eric Chaney est aussi ancien élève de l’ENSAE-Paris-Tech.

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Atlantico : Dans quelle mesure observons-nous une hausse de la dette des entreprises ?

Eric Chaney : Si nous comparons les pays entre eux grâce aux statistiques de la Banque des règlements internationaux depuis avant la crise financière de 2008, on observe une augmentation très marquée en France, l’une des plus fortes des pays industrialisés. Elle représente une hausse de 58 points de PIB depuis 2005, contre 19 points aux États-Unis. Début 2005, donc avant la crise financière, les entreprises françaises étaient endettées à hauteur d’environ 106% du PIB, les américaines à 62%, et celles de la zone euro à 85%. A la fin 2021, la France s’est complètement détachée. La dette des entreprises y est de 164% du PIB contre 81% aux États-Unis et 111% dans la zone euro, où elle est tirée vers le haut par la France. Il y a une vraie divergence car dans la plupart des pays, la hausse a été assez modérée alors que les entreprises françaises s’endettent de plus en plus. Dans les années 2015 la Chine a connu une situation similaire, mais dans un contexte politique différent : dette et corruption allaient de pair, et la politique anticorruption de Xi Jinping a cassé sa dynamique.

Qu’est-ce qui peut expliquer cette trajectoire très spécifique à la France ?

La Banque de France a analysé la situation de près et estime qu’il y a trois raisons à cela. D’abord, les entreprises s’endettent pour investir dans des machines, des marques, des brevets, d’autres entreprises etc. Ce serait le signe que les entreprises françaises ont une politique d’investissement plus agressive que leurs concurrentes. Deuxième raison, les entreprises françaises se prêtent beaucoup, et de plus en plus, les unes aux autres. En cela, si on consolidait ces prêts inter-entreprises, l’endettement serait beaucoup moins inquiétant. Troisièmement, la France compte nombre de grandes entreprises multinationales, et ces dernières utilisent le leverage, la dette, quand les taux d’intérêts sont bas, de manière très calculée. De plus, elles génèrent des flux croisés de dettes entre filiales et maison-mère qui, dans les statistiques de la BRI, ne sont pas consolidées. Les deux premiers facteurs ne me paraissent pas très rassurants. L’investissement des entreprises aux États-Unis a été plus dynamique qu’en France et pourtant leur endettement a beaucoup moins augmenté. Et si le collatéral, c’est de l’immobilier, alors c’est dangereux car les prix immobiliers montent mais peuvent également baisser. Par ailleurs, les prêts inter-entreprises restent des dettes pour chacune d’entre elles. Ces explications ne suffisent pas à rassurer, face à cet excès d’endettement.

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Pourquoi ce phénomène est-il inquiétant ?

En général, les crises qui provoquent un effondrement de la demande sont dues à un excès d’endettement. Plutôt celui des ménages d’ailleurs, notamment en raison de l’endettement immobilier, comme en 2008 aux États-Unis ou en Allemagne à la fin des années 80. C’est un peu moins inquiétant lorsque cela vient des entreprises, car lorsqu’une entreprise ne rembourse pas ses dettes, elle disparaît. Cela fait des dégâts, dans le système bancaire en particulier, mais c’est potentiellement plus facile à gérer. Le risque avec l’excès d’endettement des entreprises est qu’une tenaille se mette en place. D’un côté moins d'activité, pour des raisons exogènes, comme les conséquences du conflit actuel en Ukraine. Si en même temps les taux d’intérêt montent, gonflant la charge de la dette, nous avons la tenaille, qui fait courir le risque d’une crise d’endettement où certaines entreprises ne peuvent plus rembourser. Et si les entreprises sont endettées les unes auprès des autres, c’est un effet boule de neige qui s’enclenche. La tenaille est en train de se mettre en place, sans que les indicateurs de risque ne soient suffisamment forts pour mettre en branle les signaux d'alarme. Mais c’est un risque qui apparaît clairement sur nos écrans.

Y-a-t-il suffisamment de prise de conscience de ce risque ?

Je ne doute pas que le sujet soit suivi de près à la Banque de France et qu’on en soit bien conscient au niveau de la supervision du système financier. Mais la question est : que peut-on faire ? Lorsqu’il s’agit des ménages, on peut agir au niveau règlementaire. Pour les entreprises c’est plus difficile, elles peuvent se financer auprès des banques et des marchés et le stock de la dette est déjà excessif. Donc la vraie question est : est-ce que les entreprises elles-mêmes considèrent que c’est un risque ? En effet, ce sont les plus à même de réagir. Dans les années qui suivirent la crise de 2008, les entreprises étaient très conservatrices, rechignant à s’endetter. Mais les vannes du crédit se sont ouvertes petit à petit, les taux d’intérêts étant si bas qu’il était difficile d’y résister. Si aujourd’hui les entreprises considèrent ce qui se passe comme risqué pour leurs finances, elles chercheront à se désendetter. A la différence des ménages, les entreprises ont plus de marges de manœuvre pour le faire.

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Que peut-on faire pour remédier à cette situation ?

Il faut en parler, c’est essentiel. Quand l’information circule bien, le marché envoie des signaux qui sont perçus par les entreprises. C’est le rôle des médias, en partie. Mais c’est surtout le rôle des autorités de supervision, dont la Banque de France. Si elle tapait du poing sur la table avec plus de conviction, ce serait bénéfique. C’est également le rôle des marchés financiers. Lorsque les taux d’intérêt réels (taux nominal moins inflation anticipée) étaient négatifs, il n’y avait aucune incitation à se désendetter, c’était même l’opposé : avec des taux négatifs, il n’y a pas de limites à l’endettement. Or les taux réels ont beaucoup augmenté depuis que la Réserve fédérale a décidé de s’attaquer à l’inflation, mais ils sont encore bas, le taux d’intérêt réel à 10 ans étant proche mais inférieur à 1%. Mais ils pourraient continuer d’augmenter, en raison des politiques monétaires. L’inflation est devenue un problème sérieux pour les banques centrales, même si elles ne peuvent pas agir sur ses causes, qui se situent du côté de l’offre. Elles sont néanmoins arrivées à la conclusion que l’inflation risquait de devenir endémique en raison, entre autres, de la demande potentielle résultant de l’épargne accumulée durant la crise sanitaire. Leur action passe d’abord par cesser les achats d’obligations d’État, allant jusqu’à la réduction progressive de son portefeuille pour la Fed, ou à sa stabilisation pour la BCE. Or les achats d’obligation empêchaient les taux d’intérêt à long terme. La cessation de ces achats devrait donc entrainer une hausse des même taux. Le signal des marchés va donc aller en s’amplifiant.

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