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L'indispensable et le superflu : ces domaines pour lesquels il est urgent que la France des rideaux tirés et des guichets fermés s'adapte aux nouveaux rythmes et horaires de vie des Français
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Après l'heure, c'est plus l'heure

Sans forcément aller jusqu'à une ouverture permanente, mettre en place des crèches, des transports publics et un droit du travail qui correspondent aux vrais modes de vie des Français est plus qu'urgent.

Fermeture dominicale, accès restreint aux services administratifs, gestion kafkaïenne des crèches, les services publics apparaissent de plus en plus déconnectés des nouveaux mode de vie des Français, plus souples et plus éclatés qu'auparavant. Quels sont les services dans lesquels la flexibilité horaire devrait être une obligation ?

Patrice Duchemin : Il faut essayer de lever le blocage des horaires. La grande modification du monde du travail est le rapport au temps dans ses deux dimensions : les ouvertures et le temps d’attente. Les principales initiatives sont de répartir les flux et d’inciter à venir dans les moments creux en proposant des avantages prix ou en offrant des promotions.  Il faut informer les gens du flux et être ouvert le week-end ou le soir.

La SNCF a fait évoluer ses gares et en a fait des lieux de transition. Maintenant, les gares sont des lieux de commerce et de vie : il y a des restaurants, des services adaptés aux voyageurs, des commerces dont les horaires d’ouverture sont adaptés aux trains. La SNCF cherche à se fonctionnaliser. Dans certaines provinces, les Postes vont devenir des lieux de vie : on va pouvoir récupérer un paquet, acheter de la papeterie ou recharger son téléphone. Demain, les facteurs seront moins nombreux et auront un rôle de service public. Le service public se réinvente à l’aune des nouvelles contraintes.

Cela n’est pas le fruit du hasard : la privatisation et l’ouverture de la concurrence jouent un premier rôle. Ensuite, il y a une grande migration en France : beaucoup de personnes quittent les grandes villes pour la province. Cet afflux est bénéfique car ces populations n’ont pas la même exigence que celles qui vivent dans les campagnes. Elles sont un moteur et tirent vers le haut car très vite, elles veulent les services qu’elles avaient auparavant dans les grandes villes.

Olivier Passet : Je commencerai par dire qu'il y a là une constante plus qu'une tendance, chacun souhaitant logiquement pouvoir profiter de l'ouverture de différents services en dehors de ses horaires de travail. Il s'agit en quelque sorte d'une petite schizophrénie du citoyen qui pense à la fois à ses intérêts de salarié et de consommateur. Ce paradoxe n'est donc pas si nouveau contrairement à ce que l'on pourrait penser. Nous avons en France des horaires très stéréotypés, donc très peu de dispersion de l'emploi du temps, que ce soit dans le privé ou dans le public. Cela fait que l'accès aux services privés ou publics devient forcément problématique et dans des proportions moindre aux commerces. On voit ici un révélateur de pratiques rigides qui sont appliquées chez nous mais aussi la conséquence d'une mauvaise exploitation des technologies de l'information (services en ligne).

Si le décalage entre la qualité du service public et le mécontement qu'il génère apparaît plus grand, c'est d'une certaine manière parce que notre exigence a augmenté en la matière. Nous sommes habitués à une certaine continuité de l'offre dans de nombreux domaines : les Français ont vu sur les trente dernières années s'accroître la flexibilité des pratiques de travail ainsi que l'accès aux commerce le dimanche, ce qui pourrait expliquer une hausse des attentes en la matière. Le problème reste cependant limité à une question "d'accès au guichet", les principaux services publics (santé, justice, police...) étant plutôt bien assurés sur le plan de la continuité.

Comment expliquer que l'on en soit arrivé à un tel décalage entre les besoins et l'offre ?

Eric Verhaeghe : C'est d'abord un problème de management. Les fonctionnaires "de base" n'y sont pour rien. Ce qui pèche, ce sont les décideurs, qui sont choisis sur des critères politiques, et qui n'ont jamais vu un administré de leur vie. Ils sont donc chargés d'encadrer des services sans connaître le client final. C'est un peu comme si, chez Carrefour ou à la BNP, on recrutait des décideurs sans savoir s'ils ont déjà rencontré un client de l'entreprise et s'ils ont déjà encadré des unités opérationnelles au contact du client final. La caricature de cet esprit de caste est sans doute la mission de modernisation de l'action publique, où les fonctionnaires qui savent à quoi ressemble un service qui reçoit du public doivent se compter sur les doigts d'une main.

Tout le sujet est là : est-ce que le service public veut se réformer en mettant le client au centre de ses préoccupations, ou bien crée-t-on une énième mission théodule pour promouvoir des copains dont la seule préoccupation est de flatter les gens en place ?

Ce n'est rien d'autre que la réaction nobiliaire. Chaque élection présidentielle crée une couche supplémentaire de hiérarchie et de technostructure entre l'administré citoyen et l'élu qui détient un mandat. Il serait amusant de faire une expérience pour voir combien doit franchir un courrier déposé à une inspection du travail pour arriver jusqu'au ministre. Je suis à peu près convaincu que, par rapport à la situation d'il y a 30 ans, on a au moins multiplié les intermédiaires par deux. Peu à peu, le pouvoir s'est ainsi coupé des citoyens. Entre le président et le Français électeur de base, on compte un cabinet, un chef de cabinet, et de multiples échelons intermédiaires qui sont autant d'écrans de fumée entre le président et les Français. Cette situation est propre aux pays aristocratiques et aux traditions du sud de la Loire. Dans les pays du Nord, disons dans ceux qui relèvent de la Grande-Bourgogne et au-delà, la proximité entre le pouvoir et le peuple est bien plus grande.

La question des temps et de l'organisation du travail est-elle la clé principale pour débloquer la situation ?

Olivier Passet : Ma préférence serait d'abord d'augmenter l'accès électronique à ces services, la notion "d'état-plateforme" étant encore mal intégrée en France. On peut ensuite affirmer qu'il serait effectivement bénéfique de repenser le temps de travail, à condition de le faire intelligemment. Un tel projet pourrait accoucher du pire comme du meilleur, le pire étant une assujétion du salarié à un jeu abusif de la concurrence qui irait très loin si on l'encourageait un peu trop. L'accès illimité finirait à terme par faire exploser l'ensemble des conditions de travail, ce qui m'incite à penser qu'il faut conserver une limitation dans le domaine.

Ce qui est néanmoins vrai dans le cas français, c'est que nous avons trop verrouillé la question du "travail atypique" (travail de nuit, travail posté, travail de fin de semaine, NDLR) qui génère pourtant des emplois accessibles aux personnes qui se trouvent en marge du marché du travail. Il s'agit là d'une opportunité bloquée pour une partie de la population qui n'arrive pas à décrocher un emploi "standard". On peut donc s'autoriser à repenser la législation dans certains domaines, à condition que cela soit fait dans le cadre d'une politique de l'emploi réfléchie.

Cette rigidité du modèle français peut-elle être corrigée en prenant exemple des modèles de service publics étrangers ?

Eric Verhaeghe : La Suède et le Danemark s'appuient sur un autre rapport au pouvoir. Le pouvoir scandinave n'est pas sacralisé comme en France, comme s'il venait de Dieu. François Hollande en avait eu le pressentiment en se présentant comme un président normal. Le problème est que cette normalité tient essentiellement de la posture médiatique et des limites personnelles, beaucoup plus que d'une rénovation de la vie démocratique. En fait, les Scandinaves conçoivent le pouvoir comme l'organisation rationnelle et consensuelle de la vie collective. Il leur paraît donc normal de mettre leur administration au service du public. En France, nous sommes encore tributaires de l'idée selon laquelle l'administration est l'une des manifestations de Dieu sur terre : ses ordres sont indiscutables, et échappent à toute délibération avec le peuple. D'où le statut de la fonction publique. D'où la résistance profonde des services de l'Etat, Conseil d'Etat en tête, à toute forme de transparence.

Rappelons qu'en Suède, la transparence sur l'administration et le gouvernement sont un principe qui existent depuis des siècles, quand nous sommes encore à l'ère du secret.

Olivier Passet : Le premier "verrou" français est de croire qu'une personne à temps partiel est une sorte de purgatoire dans lequel on attenderait de décrocher un emploi standard, sans accepter l'idée qu'une personne peut cumuler plusieurs emplois ou travailler sur des petites durées par choix dans certains cas.

La Suède est l'exemple d'un pays qui a su penser l'emploi sur les durées courtes pour élargir l'accès au marché du travail à de nouveaux candidats (les jeunes, les femmes...) avec une politique d'emploi d'appoint. Il y a de plus un phénomène "d'incitation positive" sur le travail à temps partiel court qui est rendu attirant via des avantages fiscaux. Autrement dit, on augmente l'accès et la qualité du service sans dégrader pour autant l'emploi.

Les Pays-Bas ont développé un système assez similaire d'emploi d'appoint, bien qu'ils utilisent le levier social plutôt que fiscal pour attirer le demandeur d'emploi vers la durée courte. On y accumule ainsi dès la première heure de travail des points retraites et de la couverture santé et le traitement administratif de ces emplois est simplifié pour l'employeur.

Le cas britannique apparaît lui un peu plus contestable. Sachant que l'on y est exempté de cotisations en dessous d'un certain seuil de durée et de salaires, on se retrouve avec des bataillons de "working poors" en sous protection par rapport au reste des salariés.

Pour ce qui est plus précisément du secteur public, la plupart des pays ont déjà fait sauter cet autre verrou que représentent le filtrage du recrutement. La qualité et la continuité des services sont logiquement connecté aux nombres de personnes capables de travailler dans la fonction publique. Il ne serait ainsi pas absurde d'imaginer une refonte de certains concours d'accès, en particulier pour les catégories C. Il est aujourd'hui impossible de recruter un contractuel dans l'administration sans réussir à prouver que cet emploi ne peut pas être déjà occupé par un fonctionnaire, on se retrouve donc avec des contractuels placé sur des fonctions très précises, ce qui rigidifie tout le système.

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