L’impact des hausses de taux de la BCE sur l’inflation reste faible. Pour ceux sur l’économie réelle, la facture récessive devrait arriver en 2024<!-- --> | Atlantico.fr
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Au regard de la politique de la BCE, faut-il craindre une « facture » récessive en 2024 ?
Au regard de la politique de la BCE, faut-il craindre une « facture » récessive en 2024 ?
©JOHN THYS / AFP

Politique monétaire

Le taux d'inflation, hors énergie, produits alimentaires non transformés, l'alcool et le tabac, a atteint le record de 5,3% sur un an le mois dernier. La Banque centrale européenne pourrait encore devoir relever ses taux de manière significative au-delà du mois de mars.

Don Diego De La Vega

Don Diego De La Vega

Don Diego De La Vega est universitaire, spécialiste de l'Union européenne et des questions économiques. Il écrit sous pseudonyme car il ne peut engager l’institution pour laquelle il travaille.

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Atlantico : L'inflation annuelle 'core', qui exclut les éléments les plus volatiles, a été révisée de +5,2% à+5,3%, un nouveau plus haut historique. Cela nous dit-il quelque chose de l’effet des hausses de taux ?

Don Diego de la Vega : Il est important de préciser que l’inflation core n’est pas le saint Graal de la mesure de l’inflation que certains y voient car elle est encore très corrélée au prix des matières premières. La preuve en est qu’il y a toujours eu des pics d’inflation core au moment où l’inflation core est, elle aussi, à son zénith. Ce fut le cas en 2008, c’est le cas aujourd’hui. Donc nous ne sommes pas à 5,3% d’inflation. Si on suit les salaires on doit être plutôt autour de 2,5% d’inflation.

Ensuite, concernant les hausses de taux, l’effet maximal se fait ressentir autour de 18-24 mois, pas à 6 ou 12 mois. C’est notamment le cas car cela transite beaucoup par l’immobilier notamment, et qu’il faut que le temps que cela se diffuse dans l’économie. La BCE a commencé ses hausses à l’été 2022, donc les effets maximum se feront ressentir à l’hiver 2023-2024.  Ça ne veut pas dire que la BCE ne propage pas actuellement un virus désinflationniste voire déflationniste. Mais nous ne pourrons juger de sa virulence que dans 8 à 10  mois. C’est à ce moment qu’on verra qui avait raison entre ceux qui préconisaient cette hausse de taux  et ceux, comme moi, qui préconisaient de l’éviter, de faire des petits resserrements malins ou de simplement menacer de le faire. A mon sens, d’ici la fin de l’année nous n’aurons ni croissance ni inflation potentielle. Les gens qui commencent à nous dire que l’on voit les premiers effets de la politique de hausse de taux de la BCE sont des menteurs. Ils vont affirmer que c’est grâce à cela que l’inflation reflue, alors que c’est faux. Elle devait refluer quoi qu’il arrive, parce que ce n’était que de l’inflation statistique d’une part et parce que d’autre part, une croissance nulle deux années de suite n’est pas propice à l’inflation. La BCE est allée au secours de la victoire et se faisant elle martyrise l’économie.

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Faut-il craindre que les faucons de la BCE profitent de cette inflation annoncée pour continuer cette politique délétère ?

La vraie raison qui pousse le clan germanique à vouloir augmenter les taux est la suivante : ils sont tous d’anciens ou de futurs banquiers et qu’à un moment de leur carrière ils se retrouvent banquiers centraux. C’est par exemple le cas de Jens Weidmann, ex -président de la Bundesbank, membre du conseil des gouverneurs de la BCE, va intégrer le comité de surveillance de la Commerzbank qu’il devait réguler pendant son travail de banquier central. On a eu des exemples similaires à la société générale, à UBS. Et pour être bien vu par les banques commerciales, il faut avoir monté les taux d’intérêts le plus possible. Et être au conseil d’administration d’une grande banque, ça rapporte. Les banquiers centraux sont en collusion totale avec les banques commerciales dont ils se servent comme contrepartie, objectif intermédiaire et courroie de transmission de la politique monétaire. L’imbrication est totale. Et c’est particulièrement vrai en Allemagne. La hausse des taux a plus à voir avec des ambitions personnelles qu’un modèle économique.

Leur indépendance leur permet de faire ce qu’ils veulent. En particulier face à des gouvernements divisés. Une inflation core en apparence élevée rend évidemment plus facile de justifier une montée des taux. Pendant plusieurs années, le CPI, leur mesure fétiche de l’inflation, était en dessous de 2%, ce qui rendait difficile la justification d’augmentation des taux. Pour eux, ce qui se passe depuis 18 mois est une divine providence qui leur permet de montrer les muscles et de suivre la Fed. Certains ne jurent que par la hausse des taux et n’espèrent que ça, même si personne n’y croit, à commencer par les marchés.

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L’économiste Philippe Heimberger a écrit « L'augmentation des taux d'intérêt débiteurs due à la hausse des taux d'intérêt réduit l'investissement des entreprises et l'investissement en logement, mais l'effet négatif le plus important ne se produira qu'en 2024 », partagez-vous ce constat ?

Oui absolument. Le pic des effets sera à l’hiver 2023-2024 et les effets vont persister surtout si les taux demeurent élevés. Un des principaux secteurs touchés est l’immobilier. On ne le voit pas trop en France car notre marché de l’immobilier est très déconnecté de l’économie réelle et que nous sommes en taux fixe. Mais les pays en taux variable eux sont très atteints. C’est le cas de la Suède par exemple, de l'Espagne, etc. Mais globalement la logique est la suivante : cela va réduire l’investissement résidentiel, l’investissement productif, cela va avoir des effets en cascade sur l’emploi, sur le taux de change, etc. Cela va faire des dégâts.

Typiquement, ceux qui espèrent 2% de croissance et 2% d’inflation se trompent s’ils pensent les avoir avec des taux entre 3 et 4. La politique monétaire, normalement, se fait par rapport à une trajectoire crédible de PIB nominal. Dans le même temps, la BCE mène un Quantitative tightening, pour réduire son bilan, qui est loin d’être neutre. Il renforce les effets de resserrement monétaire qui pourrait poser problème si des pays comme l’Italie se retrouvent en besoin d’un mécanisme d’aide. Or c’est très difficile à rendre si l’on augmente les taux d’intérêts tout en baissant la taille du bilan. Tout cela se cumule, et ce ne serait pas un problème si on avait des prévisions de croissance nominale hautes.

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Faut-il craindre une « facture » récessive en 2024 ?

Oui, c’est bien la crainte des économistes et du marché. Elle est déjà très forte et ne va faire que croître. Nous n’avions pas besoin d’une politique monétaire qui joue contre nous, vu la situation. Ce qui m’inquiète, au-delà de la situation conjoncturelle, c’est aussi le risque que cette tendance dure longtemps. Avec ce type d’indicateurs, ce type de gouvernance à la BCE et ce type de raisonnements, je ne vois pas pourquoi quoi que ce soit changerait.

Ce qui est frustrant, c’est qu’on applique le principe de précaution à tous les étages de l’administration française, pour chaque projet municipal ou autre, mais pas pour la politique monétaire de la zone euro. Il n’y a aucune transparence des décisions puisque le contenu des débats sera publié dans 50 ans.

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