L’immobilier, ce fauteur de troubles économiques majeurs auquel personne ne s’intéresse vraiment<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Un homme étudie les prix de l'immobilier devant la vitrine d'une agence.
Un homme étudie les prix de l'immobilier devant la vitrine d'une agence.
©PASCAL PAVANI / AFP

Evolution du marché

Une étude menée par le Centre d’études prospectives et d'informations internationales (CEPII) souligne que la dynamique des prix de l'immobilier a provoqué à la fois des pertes et des divergences de productivité en Europe depuis 2000.

Thomas Grjebine

Thomas Grjebine

Thomas Grjebine est responsable du programme  « Macroéconomie et finance internationales » au CEPII. Ses domaines de recherche portent sur la macroéconomie internationale, les déséquilibres européens et les politiques budgétaires et fiscales. Il travaille également sur les cycles immobiliers.

Diplômé de Sciences Po Paris et de l'Ecole d'Economie de Paris, il est titulaire d'un doctorat en économie obtenu à Sciences Po (2013).

Voir la bio »
Jérôme Héricourt

Jérôme Héricourt

Jérôme Héricourt est Professeur des Universités et conseiller scientifique au CEPII, au sein du programme Macroéconomie et Finance Internationales. Diplômé de Sciences Po Paris, docteur en Sciences Economiques de l’Université Paris 1, il est Professeur à l'Université de Lille, où il enseigne l'économie internationale, la macroéconomie et les politiques de développement.

Ses recherches examinent principalement  l'impact de la sphère financière sur les inégalités et le comportement à l'exportation des entreprises. Lauréat du Prix « Jeune Chercheur en Economie » de la Fondation Banque de France en 2009, il publie ses travaux dans des revues scientifiques internationales (telles que, entre autres, Journal of International Economics, Journal of Development Economics, World Bank Economic Review, European Economic Review, Journal of Comparative Economics, Public Choice et Journal of Economic Surveys), ainsi que dans les différentes publications du CEPII.

Voir la bio »
Fabien Tripier

Fabien Tripier

Fabien Tripier est professeur d'économie à l'Université Paris Dauphine - PSL et membre du Laboratoire d'Economie de Dauphine (LEDa). Ses recherches et enseignements portent sur la macroéconomie de la croissance et des cycles économiques. Il est également économiste à l'observatoire de macroéconomie du CEPREMAP dédié au suivi de la conjoncture économique et à l'évaluation des politiques macroéconomiques. Chercheur associé au CEPII, il contribue également à l'analyse des enjeux macroéconomiques internationaux.

Voir la bio »

Atlantico : Dans votre article « Sectoral reallocations, real estate shocks, and productivity divergence in Europe », vous analysez comment les réallocations sectorielles ont eu des conséquences néfastes sur la productivité dans de nombreux pays d’Europe. Comment expliquer ce phénomène ? Pourquoi n’est-il pas uniforme ?

Thomas Grjebine, Jérôme Héricourt et Fabien Tripier : Ce phénomène n’est pas uniforme car les pays européens eux-mêmes ne sont pas identiques. Ils sont en particulier très différents en matière de spécialisation sectorielle. Or, la productivité d’un pays est la somme des productivités des différents secteurs de l’économie. Et cette productivité varie fortement d’un secteur à l’autre : on sait par exemple que la productivité du secteur manufacturier est plus élevée en moyenne que la productivité dans les secteurs relevant des services. Ce constat général recouvre en outre une hétérogénéité substantielle à l’intérieur même de ces grandes catégories (manufacturier vs. services). Aussi, la croissance de la productivité varie significativement selon la spécialisation de chaque pays dans ces différents secteurs. 

De plus, les réallocations sectorielles d’activité elles-mêmes peuvent entraîner des changements de la productivité d’un pays, et ce même si la productivité au sein de chacun des secteurs ne change pas : il suffit que les parts des uns et des autres dans la production totale soient modifiées (par exemple, si des secteurs moins productifs grossissent relativement).

Quels ont été les effets des réallocations sectorielles sur la productivité française spécifiquement ? Comment l’analyser comparativement aux autres pays ?

À Lire Aussi

Les vrais déterminants des prix de l’immobilier ne sont pas ceux qu’on avance le plus souvent

Nous estimons que les réallocations sectorielles sont à l’origine d’une perte de 2 % de la productivité de l’économie française sur la période 2000-2015. Ce chiffre peut sembler faible mais il signifie que sans ces réallocations sectorielles, la croissance de la productivité en France aurait été deux fois plus importante. Ce chiffre est par ailleurs nettement supérieur à ceux mesurés dans d’autres pays européens, comme l’Espagne ou l’Allemagne pour lesquels la perte de productivité liée aux réallocations sectorielles est de l’ordre de 0.5 %, soit quatre fois plus faible. Pour le dire autrement, alors que la comparaison France/Allemagne est récurrente dans le débat économique : les réallocations sectorielles expliquent les ¾ de l’écart de croissance de la productivité entre les deux pays sur la période considérée.

La création de la zone euro en 1999, qui devait contribuer à une convergence accrue en Europe a donc eu les effets inverses. Est-ce un échec imputable directement à l’UE ?

Notre étude démontre que l’hétérogénéité de la zone euro reste un sujet majeur et souligne l’importance du mécanisme de spécialisation sectorielle. Nos résultats illustrent la difficulté particulière pour la Banque Centrale Européenne de mener une seule politique monétaire pour des pays à ce point différents. Il est ainsi communément admis que cette dernière était sans doute trop expansionniste (c’est-à-dire que les taux d’intérêt étaient trop bas) au début des années 2000 pour des pays tels que l’Espagne ou le Portugal, alimentant dès lors des bulles financières, notamment sur les prix des actifs immobiliers. Les résultats de notre étude soulignent précisément que les bulles immobilières ont constitué un mécanisme déclencheur significatif de réallocations sectorielles néfastes pour la productivité de ces économies. Ainsi, sans bulle immobilière, la productivité n’aurait pas diminué en Espagne, par exemple. Cependant, il est bien évident qu’il ne s’agit pas là du seul mécanisme à l’œuvre ; de nombreux autres phénomènes ont pu, eux, favoriser la convergence, qu’elle soit nominale (avec la convergence des taux d’inflation), réelle (par des transferts de technologie) ou financière (avec la création de l’union bancaire).

À Lire Aussi

Immobilier et logement : cette mère de toutes les batailles (politiques) curieusement délaissée par les candidats

Comment vos travaux peuvent-ils contribuer à une nouvelle réflexion sur la convergence de la productivité en Europe et les moyens de l’obtenir ?

Notre étude met en avant le rôle des prix immobiliers comme source des réallocations sectorielles. Les hausses de prix immobiliers facilitent l’accès au crédit des entreprises fortement dotées en biens immobiliers, entreprises appartenant dans la très grande majorité des pays aux secteurs les moins productifs. Ainsi, lorsque les prix de l’immobilier augmentent, les secteurs les moins productifs grossissent au détriment des secteurs les plus productifs. En outre, comme nous l’avons souligné précédemment, la dynamique des prix immobiliers a été fortement marquée par des phénomènes de bulles au cours des deux dernières décennies, cependant avec des tailles et des temporalités différentes : ceci explique une partie des dynamiques productives hétérogènes d’un pays à l’autre de l’UE.

Les politiques européennes visant à mieux réguler le secteur financier peuvent ainsi jouer un rôle pour favoriser la convergence de la productivité des pays européens : en l’espèce, tout ce qui préviendra ou limitera les phénomènes de bulle sur les prix des actifs (financiers ou immobiliers) sera bienvenu. Mais les politiques budgétaires ont sans doute un rôle à jouer également. D’abord, en s’attaquant à la racine de la hausse des prix de l’immobilier, c’est-à-dire, une demande structurellement supérieure à l’offre. Il peut s’agir par exemple de mesures visant à favoriser l’accroissement de l’offre immobilière, pour les particuliers comme les entreprises. Mais au-delà du secteur immobilier, c’est bien de politique industrielle qu’il convient de débattre, au niveau de chaque Etat comme au niveau de l’UE, afin de relancer la croissance de la productivité.

Pour retrouver l'étude de Thomas Grjebine, Jérôme Héricourt et Fabien Tripier : cliquez ICI

À Lire Aussi

Présidentielle 2022 : le logement, une grenade dégoupillée au cœur de la campagne ?

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !