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L’Eurovision au temps du virus : Ce que l’édition 2020 nous dit de l’état de l’Europe.
©KENZO TRIBOUILLARD / AFP

Tribune

L’Eurovision 2020 a été annulé ? Qu’importe ! Les vicissitudes de son organisation jettent un jour kitsch mais éclairant sur l’état de l’Europe. Une Europe souffrante, une Europe suspendue et une Europe résiliante.

Cyrille Bret

Cyrille Bret

Cyrille Bret enseigne à Sciences Po Paris.

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Florent Parmentier

Florent Parmentier

Florent Parmentier est enseignant à Sciences Po et chercheur associé au Centre de géopolitique de HEC. Il a récemment publié La Moldavie à la croisée des mondes (avec Josette Durrieu) ainsi que Les chemins de l’Etat de droit, la voie étroite des pays entre Europe et Russie. Il est le créateur avec Cyrille Bret du blog Eurasia Prospective

Pour le suivre sur Twitter : @FlorentParmenti

 

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Comme chaque année depuis 1956, le concours Eurovision de la chanson a tendu à l’Europe un miroir déformé mais éclairant sur sa situation intérieure et sur son rayonnement international. A cette différence près que la 65ème édition, prévue pour se dérouler, dans ses phases finales, à Rotterdam, a été purement et simplement annulée. Le concours reprendra en 2021 à Rotterdam. D’ici là, quelle image l’Europe voudra-t-elle donner d’elle-même à travers le monde ? La question se pose bien entendu sur le plan économique, politique, social et diplomatique. Mais, ce sera également le cas à n’en pas douter sur le plan médiatique et celui du soft power.

Une édition à l’image du continent : reportée, confinée et a minima

La prise de conscience des organisateurs de l’Eurovision a été progressive ; l’Union européenne de radiodiffusion (qui organise le concours depuis l’origine) s’est comportée comme l’Union européenne, de manière heurtée et au gré des bouleversements du moment. Qu’on en juge plutôt au regard de la chronologie :

  • Le 6 mars, les délégations finlandaise, grecque, israélienne, italienne, suédoise et suisse ont décidé de ne pas se rendre à Rotterdam pour le meeting des délégations, comme il est de coutume.
  • Le 13 mars, l’Union européenne de radiodiffusion annonce qu’une annulation est possible. Les événements de lancement en Israël et en Espagne, prévus traditionnellement pour préparer le concours, sont annulés.
  • Le 18 mars, l’annonce de l’annulation se produit au moment même où plusieurs pays déclarent des mesures de confinement.
  • Le 16 mai, une émission non compétitive Eurovision : Europe Shine a Light remplace le concours.

Pour la première fois depuis 1956, le concours a été annulé. Ainsi, l’Europe accepte de reconnaître aux yeux du monde qu’elle est une des régions les plus frappées par la pandémie : derrière les Etats-Unis et le Royaume-Uni, pour les statistiques connues, l’Italie, l’Espagne et la France suivent au nombre de décès. L’Europe a été, après la Chine, l’épicentre mondial de la Covid-19.

Le concours a été remplacé par une émission en visioconférence mais qui n’a pas réuni de public : les chiffres d’audience sont très médiocres, comparés aux 200 millions de personnes qui regardent l’Eurovision à cette période de l’année.

Le non-déroulement du concours a fait corps avec le déroulement de la crise en Europe.

Des tensions évidentes qui endommagent l’image de l’Europe

Comme partout en Europe, des tensions sont apparues : la Covid-19 a montré des divisions entre Etats du Nord économes et sûrs d’eux-mêmes et des Etats du Sud davantage touchés ; entre l’Ouest du continent, décrit comme volontiers donneur de leçons, et l’Europe Centrale et Orientale, moins touchée ; entre des Etats souhaitant fermer les frontières et d’autres souhaitant garder des liens économiques.

Dans l’organisation de l’Eurovision, des tensions sont également apparues, entre partisans du maintien ou non du concours, illustrant les débats entre protection de la santé et reprise de l’économie, existant entre les différents Etats mais aussi au sein des sociétés ; mais également sur les modalités de remplacement, toutes écartées : tenue sans public ; tenue du concours à distance, chaque délégation restant à domicile. On a retrouvé des problématiques similaires pour le football, autour de la clôture de la saison ou de la tenue des matchs sans public comme en Allemagne.

La crise de la Covid-19 a dégradé l’image que l’Europe se fait d’elle-même et de celle qu’elle renvoie à l’extérieur. Les opérations de communication chinoise, cubaine et russe en Italie ont mis en avant la cacophonie européenne, largement due au fait d’une absence de compétences de l’UE en matière sanitaire. La désorganisation a donc signifié que la solidarité européenne était morte, alors qu’elle n’est pour ainsi dire pas née : le projet de Communauté européenne de Santé de Paul Ribeyre (1952) n’a pour ainsi dire pas laissé un grand souvenir dans l’histoire de l’intégration européenne. Les vicissitudes de l’organisation européenne font corps avec le vécu général de la crise, faite d’une crise du multilatéralisme, engluée à l’image de l’Organisation mondiale de la Santé.

Quel visage pour l’Europe en 2021?

Lorsque les phases finales du concours 2021 s’ouvriront, au printemps prochain, quel sera le visage de l’Europe? Celui-ci sera très certainement malmené par les vagues et le ressac de l’épidémie. A l’heure de penser « le jour d’après », l’Europe peut se représenter de trois manières différentes en fonction de sa situation pandémique. La Covid-19 peut être pour l’Europe une parenthèse, une crise durable ou d’une affirmation de sa souveraineté.

L’Europe peut espérer être en mesure de tenir l’édition 2021 à Rotterdam avec le glamour insouciant des précédentes éditions, comme si la pandémie n’avait été au fond qu’une simple parenthèse, un nuage dans un concours festif et solaire. L’édition 2021 sera alors la consécration de la capacité des pays européens à dépasser la crise, à la sublimer par sa célébration du kitsch propre à ce spectacle.

Néanmoins, l’idée d’un retour à la normale l’an prochain doit coexister avec la possibilité d’une récession économique et d’une crise sociale prolongée, que l’Europe redoute. Avant tout parce que cette dépression ne peut que nourrir un rejet de l’ouverture internationale, ferment d’autres rejets et de recherche de bouc-émissaires. La libération des mœurs promue par ce concours n’est pas certaine d’y gagner. Le concours 2021 serait alors une compensation et une façon d’oublier, une forme de catharsis.

Entre la parenthèse et la crise durable, l’an prochain pourrait peut-être montrer la résilience de l’idée européenne ; après tout, la victoire des partisans de l’affaiblissement de l’Europe aux élections parlementaires de 2019 n’a pas eu lieu. Selon l’adage, l’Europe ne peut se permettre « de gâcher une bonne crise ». En dépit des difficultés, réelles et persistantes, l’édition 2021 sera alors la célébration non pas du retour à la normale mais de la résilience de l’Europe.

Il faudra donc suivre l’édition de l’Eurovision l’an prochain à plus d’un titre : comme Jacques Attali le soulignait dans son livre Bruits, la musique précède les grandes évolutions du temps. C’est en ce sens que les philosophes doivent écouter le monde plutôt que l’interpréter ; gageons que les dirigeants européens trouvent la partition d’une sortie de crise.

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