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L’Europe face au piège des loups guerriers de la diplomatie chinoise.
L’Europe face au piège des loups guerriers de la diplomatie chinoise.
©ludovic MARIN / AFP

C’est qui le plus fort ?

Alors que les États-Unis ont choisi la voie du bras de fer assumé, les Européens préfèrent celle du pragmatisme. Mais Pékin n’a cure des subtilités européennes et semble déterminé à faire ravaler ses valeurs à l’UE. Comment sortir d’une situation perdant/perdant pour le vieux continent ?

Florent Parmentier

Florent Parmentier

Florent Parmentier est enseignant à Sciences Po et chercheur associé au Centre de géopolitique de HEC. Il a récemment publié La Moldavie à la croisée des mondes (avec Josette Durrieu) ainsi que Les chemins de l’Etat de droit, la voie étroite des pays entre Europe et Russie. Il est le créateur avec Cyrille Bret du blog Eurasia Prospective

Pour le suivre sur Twitter : @FlorentParmenti

 

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Atlantico : La Chine contre-attaque après les sanctions européennes prises lundi à l'encontre de quatre responsables chinois, mis en cause dans la persécution de la minorité Ouïghoure dans le Xinjiang. En retour, Pékin a brandit l'arme des sanctions contre quatre entités et dix députés européen. Pour le journal Politico, "les loups guerriers de la Chine ont montré qu'ils étaient prêts à sacrifier leur accord commercial avec Bruxelles en ciblant directement le Parlement plutôt que d'être sermonnés par l'Europe sur ce qu'ils considèrent comme des questions de sécurité intérieure." La Chine reste sur une position extrêmement dure, face à une Europe qui semble encore vouloir négocier avec pragmatisme et subtilité. Avons-nous été trop tendre par le passé pour en arriver à une telle situation ?

Florent Parmentier : Le ton de Pékin a assurément changé : sous Hu Jintao, le slogan phare était celui de “l’essor pacifique de la Chine” ; aujourd’hui, la Chine n’hésite plus à recourir à l’intimidation, ce que symbolise l’expression “diplomatie du loup guerrier” (d’après le film d’action patriotique Wolf Warrior 2 de 2017). Le jeu d’influence subtil laisse davantage la place aux rapports de force, aussi durs qu’avec la Russie. S’en prendre à des députés européens est la preuve de cette évolution, le besoin de modération n’est plus éprouvé de la même manière. 

L’accord d’investissement de décembre semble déjà loin ! Il devait pourtant garantir un meilleur équilibre dans les relations économiques entre l’Europe et la Chine, et garantir une meilleure garantie des droits humains et la ratification des conventions de l’Organisation internationale du Travail. Par ailleurs, la Chine entend se positionner stratégiquement dans le voisinage de l’Union européenne, où elle est de plus en plus présente, comme dans les Balkans mais aussi en Ukraine et dans le Caucase. 

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Il est certain qu’il faut bien doser l’action européenne : être très dur sur la rhétorique sans agir, c’est se déconsidérer ; négliger les valeurs est nous déconsidérer à nos propres yeux ; il faut donc défendre les droits et les intérêts de concert, sans chercher à donner des leçons à la Chine. Et nous défendre aussi contre la désinformation provenant de Chine. Cela suppose de repenser profondément notre action dans le monde. 

S'asseoir sur nos valeurs serait une défaite majeure, et résister semble voué à l'échec. Comment l'Union européenne peut-elle sortir de cette situation perdant/perdant ? Quels sont ses leviers d'actions ?

L’Europe est prise dans un dilemme sans doute classique pour les démocraties ; pour résumer, on ne fait pas de politique avec de la morale, mais on n’en fait pas non plus sans. L’idée est donc de se tenir à des lignes rouges mais de garder également des canaux de négociations. Parmi ces lignes rouges, l’attaque des régimes démocratiques doit faire l’objet d’une réponse conjointe des Européens, sans nécessairement suivre les Etats-Unis dans une volonté d’en découdre. Nous verrons si, sur ce point, Biden est dans la continuité de Trump dans sa contestation de cette montée en puissance de la Chine ou dans la rupture. 

Dès 1931, Paul Valéry se caractérisait par sa lucidité en évoquant avec quelques décennies d’avance la montée en puissance de la Chine dans son ouvrage Regards sur le monde actuel : “Considérez un peu ce qu’il adviendra de l’Europe quand il existera par ses soins, en Asie, deux douzaines de Creusot ou d’Essen, de Manchester, ou de Roubaix, quand l’acier, la soie, le papier, les produits chimiques, les étoffes, la céramique et le reste y seront produits en quantités écrasantes, à des prix invincibles, par une population qui est la plus sobre et la plus nombreuse du monde, favorisée dans son accroissement par l’introduction des pratiques de l’hygiène.” La Chine file vers 2049 avec confiance et détermination, ce qui manque à des Européens angoissés et avec peu de perspectives. Une meilleure définition de nos intérêts de long terme est inévitable si l’on veut continuer d’exister, à moins de devenir un petit cap du continent asiatique. 

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Des canaux de négociation doivent cependant continuer d’exister, et il existe des intérêts communs, notamment en matière environnementale. L’Europe parvient à se projeter dans l’avenir avec le Pacte vert 2050. En la matière, on verra à l’avenir un mélange de coopération et de compétition. 

La diplomatie européenne est-elle amenée à se transformer face à cette menace chinoise ? La parole des dirigeants européens a-t-elle suffisamment de poids ?

Prendre en compte le poids toujours croissant de la Chine, qui se présente dorénavant comme un modèle, est un défi pour les Européens. L’apparition dans le discours européen du terme de “rival systémique” en est le symptôme. On peut se dire qu’en termes d’industrialisation et de recherche, la Chine joue aujourd’hui en pôle position et non plus dans un rôle d’acteur émergent. 

En réalité, la relation Europe - Chine semble ressembler à ce que Élie Cohen et Richard Robert ont décrit dans leur livre La valse européenne (Fayard, 2021) comme une valse à trois temps : d'abord l'Europe déçoit, elle agit de manière tardive et inadaptée. Puis la machine comme notaire se réveille dans l'action et prend de la consistance. Enfin l'Union surprend par son audace et, bien souvent, s'imagine faire jeu égal avec les grandes puissances. L’accord sur les investissements s’inscrivait dans cette perspective, avec une position plus ferme des Européens, en donnant des règles d’investissement et en ouvrant le marché chinois. C’est en travaillant sur ce type de position de négociation que les Européens peuvent peser face aux Chinois.

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