L’Europe dépendante du gaz russe ? Voilà pourquoi il est plus que temps de faire la transparence sur le financement de mouvements écologistes par la Russie<!-- --> | Atlantico.fr
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Un conteneur est décoré d'une carte montrant le gazoduc Nord Stream 2, qui devait livrer du gaz russe en Europe, dans le parc industriel de Lubmin, en Allemagne, le 1er mars 2022.
Un conteneur est décoré d'une carte montrant le gazoduc Nord Stream 2, qui devait livrer du gaz russe en Europe, dans le parc industriel de Lubmin, en Allemagne, le 1er mars 2022.
©John MACDOUGALL / AFP

Energie

Contrairement à ce dont nous avons fini par nous convaincre, l’Europe ne manque pas de ressources naturelles. Et l’argent investi par les entreprises énergétiques russes n’est pas pour rien dans nos vraies fausses certitudes.

Drieu Godefridi

Drieu Godefridi est juriste (facultés Saint-Louis-Université de Louvain), philosophe (facultés Saint-Louis-Université de Louvain) et docteur en théorie du droit (Paris IV-Sorbonne).

 
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Atlantico : En 2014, l’ancien secrétaire général de l’OTAN Anders Fogh Rasmussen déclare que la Russie, en pointe dans les opérations de désinformation, finance des activistes environnementaux luttant contre le gaz de schiste pour maintenir la dépendance européenne au gaz russe importé. Quelles sont les preuves qui ont mené M. Rasmussen à énoncer de telles accusations ? Où trouve-t-on les traces de ces financements

Drieu Godefridi : Les propos exacts de Rasmussen sont les suivants: "J’ai rencontré des alliés qui peuvent rapporter que la Russie, dans le cadre de ses opérations sophistiquées d’information et de désinformation, s’est engagée activement auprès de soi-disant organisations non gouvernementales – des organisations environnementales travaillant contre le gaz de schiste – pour maintenir la dépendance européenne vis-à-vis du gaz russe importé". Ces propos ont été relatés par The Guardian, dans un article du 19 juin 2014. Anders Fogh Rasmussen qui, avant d’accéder au secrétariat général de l’OTAN, avait été premier ministre du Danemark, refuse expressément d’élaborer ces accusations, car il ne lui appartient pas de le faire. Il s’en tient, c’est légitime, à sa compétence de secrétaire-général d’une alliance militaire, qui n’est judiciaire, ni d’investigation journalistique.

À noter que le fait, pour une organisation écologiste, d’être financée par le gouvernement de la Russie, n’est pas en soi illégal. C’est toute l’ambiguïté de la matière. Dans le contexte qui est le nôtre, on reste cependant interdit par le peu d’intérêt porté par la presse traditionnelle au financement d’organisations écologistes par le régime autocratique russe.

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Y a-t-il d’autres preuves du soutien de l’État russe et des entreprises du pays à des mouvements écologistes

Le cas le plus clair est celui de l’Allemagne. En Allemagne, les principales organisations écologistes WWF, BUND et NABU ont créé une fondation ‘pour l’environnement’ avec l’entreprise Nord-Stream, qui est une émanation du géant gazier russe Gazprom. Cette fondation ‘écologiste’ fut dotée de 10 millions d’euros par Gazprom. Ces faits ne sont pas contestés et même revendiqués par Nord Stream/Gazprom sur son site Web allemand. Le financement d’une fondation écologiste allemande par Gazprom, le géant gazier russe, est ainsi établi. Les mêmes organisations écologistes accouplées à Gazprom étaient, par ailleurs et dans le même temps, de farouches opposants au nucléaire civil allemand et à l’exploitation du gaz de schiste en Europe.

En Belgique, l’actuelle ministre de l’Énergie Christinne Van der Straeten, est issue du parti écologiste flamand GROEN. Avant de devenir ministre, Christinne Van der Straeten était associée à 50% d’un cabinet d’avocats dont l’un des ‘gros’ clients n’était autre que Gazprom, le géant gazier du gouvernement russe. Devenue ministre, Mme Van der Straeten entreprit de démanteler intégralement le parc nucléaire civil belge, pour lui substituer des centrales au gaz, qui devront par nécessité être approvisionnées, entre autres, par Gazprom.

‘On a retrouvé des financements de Gazprom, expliquait sur CNEWS le directeur de la Fondation pour l’innovation politique (Fondapol) le 26 février dernier, en particulier dans des ONG écologistes qui ont fourni des ministres à certains pays d'Europe et qui ensuite sont embarqués dans une sorte de retour d'ascenseur en défendant la sortie du nucléaire’, et de donner l’exemple de la Belgique. Imagine-t-on la clameur que susciterait l’étonnant ‘parcours’ de Christinne Van der Straeten dans un pays scandinave ? Imagine-t-on le festin d’investigations journalistiques sur la trajectoire financière et professionnelle de la ministre et de son entourage, s’il s’était agi d’une personnalité issue d’un parti non écologiste ?

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Aux États-Unis, deux des parlementaires américains les plus en pointe sur l’énergie ont retracé la généalogie de dizaines de millions de dollars de financement dont ont bénéficié les plus grandes organisations écologistes américaines, jusqu’à une fondation américaine. Cette fondation était elle-même financée à coup de millions par une société-écran sise aux Bermudes créée par deux individus spécialisés dans le blanchiment de l’argent issu du gouvernement de la Fédération de Russie. Depuis deux décennies au moins, la Fédération de Russie a créé un immense maillage de sociétés-écrans dans des fiefs juridiques discrets pour sceller la distribution de fonds à des organisations et personnalités en Occident. Par exemple, en 2008, une cour de justice des îles vierges britanniques condamnait l’une de ces sociétés-écrans du fait d’avoir ‘opéré un mécanisme sophistiqué de blanchiment d’argent issu du gouvernement de la Fédération de Russie pour ‘nettoyer’ cet argent et le réinvestir.’ (‘From Russia with Love? Examining Links Between US Environmental Funder and The Kremlin’)

Quel impact concret et prouvé cela a-t-il eu sur les décisions européennes et nationales ?

C’est la question centrale, vous avez raison. On pourrait la reformuler de la manière suivante : peut-on être financé par un gouvernement étranger sans en tenir aucun compte ? Je donnerai, si vous le permettez, un exemple personnel. Comme nombre de politiques et d’intellectuels français, j’ai répondu à plusieurs reprises aux questions et demandes d’interview de la chaîne RT France. RT France est une chaîne gouvernementale russe, financée à 100% par le gouvernement de la Fédération de Russie. Motif par lequel je n’ai jamais accepté un centime de rémunération de RT France, directe ou indirecte. Parce qu’il ne me paraît pas possible de revendiquer une liberté de contenu, sur des sujets politiques, en étant financé par le gouvernement de la Russie. Cette indépendance est une exigence morale, légale dans certains cas, ce que l’on voudra. De mon de vue, l’exigence est d’abord épistémologique : on ne mord pas la main qui vous nourrit. Quand le gouvernement russe finance des organisations écologistes, il n’est pas désintéressé. Quand des organisations écologistes acceptent des financements du gouvernement russe, elles entrent du fait même dans une forme de docilité à l’égard de ce gouvernement autocratique, de ses intérêts économiques et de ses positions géopolitiques.

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Avons-nous fini par être convaincus des discours de ces mouvements écologistes ? En payons-nous les conséquences aujourd’hui ?

Les organisations, mouvements et partis écologistes ont obtenu en Europe satisfaction dans deux dossiers importants : l’interdiction de l’exploitation du gaz de roche-mère, aussi appelé gaz de schiste, et la destruction par plusieurs États de leur parc nucléaire civil. Ces deux victoires écologistes garantissent la dépendance de l’Europe à l’égard du gaz russe. Aujourd’hui, l’Europe importe 40% de son gaz depuis la Russie ; en Allemagne, ce pourcentage grimpe à 55%. Pour le dire autrement, d’un point de vue énergétique, l’Europe est à la merci du régime autocratique russe. Vainement argue-t-on, dans les milieux écologistes, que l’Allemagne pourrait substituer du gaz américain au gaz russe : entre permis et construction, il faudra plusieurs années pour que l’Allemagne se dote d’un terminal gazier LNG (elle n’en a pas, seulement les gazoducs de Gazprom). En réalité, l’effort de guerre russe en Ukraine est financé par l’argent européen. Le think tank Bruegel estime à près de 700 millions d’euros par jour la contribution européenne actuelle à l’effort de guerre russe:

Comme le soulignait Damien Ernst, professeur à l’université de Liège et spécialiste de l’énergie, 660 millions d’euros par jour, c’est l’équivalent de 200 nouveaux tanks russes T-90. Par jour.

Un mot de conclusion ?

L’horreur des exactions perpétrées par la Russie en Ukraine exige de faire la lumière sur le financement d’organisations écologistes en Occident par le gouvernement de la Fédération de Russie. L’obligation n’est-elle pas morale autant que de sécurité nationale ? Ne devons-nous pas à l’histoire, au peuple ukrainien et à nos enfants la vérité sur cette complicité objective ?

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