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L'euro peut-il se permettre d'être au-dessus du droit ?
©Reuters

Decod'Eco

Nous assistons de plus en plus à une contorsion des principes a priori intangibles : ils se cambrent, plient, voire rompent... toujours pour la bonne cause, sauver l'euro.

Isabelle  Mouilleseaux

Isabelle Mouilleseaux

Isabelle Mouilleseaux est directrice de publications chez Publications Agora.

Elle a notamment co-écrit Le déclin du Dollar : une aubaine pour vos investissements ? (Valor, 2008).

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Une fois encore, il y avait urgence, il fallait agir, et ils n’avaient pas le choix... La solution élaborée est probablement "la moins mauvaise", mais l’épisode chypriote prouve une nouvelle fois que le sauvetage de l’euro justifie les moyens aux yeux de nos dirigeants européens.

  • Ils sont prêts à passer outre les traités et à s’arroger des droits qu’ils n’ont pas

La BCE n’a-t-elle pas agit en dehors de son mandat en s’auto-habilitant à prendre des mesures qui relèvent du politique (rachats illimités de dettes souveraines) ? Elle n’a aucune légitimité politique ou démocratique pour le faire.

  • Ils sont prêts à mettre en cause le droit de propriété privée en ponctionnant les dépôts

La troïka a tout de même donné son aval à une ponction obligatoire de tous les dépôts, y compris ceux garantis de moins de 100 000 euros. Une forme de répression financière extrême, voire d’expropriation pure et simple. Devant le refus du Parlement chypriote et le tollé provoqué, la copie a été revue. Mais le mal est fait, la suspicion se répand.

Qu’on fasse payer les actionnaires et détenteurs d’obligations, très bien. Ils ont joué, pris un risque, perdu. Mais qu’on s’en prenne au déposant, à ses avoirs, et à son droit de disposer de ses avoirs est une toute autre histoire. Pourquoi n’avoir pas agi plus vite ? Pourquoi avoir laissé aux détenteurs obligataires le temps de vendre leurs titres ? Laissant du coup les déposants en première ligne pour éponger les pertes ?

  • Ils sont prêts à faire fi des principes démocratiques en imposant des décisions à un pays, sans débat

Les Chypriotes se sont vu imposer une solution extérieure, brutalement. Et que dire de Monti en son temps...

  • Même les Allemands ont dû se battre à l’occasion des potentiels rachats "sans limites" d’obligations souveraines par la BCE qui engagent les contribuables allemands en cas de défaut d’un pays. Ils ont obtenu, grâce à leur Cour constitutionnelle, que leur souveraineté budgétaire ne soit pas bafouée : leur destinée ne sera pas mise à risque par la BCE sans que le Bundestag (parlement) n’ait au préalable donné son accord.


Nous assistons de plus en plus à une contorsion des principes à priori intangibles : ils se cambrent, plient, voire rompent... toujours pour la bonne cause, sauver l’euro...

L’euro est-il au-dessus du Droit ?

Y a-t-il des limites ? Le droit s’impose-t-il à l’euro ? Jusqu’où aller pour sauver l’euro ?Peut-on construire l’euro sans, voire "contre" les peuples ?

Le respect du droit est fondamental, son non-respect ayant conduit au pire... Que nos plus hautes instances dirigeantes tentent de passer régulièrement outre le droit ne devrait-il pas nous préoccuper ?

Ces "entorses" au droit en valent-elles vraiment la peine ? Ce qui revient à poser une question de fond : les politiques se battent-ils pour une cause (l’euro) pérenne et viable à long terme ?

N’oublions pas deux points importants :

Une monnaie n’est qu’un vulgaire petit bout de papier accroché au bout d’un fil appelé confiance...

  • L’euro n’existe que parce que vous et moi avons confiance en lui. Ce qui fait la valeur du billet de 100 euros que vous tenez en main, c’est que vous êtes persuadé qu’avec ce billet vous pouvez acheter un bien réel pour une valeur de 100 euros aujourd’hui ; et que ces 100 euros auront le même pouvoir d’achat dans un mois, un an ou cinq ans.

  • L’euro étant une "monnaie unique", pour assurer sa pérennité, la confiance ne suffit pas. Il lui faut un deuxième élément clé : une unicité de valeur. L’euro doit avoir la même valeur dans tous les Etats de la zone euro. Cette unicité de la valeur est l’essence même d’une monnaie unique.

Un euro déposé à Berlin doit valoir autant qu’un euro déposé à Madrid, Chypre ou Athènes. Dit autrement, les utilisateurs doivent avoir autant confiance dans l’euro déposé à Berlin qu’à Chypre...

A quoi assistons-nous ?

  • A la désintégration progressive du concept d’unicité de la valeur de la "monnaie unique" que l’épisode de Chypre ne fait que renforcer.
  • Et à l’incapacité des gouvernements à réduire leurs dettes et déficits, ce qui altère la confiance en la solidité de l’euro.

La pérennité de l’euro n’est donc pas une certitude.

Cela d’autant plus que l’étude des unions monétaires passées en atteste : sans union budgétaire et fiscale préalable, une union monétaire constituée de pays à compétitivité variable n’est mathématiquement pas viable ; elle conduit inévitablement à l’implosion de la monnaie, la politique monétaire étant unique et les besoins divergents voire opposés. A moins de mettre en place des transferts nord-sud massifs... ce qui est loin d’être le cas.

Perte de confiance, suspicion quant au respect du droit, unicité de sa valeur mise à mal, union fiscale et budgétaire impossibles... l’euro peut-il vraiment survivre à long terme ? Ne devrait-il pas se faire à cinq ou six pays seulement avec des politiques fiscales, budgétaires et sociales fortement convergentes et ayant besoin de la même politique monétaire ? Question politiquement incorrecte, cela va de soi.

L’euro est une sorte de nébuleuse informe, colmatée de toutes parts, qui avance tant bien que mal, par à-coups, sans plan, stratégie ni tactique. Nous sommes en mode expérimental depuis le début

A défaut de se poser les questions de fond sur la pérennité et la forme de l’euro que nous construisons, nos politiques ont une nouvelle fois paré à l’urgence en le sauvant.

[Que va-t-il advenir de l'euro -- et comment vous protéger, vous et votre argent -- contre les difficultés à venir ? Pour plus de conseils et d'analyses, continuez votre lecture...]

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