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Boris Johnson, Joe Biden, Olaf Scholz, Emmanuel Macron et Mario Draghi participent à une réunion des dirigeants du G7 le 28 juin 2022 au château d'Elmau, dans le sud de l'Allemagne.
Boris Johnson, Joe Biden, Olaf Scholz, Emmanuel Macron et Mario Draghi participent à une réunion des dirigeants du G7 le 28 juin 2022 au château d'Elmau, dans le sud de l'Allemagne.
©Ludovic MARIN / POOL / AFP

Polarisation

Chute de Boris Johnson, démission de Mario Draghi, tensions sur la coalition allemande, sondages catastrophiques pour Biden, majorité introuvable en France… D’où vient le malaise généralisé des démocraties libérales ?

Benjamin Morel

Benjamin Morel

Benjamin Morel est maître de conférences en Droit public à l'Université Paris II Panthéon-Assas.

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Atlantico : Avec la chute de Boris Johnson, la démission de Mario Draghi, les tensions sur la coalition allemande, les sondages catastrophiques pour Joe Biden, la majorité introuvable en France, les démocraties libérales semblent ébranlées… D’où vient ce malaise généralisé ?   

Benjamin Morel : Il faut compter avec une multitude de facteurs qui ne sont pas toujours les mêmes selon les pays. Certains sont conjecturaux, d’autres plus structuraux. Les exemples que vous citez me semblent plutôt témoigner de cette diversité. Johnson a trouvé en Grande-Bretagne un logiciel politique particulièrement efficace, mais est victime à la fois de sa personnalité et de choix de communication désastreux. Joe Biden est lui aussi un dirigeant assez faible dont la fiabilité commence à interroger au regard de son âge et qui paie une politique hésitante. Les cas Scholz et Draghi s’expliquent par la fragilité de coalitions mises à l’épreuve par les sujets diplomatiques en Italie et énergétiques en Allemagne. La crise économique, notamment l’inflation qui touche plus encore que nous nos voisins directs, peut être des facteurs aggravants, mais elle n’est pas forcément facteur d’instabilité politique. En temps de crises, l’électorat est plutôt légitimiste, sauf si le chef est déjà marqué par le discrédit. Cela renvoie ensuite donc à des facteurs structuraux plus profonds. 

Dans quelle mesure la chute des partis et des corps intermédiaires a-t-elle mené à cette situation ?  

Là encore, il faut nuancer. Les partis américains n’ont jamais été très structurés. S’ils représentent des filtres à candidature moins performants, notamment le GOP, ils demeurent, ce qu’ils ont toujours été : des instruments de collectes de fonds et de recrutement d’un personnel gouvernemental dans le cadre d’un spoil system très développé. Pour le reste, on assiste même plutôt à un renforcement de la cohérence de ces formations. Naguère la différence entre un républicain et un démocrate était cosmétique ; il y avait plus de points communs entre un démocrate et un républicain de New York qu’entre un démocrate de New York et du Texas. Aujourd’hui, la radicalisation de la vie politique américaine rend beaucoup plus cohérents ces partis. En Allemagne et en Grande-Bretagne, les grands partis demeurent forts. La France et dans une moindre mesure l’Italie font face à une situation plus complexe. Cela est lié dans les deux pays à des transformations rapides du système politique qui ont mis rapidement sur le devant de la scène des formations peu organisées. Le cas français est encore plus singulier avec un mode de scrutin qui accentue les vagues majoritaires et un présidentialisme faisant du parti un instrument programmatique et de recrutement des élites politiques, un objet secondaire. 

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Et si la France avait besoin d’une bonne dose de mode électoral britannique pour sortir de sa crise de représentation ?

Toutefois, je n’évacue pas tout à fait votre question. Il y a bel et bien un facteur d’instabilité qui me semble lié à la personnalisation de la vie politique dans les différents pays occidentaux. Si les partis existent, la crise et l’organisation médiatique font que les électeurs votent d’abord pour un chef. Or, entre un Johnson très… lui-même ; un Biden gaffeur et un Scholz invisible, la qualité du leadership ne conduit pas à la stabilité. Le contre-exemple est Draghi ; mais justement, la coalition n’a tenu que par sa personnalité malgré les failles qui la parcouraient. Son échec à se faire élire au Quirinal a affecté la force cohésive que lui seul parvenait à emporter. 

À quel point y a-t-il une incapacité à penser le monde et à fixer des priorités et des grands recits ?  

C’est évident et c’est notre faiblesse par rapport à la Chine ou même à la Russie. La formation des élites y est sans doute pour beaucoup, mais la manière dont les médias et les réseaux sociaux structurent l’activité politique me semble surtout en cause. Nous fonctionnons par séquence médiatique monothématique ; non pas sur les sujets les plus importants, mais sur ceux les plus à même de faire du retweet. Concevoir une vision du monde et de l’avenir et se faire élire dessus, quand bien même les médias voudraient traiter de la campagne, ce qui n’est même plus garanti, relève de l’inconscience politique. Cela a des impacts à la fois sur l’adhésion des électeurs à des personnalités plus qu’à des visions du monde ; sur la sélection du personnel politique qui doit être meilleur communicant que visionnaire ; sur les programmes qui n’ont plus guère besoin d’être cohérents, mais doivent contenir quelques mesures marquantes. 

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A-t-on trop tendance à faire de la politique par signal adressé à tel ou tel électorat plutôt qu’en prenant en compte la complexité des enjeux ?

C’est le cas, mais ce n’est pas une spécificité des programmes électoraux. La multiplicité des canaux de communication favorise une information en silo où chacun va chercher ce qu’il souhaite et où les communicants vont savoir adapter leurs discours aux spécificités de la communauté concernée. Si vous souhaitez développer un slogan vous permettant de vendre du saucisson végan à des salafistes non-binaires, mais lecteurs d’Éric Zemmour, les algorithmes de Twitter et Google vont vous permettre de toucher au cœur de cette communauté somme toute très singulière. Les partis politiques prennent acte de cette segmentation des voies d’accès au marché électoral ; encore le font-ils de manière bien plus amateur que les marchands de dentifrice bio et de saucisson végan. 

Quel est l’impact des débats médiatiques et sur les réseaux sociaux et de la polarisation croissante de la société sur les démocraties ?   

Tout dépend de ce que l’on appelle polarisation. Les individus qui parlent politiques sur les réseaux sociaux sont à la fois les plus radicaux et les plus politisés. La plupart des gens « normaux » se contentent de regarder des vidéos de bébé renard ou des recettes de brownies aux haricots. Le problème de la polarisation politique sur les réseaux ne vient pas tant de ceux-ci que du miroir qu’ils tendent aux politiques qui se sentent obligés d’y être le plus populaires possible ; et donc le plus caricatural ; et des journalistes qui se sentent contraints d’en adopter le ton, car, directement interpellé et eux-mêmes très investis sur ces plateformes, ils les prennent pour des échantillons représentatifs de leurs téléspectateurs-auditeurs-lecteurs. Pour le reste, notre société n’est pas idéologiquement plus polarisée que dans les années 1980. Si vous lisez le programme de François Mitterrand, vous verrez que celui de Jean-Luc Mélenchon n’est pas si radical. Si vous regardez celui de Jacques Chirac, ceux des différents candidats de droite vous sembleront bien timorés. C’est le ton qui change. À ce titre Twitter est surtout un miroir déformant pour politiques en crises d’identité. 

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