L’envolée du cours de Nvidia relève-t-elle de la bulle financière ou de l’avènement de la révolution industrielle de l’IA ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Jensen Huang est le patron de Nvidia.
Jensen Huang est le patron de Nvidia.
©Sam Yeh / AFP

Et quel bond !

Les revenus trimestriels de Nvidia viennent de faire un bond de 265%, informe le Financial Times.

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

Voir la bio »
Fabrice Epelboin

Fabrice Epelboin

Fabrice Epelboin est enseignant à Sciences Po et cofondateur de Yogosha, une startup à la croisée de la sécurité informatique et de l'économie collaborative.

Voir la bio »

Atlantico : Les revenus trimestriels de Nvidia viennent de faire un bond de 265%, informe le Financial Times. L’entreprise a expliqué que cet incroyable succès reposait sur l’utilisation d’intelligence artificielle. Peut-on dire de l’IA, à l’issue de cette nouvelle annonce, qu’elle vit sa “révolution industrielle” ?

Fabrice Epelboin : Ce dont on parle ici, c’est de l’histoire d’une nouvelle ruée vers l’or. Dans cette analogie, l’or, c’est l’intelligence artificielle. Nvidia n’est autre que le marchand de pelles et de pioches dans cette course au trésor, il est donc naturel qu’il s’agisse de l’une des premières entreprises à bénéficier des retombées de cette situation. La planète regorge d’initiatives, menées un peu partout, qui demanderont toutes d’importantes ressources technologiques. Force est de constater qu’en l’état actuel, Nvidia est l’un des leaders incontestés des ressources technologiques permettant de travailler avec de l’IA. Celle-ci promet dès à présent des revenus énormes à de très nombreuses sociétés, qu’elle assure d’ores et déjà pour partie. Il n’est donc pas étonnant qu’on assiste à une explosion des demandes, précisément pour des technologies permettant de produire ou d'interagir avec de l’intelligence artificielle.

Nvidia, rappelons-le, n’est pas un fabricant de processeurs. Il les conçoit mais ne les produit pas. Les fabricants, qui sous-traitent d’ailleurs une partie de la production, profitent aussi des retombées. De même que les data center, que l’on installe aux quatre coins du monde (et qui sont d’ailleurs confrontés à des considérations géopolitiques, celles-ci pouvant influencer les prix de l’énergie). C’est toute cette industrie qui est secouée par l’arrivée de l’IA, puisqu’elle engendre des investissements colossaux ainsi qu’une tension conséquente sur le marché. 

Michel Ruimy : L'essor fulgurant de l’intelligence artificielle (IA) ces dernières années est incontestable. On peut observer une accélération dans ses progrès et une adoption croissante dans divers domaines, de la recherche scientifique à la vie quotidienne, tout en bouleversant les modes de production, d’organisation et de communication. Cette dynamique rappelle les débuts de la Révolution industrielle de la fin du XVIIIème-début XIXème siècle, où l’innovation technologique a transformé en profondeur les sociétés et a conduit à la disparition de métiers traditionnels.

Cependant, bien que l’analogie avec la Révolution industrielle puisse être pertinente pour décrire l’ampleur des changements sociaux, économiques et technologiques que l’IA est en train de catalyser, cette comparaison doit être nuancée si nous considérons notamment la nature, le rythme du changement et l’impact social de cette innovation. La Révolution industrielle était principalement centrée sur la mécanisation et la production de masse tandis que l’IA repose sur des technologies numériques et l’apprentissage automatique. L’évolution de l’IA est exponentielle, avec des progrès rapides et des innovations constantes alors que la Révolution industrielle s’est déroulée sur des décennies. L’IA soulève, enfin, des questions éthiques et sociales nouvelles, comme la surveillance de masse, la partialité des algorithmes…

L’IA est en train de transformer profondément nos sociétés et de manière inédite. Son avenir dépend de notre capacité à la maitriser et à l’orienter vers des objectifs bénéfiques pour tous.

Dans quelle mesure la performance Nvidia est-elle potentiellement annonciatrice de bons résultats pour d’autres entreprises et d’autres secteurs ? Quels sont ceux qui pourraient “profiter” de la vague, au juste ?

Fabrice Epelboin : Nous l’avons déjà brièvement évoqué, mais le secteur des data center va lui aussi connaître un boom incroyable. Simplement, il est beaucoup moins concentré que celui de la production des processeurs et cela se reflète donc mécaniquement moins sur les cours de bourses. D’une façon générale, le secteur de la fabrication des microprocesseurs connaît un boom très conséquent, qui profite notamment à Intel et AMD dont les cours en bourse décollent.

Il serait naïf, cependant, de penser que l’intelligence artificielle n’aura pas d’impact sur d’autres secteurs. Bien sûr, il reste, il reste un peu tôt pour identifier avec certitude quels seront les secteurs les plus impactés mais il apparaît certain que tout ce qui touche de près ou de loin à la production de contenu fera face à une forme de révolution. Cela comprend l’activité journalistique, le domaine du divertissement… Il faut aussi tenir compte de la santé, qui va être radicalement changée à travers l’utilisation de l’IA. Il faut s’attendre à un bouleversement comparable, en termes d’ampleur, à l’invention de la machine à vapeur. 

Michel Ruimy : Nvidia a surpassé largement les prévisions des analystes avec d’excellentes performances liées à l’essor de l’IA générative, qui propulse la demande pour les processeurs de Nvidia à de très hauts niveaux. Ses bénéfices ont été multipliés par 8 en seulement 1 an et son cours boursier a été multiplié par 4 depuis fin 2022 ! Il n’est donc pas étonnant que ces résultats aient propulsé cette firme au 3ème rang mondial en termes de capitalisation boursière, devant Amazon et Google.

Cette euphorie se répand via le secteur des semi-conducteurs et bénéficie à STMicroelectronics ainsi qu’à ASML et Infineon qui enregistrent également de solides gains.

Ainsi, ce groupe ne se contente pas de dominer le secteur des puces informatiques. Il redéfinit les paradigmes de croissance dans l’industrie technologique. Autrefois, reconnue principalement pour ses cartes graphiques destinées aux « gamers », cette société s’est progressivement transformée en un leader mondial de la puissance de calcul, notamment pour le secteur de l’intelligence artificielle.

Mais, gare à la concurrence ! Elle s'intensifie, avec des acteurs comme Groq et Microsoft qui cherchent à défier la domination du leader incontesté dans le domaine de l’IA. Microsoft, en particulier, développe ses propres puces dédiées à l'IA pour réduire sa dépendance aux coûteux produits de Nvidia.

Faut-il nuancer cette performance ? Quels sont les signes dont il faudrait peut-être s'inquiéter ?

Fabrice Epelboin : Naturellement, certains dangers existent et pèsent sur la situation générale. Les secteurs dont nous avons parlé, pour les premiers d’entre eux, sont très largement basés à Taïwan. Ils sont donc sensible à la Crise entre la Chine et Taïwan et un conflit entre les deux Etats pourrait avoir un impact conséquent sur l’industrie du microprocesseur. Ce genre de situation poserait un problème mondial : on utilise ce type de technologie pour faire fonctionner la quasi totalité de nos appareils, de l’automobile au lave-vaisselle en passant par l’ordinateur. Le ralentissement de l’économie mondiale qu’il engendrerait serait beaucoup plus conséquent que celui occasionné par l’invasion de l’Ukraine.

Le deuxième risque concerne le prix de l’énergie. C’est un enjeu majeur pour l’industrie des microprocesseurs parce qu’il est capable de changer radicalement l’équation économique. Le montant énergétique consommé par un Data center est très conséquent, tant et si bien que la facture économique représente peu ou prou la moitié des coûts. Si les tarifs doublent, l’équation économique n’a plus rien à voir. Ce risque aurait donc un impact majeur sur Nvidia.

Michel Ruimy : La domination de cette société et ses résultats financiers phénoménaux marquent le début du « monde d’après » qui sera sans aucun doute marqué par l’impact transformateur de l’IA, avec Nvidia en figure de proue de cette révolution.

Cependant, bien qu’elle soit une entreprise technologique performante et innovante, il est important de reconnaître que cette firme fait face à divers défis et risques qui peuvent influencer ses performances à long terme. En effet, Nvidia est fortement dépendante de certains secteurs-clés (jeux vidéo, informatique de haute performance…) dont toute fluctuation peut impacter significativement les performances financières de l’entreprise (Sa valorisation élevée la rend vulnérable à une correction du marché). De plus, bien qu’elle soit leader dans son domaine, cette firme doit faire face à une vive concurrence venant d’autres entreprises technologiques (AMD, Intel) et/ou de nouveaux acteurs émergents dans le domaine de l’IA et des technologies de traitement graphique.

Notons que, comme toute entreprise technologique, elle est confrontée à des risques potentiels liés à la sécurité et à la confidentialité des données, en particulier dans le contexte de l’IA où les données sensibles sont souvent utilisées pour former des modèles.

Pour maintenir sa position de leadership technologique, Nvidia doit continuer à innover et à développer de nouvelles technologies pour répondre aux besoins changeants du marché et rester compétitive face à la concurrence. Par ailleurs, la fabrication de puces et de processeurs peut avoir un impact environnemental important en raison de la consommation d’énergie et de l’utilisation de matériaux critiques.

Quel est l’enjeu exact, si l’IA se révélait être une bulle financière de plus ?

Michel Ruimy : Le développement de l’IA est encore à ses débuts et il est trop tôt pour dire si le secteur de l’IA est une bulle financière ou une révolution technologique. Il n’en demeure pas moins que de forts investissements ont accompagné l’envol fulgurant de cette technologie. Devant les montants engagés, de nombreux observateurs s’interrogent sur la possibilité de la survenance d’une bulle financière, à l’instar de celle de l’internet dans les années 2000.

Notons, par ailleurs, que l’IA est une technologie disruptive, ce qui n’était pas le cas des bulles spéculatives passées. Son adoption croissante dans de nombreux domaines illustre son utilité et son potentiel. Enfin, les gouvernements investissent massivement dans la recherche et le développement de l’IA, ce qui montre leur engagement à long terme dans ce domaine.

Si une bulle financière venait à se créer et à éclater, ceci aurait de multiples conséquences :

-   Des pertes financières élevées pour les investisseurs

-   Une perte de confiance dans cette technologie et un frein au développement de nouvelles techniques d’IA

-   Une méfiance à l’égard des promesses de l’IA en tant que moteur de croissance économique et de progrès technologique, ce qui pourrait conduire à une contraction économique et à des pertes d’emplois dans les industries liées à l’IA

-   Une réponse réglementaire sévère. Les gouvernements pourraient être incités à mettre en place une législation plus stricte sur les investissements dans ce domaine et sur son utilisation dans différents secteurs, ce qui pourrait limiter son développement futur.

Il est donc crucial que l’ensemble des parties prenantes surveille l’évolution du secteur et adopte une approche prudente et réfléchie.

Fabrice Epelboin : L’intelligence artificielle n’a rien d’une bulle. Nvidia, rappelons-le, est une société qui génère d’ores et déjà des profits par milliards. Il n’y a pas matière à spéculation sur des promesses futures de rentabilité puisque l’entreprise est déjà rentable. Il faut aussi réaliser que les débouchés sont à la fois très variés et très importants, ce qui préserve le secteur. On ne peut parler de bulle en raison de risques d’ordre systémique ou géopolitique.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !