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L’enfer de Matignon n’est pas un havre de paix…
©PHILIPPE WOJAZER / POOL / AFP

Dilemme cornélien

Dans la lignée de la séquence POP2017, Bruno Cautrès accompagne BVA pour suivre le quinquennat. Nous vous proposons de découvrir le billet de cette semaine. Bruno Cautrès revient notamment sur l'impact de l'action du tandem exécutif et sur l'image du Premier ministre Edouard Philippe.

Bruno Cautrès

Bruno Cautrès est chercheur CNRS et a rejoint le CEVIPOF en janvier 2006. Ses recherches portent sur l’analyse des comportements et des attitudes politiques. Au cours des années récentes, il a participé à différentes recherches françaises ou européennes portant sur la participation politique, le vote et les élections. Il a développé d’autres directions de recherche mettant en évidence les clivages sociaux et politiques liés à l’Europe et à l’intégration européenne dans les électorats et les opinions publiques. Il est notamment l'auteur de Les européens aiment-ils (toujours) l'Europe ? (éditions de La Documentation Française, 2014) et Histoire d’une révolution électorale (2015-2018) avec Anne Muxel (Classiques Garnier, 2019).

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Depuis 1958, plus encore depuis 1962 (lorsque fut adoptée par référendum l’élection du président de la République au suffrage universel direct), nos institutions reposent sur ce que les spécialistes de droit constitutionnel appellent un « exécutif dual » ou « à deux têtes ». Le couple Président-Premier ministre est sans aucun doute le rouage institutionnel le plus fascinant de notre Vème République : il concentre sur lui seul la quasi-totalité du pouvoir de décision exécutive, des moyens et leviers d’action sans équivalent dans le système institutionnel, une écrasante proportion de l’attention des citoyens à la politique. Ce tandem est le principal acteur de notre politique nationale. Omniprésent médiatiquement, il incarne, par sa complémentarité et ses différences, les différentes facettes du pouvoir : la projection des grandes ambitions, des grandes visions de l’avenir du pays, la force du glaive qui décide et tranche du côté du Président, porté par sa légitimité populaire ; l’impulsion dans la mise en œuvre, l’animation du collectif gouvernemental, le cadrage et les arbitrages, l’incarnation du sens de l’Etat et de ses rouages pour le Premier ministre.

Ce tandem exécutif a connu différents modèles depuis 1962. Une tendance commune s’exprime néanmoins : dans la foulée de l’élection présidentielle, le Président nomme (article 8 de la Constitution) un Premier ministre très clairement issu de sa campagne électorale ou proche de lui. On constate souvent que s’il met fin en cours de mandat aux fonctions du Premier ministre (article 8 également), c’est pour tenir compte d’une nouvelle donne politique qui s’est imposée à lui en cours de mandat ou pour faire usage de son privilège d’utiliser le changement de premier ministre comme un « fusible ». Une évolution fondamentale s’est néanmoins produite avec la réduction du mandat présidentiel à 5 ans, à partir de la réélection de Jacques Chirac en 2002. Sans entrer dans une querelle de spécialistes du droit constitutionnel, pour savoir si cette réduction de 7 à 5 ans du mandat présidentiel a transformé la Vème République de manière systémique ou si la légitimité des urnes et les pouvoirs dont dispose le Président suffisent à imposer sa suprématie, on doit observer que cette réduction a touché à l’une des pièces maitresses du modèle gaullien de nos institutions. Une Constitution doit toujours être lue comme un mécanisme d’horlogerie : la Vème République de 1958 n’introduisait pas que la suprématie du Président par ses pouvoirs et notamment celui de nommer le Premier ministre. Elle donnait également au Président une vie plus longue de deux ans !

Certains analystes ou acteurs politiques en ont tiré la conclusion que le quinquennat devait restaurer la cohérence de nos institutions par la suppression pure et simple du poste de Premier ministre et le basculement vers un régime présidentiel. C’est l’une des propositions faites, par exemple, récemment par l’ancien président F. Hollande bien qu’il constate également que la machine de « decision making » de Matignon est imposante et qu’au fond c’est là que tout se passe.

La séquence politique qui s’annonce dans quelques jours, ceux qui vont suivre le second tour des municipales, va nous donner une occasion de plus de réfléchir à ces questions. La dernière enquête (juin 2020) de l’Observatoire de la politique nationale réalisé par BVA pour Orange et RTL pose clairement un dilemme cornélien à Emmanuel Macron : son Premier ministre dispose aujourd’hui d’une popularité de près de 20 points supérieurs à lui : 38% des personnes interrogées ont une bonne opinion d’Emmanuel Macron, mais c’est le cas de 54% à propos d’Edouard Philippe ! Avoir un Premier ministre assez populaire et crédité par l’opinion de son action pendant une crise majeure pourrait être vu comme un atout ; et ce d’autant qu’Edouard Philippe n’a manifesté aucune déloyauté au Président. Mais un Premier ministre plus populaire n’est-il pas un quasi « crime de lèse-majesté » ?

Il est très intéressant de constater, dans les données de l’enquête de BVA, que ceux qui ont une bonne image d’Edouard Philippe mais une mauvaise image d’Emmanuel Macron (un peu moins de 200 personnes sur 1000), sont plutôt des sympathisants LR… Changer de Premier ministre, si tel était l’option du Président, n’est pas une opération très simple à réaliser. En effet, changer le Premier ministre ne sert pas à grand-chose si l'on ne change pas de politique en même temps, ce dont doutent sérieusement les Français quand ils considèrent les intentions d'Emmanuel Macron.

Dans tous les cas de figure, le couple exécutif « à la française » est décidément fascinant, un couple un peu infernal : ça commence toujours bien et ça finit souvent moins bien… Si Edouard Philippe se succède à lui-même dans quelques jours, il rejoindra le club fermé des Premiers ministres qui ont tenu 5 ans dans « l’enfer de Matignon ». Si tel n’est pas le cas, on attendra avec impatience le livre dans lequel cet amateur de lecture nous dévoilera un peu comment s’est passée sa sortie de « l’enfer » et son retour dans son havre de paix… Mais pour cela, il lui faut encore passer le cap du 28 juin !

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