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L’Emission politique : un débat un peu éloigné de l’Europe des réalités
©BERTRAND GUAY / AFP

Des hauts et débat

Le débat qui réunissait hier sur France 2 les 12 têtes de liste françaises aux élections européennes a eu le mérite de démontrer que notre classe politique française n'est pas à la hauteur de l'enjeu européen.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Il est minuit, les douze candidats débattent toujours sur l’Union et sur l’Europe. Combien de téléspectateurs ont-ils eu le courage de les écouter jusqu’au bout? Et il va falloir, si l’on vainc l’ennui, encore subir douze conclusions, douze fois une minute de discours figé, préparé au point d’apparaître mécanique. A vrai dire, ce débat a depuis longtemps donné ce qu’il pouvait donner, il a révélé combien l’Union Européenne est devenue délétère pour la politique politique française. Il ne s’agit pas de mettre en cause la compétence ni le dévouement des hommes et des femmes qui s’exprimaient hier soir. Mais l’absence de véritable vision sautait aux yeux. 

J’ai eu un moment de colère, dans la soirée. Les journalistes faisaient voter sur la question de l’élargissement de l’Union Européenne à la Serbie. Neuf candidats sur les douze ont voté contre. Or il se trouve que nous sommes vingt ans, très exactement, après l’abjecte attaque de l’OTAN contre la Serbie, en 1999, pour forcer cette dernière à se séparer, de facto, du Kosovo; rien n’aurait pu mieux montrer, de la part des candidats critiques de l’Union Européenne ou soucieux de la réformer profondément, qu’on a fait totalement fausse route et qu’il faut changer complètement de méthode que de s’emparer du sujet. C’était d’autant plus nécessaire que le président de la République a infligé, en novembre dernier, un camouflet sans précédent au président serbe, en invitant le représentant kosovar à la commémoration du 11 novembre à être dans la tribune officielle et en reléguant son collègue serbe dans la tribune des invités. Croyez-vous vraiment Mesdames et Messieurs les eurosceptiques, que vous gagnerez une seule voix en ayant voté, fictivement, contre l’élargissement de l’UE à la Serbie sous prétexte de ne pas accroître encore les transferts financiers vers l’Europe de l’Est? Alors qu’il s’agit de sauver l’honneur de la France ! Comment ne pas avoir, à ce moment-là, de la sympathie pour les deux seuls à avoir voté oui sur le plateau, Jean-Christophe Lagarde et Raphaël Glucksmann? 

Le débat sur la Serbie, celui sur le Brexit ou celui sur l’immigration, qui avaient eu lieu quelques minutes plus tôt, lors de l’émission, ont au fond confirmé que notre classe politique n’a pas de vision de ce que doit être la place de la France en Europe ni de quelle proportion de notre diplomatie nous devons consacrer à l’Europe par rapport au reste du monde. 

Il est bien vrai que la Grande-Bretagne a servi de révélateur. Madame Loiseau s’accrochait à un seul exemple de fermeture d’usine en Grande-Bretagne pour nier la réalité: à savoir qu’il n’y a pas eu, qu’il n’y aura pas les déménagement massifs d’usines et de bureaux depuis la Grande-Bretagne vers l’UE alors même que le Royaume-Uni sort de la construction bruxelloise. D’autres s’obstinaient à parler du chaos britannique, à insulter les parlementaires britanniques. Prudents, François-Xavier Bellamy, Jordan Bardella et Nicolas Dupont-Aignan demandaient que l’on respecte le vote du peuple britannique. Personne n’a pris au sérieux le seul qui disait la vérité en l’occurrence, François Asselineau, revenu de quelques jours passés à Londres, et qui a justement souligné le contraste entre la bonne santé de l’économie britannique et le désastre français; celui entre la paix civile qui règne en Grande-Bretagne et les vingts samedis en jaune qui ont plongé la France dans une crise politique profonde. Cependant, sur l’immigration comme sur le Brexit, jamais la question essentielle n’a été posée: pourquoi la France, depuis François Mitterrand, a-t-elle, au nom de l’Europe, renoncé à toute politique propre alors que la plupart de nos autres partenaires font en sorte de bien gérer leurs affaires au sein de l’UE - et au besoin contre les équipes actuellement en place à Bruxelles, comme le montre le réveil politique de l’Italie ou des pays du groupe de Visegrad. Il est là, le « mal français ». On a bien des raisons de critiquer l’UE. Mais on n’a jamais vu, ou pratiquement, la France être mise en minorité au sein de l’UE quand elle veut quelque chose. Le diktat de Bruxelles ou de Francfort est le prétexte régulièrement invoqué d’une classe politique française qui a renoncé à gouverner. 

Plus la soirée avançait, plus une évidence s’imposait. Notre classe politique, qui n’est pas sans mérite, n’est pourtant pas à la hauteur de l’enjeu européen. Je serai d’accord pour dire que la situation est grave - pensons tout simplement à notre impuissance devant l’absurde politique d’immigration d’Angela Merkel - mais comment expliquer, alors, que le camp « eurosceptique » soit à ce point divisé? Il est difficile, sans aucun doute, d’unir eurosceptiques de droite et de gauche, ne serait-ce que parce que ces derniers choisiront toujours la gauche plutôt que l’union nationale contre les abus de l’Europe; en revanche, rien n’explique que le camp souverainiste soit éclaté entre Bardella, Philippot, Dupont-Aignan et Asselineau. Rien ne justifie que Bellamy se tienne à ce point à distance des eurosceptiques alors qu’il invoque régulièrement les racines culturelles de l’Europe et se réfère, au moins implicitement, à l’Europe des réalités du Général de Gaulle. Il y avait bien, hier, deux conceptions de l’Europe qui s’affrontaient: la première, de Bellamy à Asselineau en passant par NDA, Bardella et Philippot, s’appuie sur l’Europe des réalités. La seconde rassemble les partisans d’une Europe de l’abstraction, de Ian Brossat et Manon Aubry, qui avaient du mal à cacher qu’ils viennent tout juste de finir de lire « le marxisme pour les nuls » à l’idéaliste Raphaël Glucksmann, en passant par le grand inquisiteur vert Yannick Jadot, le très filandreux Benoît Hamon, le très centriste Jean-Christophe Lagarde, sans oublier Tatie Nathalie et son piment d’espelette, dont ses camarades européistes avaient fait un souffre-douleur alors qu’un fond ils partagent la même vision de l’Europe. 

En fait, le grand débat organisé par France 2 a eu un mérite: il nous a permis de voir qu’il ne peut rien sortir de bon de ces élections européennes, vu l’éclatement des forces politiques françaises. Mais il nous a aussi fait entrevoir que, pour peu qu’il y ait un candidat fédérateur, les défenseurs de l’Europe des réalités, de plus en plus nombreux, auraient bien des raisons de se faire entendre. Il était en effet assez étonnant de constater qu’aucun des candidats eurobéats - même pas Madame Loiseau - n’a contredit les eurosceptiques sur le fait que l’organisation de l’Europe doit profondément changer. Tous les candidats eurosceptiques parlaient sans crainte de protection commerciale, de frontières, de retour à la souveraineté - au point de banaliser le discours d’Asselineau. Quel chemin parcouru depuis la campagne des européennes de 2014 ! Mais que de chemin encore à parcourir pour faire comprendre aux Français comment l’on va rendre à la France sa souveraineté, réparer son tissu social déchiré, garder de l’Europe ce pour quoi elle peut nous protéger, retrouver l’équilibre, qui assure la puissance et la prospérité de la France quand il est respecté, entre notre vocation continentale et notre vocation maritime - une double vocation qui fait que c’est de la Grande-Bretagne que nous devrions nous sentir le plus proche en Europe. 

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