L’Education nationale après Charlie : des mesures intéressantes mais un problème qui dépasse de loin ce que Najat Vallaud-Belkacem a les moyens de faire<!-- --> | Atlantico.fr
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La ministre de l'Education.
La ministre de l'Education.
©Reuters

Peut mieux faire

Le gouvernement a annoncé des mesures censées rétablir les valeurs républicaines et la laïcité à l'école par le rétablissement d'un enseignement moral et civique. Un arsenal législatif dérisoire face à l'ampleur des problèmes posés à l'enseignement.

Jean-Louis  Auduc

Jean-Louis Auduc

Jean-Louis AUDUC est agrégé d'histoire. Il a enseigné en collège et en lycée. Depuis 1992, il est directeur-adjoint de l'IUFM de Créteil, où il a mis en place des formations sur les relations parents-enseignants à partir de 1999. En 2001-2002, il a été chargé de mission sur les problèmes de violence scolaire auprès du ministre délégué à l'Enseignement professionnel. Il a publié de nombreux ouvrages et articles sur le fonctionnement du système éducatif, la violence à l'école, la citoyenneté et la laïcité.

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Atlantico : Parmi ces mesures, certaines vous paraissent-elles plus intéressantes que les autres ?

Jean-Louis Auduc : Il y a d'abord deux choses qui me surprennent dans ces mesures : elles sont peu précises et elles sont le recyclage de décisions prises depuis plusieurs années et qui n'ont jamais été mises en avant. J'espère que nous allons maintenant les appliquer. L'évaluation des candidats sur leur capacité à faire partager les valeurs de la République au concours de recrutement des enseignants, par exemple, existe depuis un document d'avril 2013 et je me bats à l'heure actuelle pour qu'elle soit respectée. J'ai d'ailleurs sorti un ouvrage qui s'appelle Faire partager les valeurs de la République en novembre 2014 pour que les candidats soient justement préparés à cette mesure. Quand je regarde la proposition d'une réserve citoyenne, cela existe déjà depuis cinq ans et cela n'est pas un immense succès. C'est aussi une dénomination qu'utilise le ministère de la Défense  pour des civils chargés de travailler sur la liaison entre l'armée et la nation, notamment dans les quartiers les plus difficiles. Cela créé une confusion. Il en est de même pour la notion de parcours citoyen de l'école maternelle à la terminale, qui doit bien exister depuis une douzaine d'année. Je m'attendais à autre chose qu'un recyclage de mesures existantes.

Deux mesures me semblent néanmoins importantes. Il y a d'abord la fermeté sur la défense des valeurs, c’est-à-dire montrer que l'on ne laissera rien passer, que ces valeurs et les enseignants seront défendus en donnant davantage de sanctions en cas de comportements déviants des élèves. Deuxièmement, avoir un plan de formation continue des professeurs est une bonne chose. Cela étant, 1000 professeurs formés d'ici juillet 2015 pour avoir une vraie formation sur la laïcité et la transmission des valeurs républicaines c'est important, mais je reste sur ma faim concernant les moyens. Je ne vois pas par exemple l'annonce d'une université d'été d'une semaine où chaque académie enverrait une vingtaine de personnes pour qu'elles soient formées. Voilà quelque chose de concret qui n'a pas été proposé.

En ce qui concerne cette faillite des valeurs républicaines chez les jeunes, le mal n'est-il pas plus profond ? Le problème ne vient-il pas plus du rapport à l'autorité, de la sphère familiale ?

Le problème vient de trois enjeux. Nous sommes aujourd'hui dans une situation d'individualisme, de crise de repères, de jeunes qui passent 800 heures par an à l'école contre 2100 heures devant leurs écrans. Il y a une angoisse vis-à-vis de l'avenir de l'ensemble de la population qui empêche qu'un projet collectif ne se mette en œuvre. L'école a un rôle à jouer dans ce domaine en expliquant que les valeurs de la République sont un horizon important, et non un acquis permanant. Il faut une éducation aux médias pour sortir d'une litanie où l'on dit qu'il faut toujours plus de numérique.

Je suis heureux qu'enfin dans ce plan nous n'ayons pas de grand chapitre sur le numérique. Il faut d'abord apprendre aux élèves à s'en servir car le numérique prive les jeunes de leur éducation et les maîtres de leur autorité. L'année dernière, par exemple, pendant un cours, un étudiant surpris par ce que je disais a confirmé mes informations après les avoir vérifiées sur Internet. J'espère qu'on en a fini avec la croyance que le numérique va tout résoudre. D'ailleurs, dans la Silicon Valley, les enfants des grands patrons du numérique vont dans des écoles sans numérique. Nous avons à la place, enfin, ce chantier prioritaire qu'est la maîtrise du français. Je remarque d'ailleurs que la ministre remet en place l'évaluation en CE2 qu'on avait supprimé il y a trois ans.

Je remarque également que sur l'enseignement supérieur, où l'on sait qu'il y a une poussée des revendications religieuses et de la remise en cause des savoirs, il y a un vrai enjeu dans le sens où il forme aussi les professeurs.  La proposition qui a été faite d'appliquer les règles de la laïcité à l'enseignement supérieur n'a pas été retenue. Porter de manière ostensible des signes religieux y est autorisé.  J'aurais aimé plus de cohérence par leur interdiction.

Le gouvernement veut renforcer la formation des enseignants sur ces questions. Y-a-t-il un problème de niveau ?

Le problème c'est que ces dernières années nous avons travaillé exclusivement sur la formation initiale en pensant qu'il fallait préparer un enseignant tout armé capable d'enseigner pendant 20 ou 30 ans. C'est une erreur. Il faut donner des ouvertures et mettre en place des mesures d'accompagnement des enseignants lorsqu'ils découvrent leur poste. Si par exemple vous  faites votre formation dans une ville calme comme Limoges ou Reims et que vous vous retrouvez dans des établissements difficiles, vous n'aurez pas appris à connaître le genre d'élèves auxquels vous faites désormais face. Il faut un plan pluriannuel qui fasse que tout personnel en place ait une formation sur la laïcité et de découverte des nouveaux programmes. On peut avoir fait 30 ans de carrière sans avoir fait du tout de formation continue puisqu'elle n'est pas obligatoire au niveau du secondaire.

Soyons clairs : comment voulez-vous faire une formation sur la laïcité à l'université, c’est-à-dire où sont formés les futurs enseignants, devant des personnes portant des signes religieux ? Il faut être crédible : il y a un grand écart entre le faire et le dire en disant que l'on va développer des cours sur la laïcité en formation initiale en présence même du contre-exemple de la présence de signes religieux dans les Ecoles Supérieures du Professorat et de l'Education (ESPE), puisqu'elles sont intégrées aux universités où ils sont tolérés.

On observe aussi une crise des vocations chez les professeurs ?

Il y a une crise générale de recrutement. Et pas seulement dans les établissements difficiles. Même les plus renommés ont des difficultés. Aujourd'hui, nous sommes dans une crise de l'autorité. Il y a une remise en cause du savoir. Chacun croit qu'il va se bricoler sa connaissance sur Internet. Il y a eu pendant trop longtemps une absence de messages forts de confiance, de valorisation du savoir par rapport au métier d'enseignant. Il y a une différence entre les savoirs légitimés, qui sont ceux des programmes, les croyances et les opinions personnelles.

Le rôle des enseignants est de ne mettre en avant que des savoirs légitimés, que ce soit sur le religieux et le politique. Des enseignants sont attaqués sur des savoirs légitimés sans que l'institution ne les défende. Un bon nombre d'établissements où il y a eu des cas de non-respect de la minute de silence pour Charlie Hebdo sont ceux où il y a avait eu les journées de retrait de l'école sur la question de l'égalité hommes-femmes. Les enseignants qui s'étaient alors lancés dans des actions pour la parité n'avaient pas eu l'impression d'être défendus par l'institution. On avait alors eu un déchaînement médiatique mettant en cause les savoirs sur l'homme et la femme au profit de croyances religieuses ou d'opinions personnelles. Ne nous étonnons pas alors que l'on ait des difficultés sur l'école.

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