L'économiste qui tente d'expliquer outre-Rhin pourquoi les Allemands devraient arrêter d'avoir une peur panique de l'inflation<!-- --> | Atlantico.fr
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Le pire cauchemar des Allemands tient en moins de dix lettres : Inflation. 63% des personnes interrogées citaient en effet l’inflation comme premier sujet d’inquiétude.
Le pire cauchemar des Allemands tient en moins de dix lettres : Inflation. 63% des personnes interrogées citaient en effet l’inflation comme premier sujet d’inquiétude.
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Bien lire l'Histoire

L'hyperinflation et la République de Weimar ainsi que la montée du nazisme qui a suivi sont souvent évoquées pour justifier la peur des Allemands concernant l'inflation. Mais des voix s'élèvent dans le pays pour remettre cette idée en question et défendre l'inflation plutôt que l'austérité.

Le pire cauchemar des Allemands tient en moins de dix lettres : Inflation. En 2011, l’augmentation du coût de la vie arrivait en pole position des peurs allemandes. 63% des personnes interrogées pour ce sondage annuel citaient en effet l’inflation comme premier sujet d’inquiétude. Une autre étude menée cette fois par l’institut français Ifop pour la fondation Jean-Jaurès et la fondation allemande Friedrich-Ebert révélait que 77% des Allemands souhaitaient que la Banque centrale européenne « continue d’avoir pour principale mission de lutter contre l’inflation et la hausse des prix ». En mai dernier, un commentaire du directeur du département économique de la Bundesbank sur une possible augmentation du taux d’inflation en Allemagne provoquait la terreur. Suite aux déclarations de Jens Ulbrich, qui expliquait que l’Allemagne pourrait avoir des taux d’inflation « légèrement au-dessus de ceux pratiqués au sein de la zone euro », le quotidien allemand Bild titrait ainsi « Alarme à l’inflation », ajoutant quelques pages plus loin : « A quelle vitesse notre argent sera-t-il englouti ? Des millions d’Allemands s’inquiètent : l’inflation est de retour ! ».

Historiens et économistes expliquent souvent la peur des Allemands vis-à-vis de l’inflation en évoquant le passé, et plus précisément la République de Weimar, tristement célèbre pour son hyperinflation. Le taux d’inflation en 1920 atteignait ainsi 244% tandis qu’il explosait à 1 870 000 000% seulement trois ans plus tard, en 1923. Suivait quelques années plus tard la montée du nazisme en Allemagne… Mais expliquer l’arrivée des Nazis par la situation économique de l’époque reste limité. Certains économistes allemands refusent d’ailleurs cette théorie et estiment que ce n’est pas la bonne leçon qu’il faut retenir de l’histoire. C’est notamment le cas de Peter Bofinger, l’un des seuls économistes allemands à se prononcer contre les mesures d’austérité. Selon lui, ce n’est pas l’hyperinflation de la République de Weimar qui a conduit la montée du nazisme mais plutôt ses politiques de crise qu’il compare notamment aux mesures d’austérité prises par les pays de la zone euro. L’Allemand a ainsi déclaré au journal Weser-Kurier repris ensuite par le Welt que « les politiques mises en marche en Espagne, au Portugal et en Grèce, sont les mêmes que celles du Chancellier Brüning », soit des coupes dans les dépenses sociales… Des choses qui n’ont aucun sens selon l’économiste.

Ce n’est pas la première fois que Peter Bofinger évoque le rapport compliqué des Allemands à l’inflation. Déjà en mai dernier, il donnait une interview à l’hebdomadaire allemand Der Spiegel pour expliquer que les Allemands n’avaient rien à craindre d’un taux d’inflation plus élevé.« Pendant les années de la Bundesbank (avant l’introduction de l’euro), la perte moyenne de pouvoir d’achat était de 2,7% par an. Nous sommes encore bien loin d’un tel chiffre. Malgré une économie forte, le taux d’inflation s’élève aujourd’hui à 2,1%. Et même si les prix augmentaient de plus de 3%, ce ne serait pas un désastre », a-t-il estimé dans les colonnes du journal, ajoutant qu’une accélération de la hausse des prix en Allemagne pourrait aider à stabiliser l’union monétaire. Selon Peter Bofinger, « si les salaires [allemands] augmentaient plus vite que par le passé, augmentant donc très légèrement le taux d’inflation, ce serait un bon moyen pour aider à sortir de la crise de l’euro. Pour booster la compétitivité des pays en crise, ils pourraient baisser leurs salaires, ce qui est très douloureux, ou nous pourrions augmenter encore un peu nos salaires ».

Mais si les médias allemands ont longtemps décrié l’idée d’un taux d’inflation plus élevé, notamment soutenu par Peter Bofinger, certains se rangent désormais à ses côtés. Le quotidien Handelsblatt écrivait ainsi il y a quelques moi qu’ « il n’y avait aucune raison de paniquer », ajoutant que « dire que l’Allemagne aura un taux d’inflation plus élevé que la moyenne de la zone euro revient à un taux d’inflation compris entre 2,5 et 3%. Quand le pays avait encore le deutsche mark, l’inflation était souvent plus élevé que cela ».

Manuel Maleki est Docteur en Sciences Economiques à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne. Il est spécialiste des questions de réformes. Il a travaillé à Londres dans une grande institution financière avant de rejoindre les équipes de la recherche économique du groupe ING en tant que Senior Economiste.

Economie, croyance et mémoire collective

Dans le cas de l'Allemagne on voit que la peur de l'inflation relève de la mémoire collective d'un peuple qui a subi une hyperinflation. La lecture de l'écrivain Austro-Hongrois Stefan Zweig nous renseigne sur les dégâts concrets engendrés par l'hyperinflation à Vienne dans les années 20. Elle est destructrice tant économiquement que socialement. De manière symétrique et dans une moindre mesures, les Américains sont restés marqués par la crise 1929 et la déflation.  L'hyperinflation se distingue des autres variables macroéconomiques par sa capacité à nuire à tous les acteurs de l'économie en cassant la capacité des agents à faire des anticipations sur l'état futur de l'économie. Cette situation mène donc à cesser d'investir, d'épargner etc.

Distinguer l’inflation de l’hyperinflation

L’Allemagne du début des années 30 se caractérise par une situation d’hyperinflation. En effet, l’inflation se distingue de l’hyperinflation le niveau du taux de croissance des prix. En effet, l’inflation est nécessaire à la croissance d’une économie mais la difficulté consiste à trouver le bon niveau et surtout à pouvoir la contrôler. Le niveau adéquat d’inflation dépend bien souvent du niveau de développement, des structures économiques et aussi démographique d’un pays. Toutefois, un risque inhérent à l’inflation est celui de la spirale menant à l’hyperinflation (les études économiques montrent qu’une inflation supérieure à 40% par an accroît fortement la probabilité d’une spirale hyperinflationiste). Ainsi de l’inflation stimulatrice de l’économie on peut rapidement entrer dans une spirale mettant en péril l’économie d’un pays.

Hyperinflation, chômage, déséquilibre des finances publiques : des phénomènes qui s’auto-alimentent

L’hyperinflation de par son impact négatif sur beaucoup d’agents (travailleurs, entreprises, rentiers) fait souvent l’unanimité contre elle et permet la mise en place de réformes en vue d’y mettre fin. Ce fut par exemple le cas en Argentine à la fin des années 80. Dès lors, il faut la conjonction de nombreux éléments convergents pour mener à la déstabilisation d’un pays. Par exemple, un chômage élevé, une croissance économique mondiale faible etc. La difficulté dans la compréhension de ces phénomènes est qu’ils se nourrissent les uns les autres rendant la détermination des facteurs déclencheurs très difficiles à isoler. 

Inflation et comportement coopératif

Aujourd’hui les pays européens sont entrés dans une période d’austérité dans l’espoir de rééquilibrer leurs comptes publics et aussi de retrouver de la compétitivité. Or, l’inflation provoque un renchérissement du coût du travail. Dès lors, si l’Allemagne acceptait un taux supérieur à celui de ses partenaires, cela réduirait mécaniquement les écarts de coût du travail avec l’Allemagne. De plus, cela stimulerait la demande domestique allemande. Toutefois, cela nuirait à la compétitivité allemande à l’export.


Pierre Maxime est un analyste financier au sein de divers établissements bancaires. Il écrit pour Atlantico sous pseudonyme

La problématique de l'inflation créée par une politique monétaire trop accommodante a quasiment disparu du débat publique en dehors de la peur allemande. Les travaux académiques de Stanley Fischer (actuel Gouverneur de la Banque d’Israël et ancien professeur d’économie à Harvard) ont montré qu'une utilisation de l'arme monétaire à outrance peut créer des chocs hyperinflationnistes.
Il est certes vrai que nous disposons de vents contraires liés à la déflation induite par une dette trop importante (théorisée par Irvin Fischer a la suite de la crise de 1929).
Ces interrogations économiques montrent la difficulté de trouver le juste équilibre et la bonne réponse à la crise.
Mais force est de reconnaître qu'à un moment l’équilibre du portage du poids de la dette entre les créanciers et les débiteurs doit être posé et surtout doit être réglé dans un instant de raison afin d’éviter de distordre les comportements des entreprises et des consommateurs pour des périodes trop longues.
Malheureusement, une vision dogmatique a pris le pouvoir et aucun débat sérieux n'est porté sur la place publique. La synthèse mettra du temps a émerger. Pendant ce temps, les ménages subiront soit le poids de la déflation ou celui de l'inflation qui constituent toutes deux des conséquences catastrophiques pour les générations futures.

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