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L'école m'a tueR ? L'étrange parallélisme entre les classement des mauvais élèves du Covid et celui des mauvaises performances scolaires
©IAN LANGSDON / POOL / AFP

Corrélation

Les mauvaises performances scolaires de certains pays, à commencer par la France, dans les classements PISA, rappellent leur faillite dans la gestion de l'épidémie de coronavirus. A l'inverse, ceux qui performent (Corée du Sud, Taïwan) dans l'un ont eu des bons résultats dans l'autre.

François Dubet

François Dubet

François Dubet est sociologue spécialiste de l'éducation, professeur à l'Université Bordeaux II et directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS).

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Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico : Les mauvaises performances scolaires de certains pays, à commencer par la France, dans les classements PISA peuvent-elles offrir une grille de lecture sur les difficultés de certains pays à répondre à la crise sanitaire ?

François Dubet : Une corrélation n'est ni une cause, ni une explication. Au mieux elle pose une question et il faudrait en savoir plus pour établir un lien direct entre les performances scolaires et les performances sanitaires d'une société. Par exemple, les Allemands ont mieux résisté que nous à la première vague de la pandémie, alors que les résultats scolaires moyens des Allemands ne sont pas très sensiblement meilleurs que ceux des Français. Enfin, il faudrait regarder cette corrélation au niveau individuel et là il est clair que les moins longuement scolarisés travaillant en "présentiel" ont été plus victimes de la COVID que les plus scolarisés en télétravail. On peut parier que cette surmortalité tient plus aux conditions de vie et de travail qu'au niveau scolaire des individus. Je crois donc prudent de ne pas tirer trop vite des conclusions, même si on pense que le faible niveau des élèves Français est, en soi, une mauvaise nouvelle.

Edouard Husson : On ne peut pas établir de correspondance entre le dernier tableau PISA de 2018 et la performance des gouvernements face à la crise du COVID. Je laisse de côté la Chine communiste, dont aucune statistique n’est fiable. Elle surperforme dans PISA alors que les contrastes sociaux dans le pays restent parmi les plus forts du monde; et elle n’a prétendument que 5000 morts du COVID alors que c’est le pays d’où est partie l’épidémie, que le gouvernement a caché le début de  la maladie et que l’Inde, pays aussi peuplé, mais démocratique, affiche 140 000 morts. Mais revenons au sujet qui nous occupe. Je ne crois pas qu’il puisse être résolu par la lecture des tableaux PISA. Certes, prenons les pays démocratiques d’Extrême-Orient: ils performent bien dans PISA et ils ont parmi les meilleurs résultats face au Cvoid, tels la Corée du Sud ou Taïwan. Mais ce que nous dit la crise du COVID 19, c’est la faillite des élites. C’est le contraste entre le niveau de diplôme et la capacité à gouverner, le décalage entre l’accès à un diplôme de l’enseignement supérieur d’environ 40% d’une classe d’âge et l’incapacité d’un gouvernement élu très majoritairement par ces 40% à mettre en oeuvre une politique efficace. Cela ne change rien aux résultats médiocres de la France dans PISA: la politique de l’Education Nationale est une faillite et cela se voit dans le fait que nous soyons à la 24è place. En revanche, la Grande-Bretagne mieux classée que nous dans PISA (14è) n’est pas plus performante dans la lutte contre l’épidémie.  Rappelons que PISA mesure les résultats en lecture, mathématiques et science d’élèves de 15 ans. Nous verrons donc dans une génération ou deux ce que donnent les actuelles générations au gouvernement. 

Le manque de culture scientifique d’un pays et ses mauvais résultats dans le domaine peuvent-ils expliquer une gestion moins bonne de la crise ?

François Dubet : Là encore, je ne suis pas certain qu'il soit facile d'établir un lien entre la culture scientifique des individus et l'efficacité de la gestion de la crise. On montrerait plus aisément que le civisme et les moeurs "distanciées" des sociétés scandinaves, par exemple, ont joué un grand rôle. Bien que la Suède ne s'en tire pas tellement mieux que la France aujourd'hui et s'oriente vers des mesures plus impératives. Il va aussi de soi que la Chine a largement bénéficié de n'être pas confrontée aux demandes démocratiques, à l'opinion publique, et qu'elle a pu imposer des restrictions peu imaginables chez nous. Préservée lors de la première vague, l'Allemagne a plus de difficultés aujourd'hui et la chancelière à choisi de renforcer le contrôle et les restrictions. Quand on regarde les choses au sein des sociétés, qui pourrait dire que l'Aquitaine ou la Bretagne s'en sont mieux sorties que Paris que l'Alsace parce qu'elle auraient un meilleur niveau scientifique ? Le Sud de l'Italie, nettement moins scolarisé que le Nord de la péninsule, a cependant compté beaucoup moins de morts.

Edouard Husson : Emmanuel Macron a fait l’ENA. Olivier Véran est médecin. Ils ont donc fait des études exigeantes. Où est la faille ? Si l’étude PISA avait existé au début des années 1990, au moment où Emmanuel Macron 15 ans, on aurait eu une France sans doute dans les dix meilleurs en termes de résultats. Et pourtant, les quadragénaires d’aujourd’hui, qui peuplent les couloirs de la Macronie fournissent le plus mauvais gouvernement de l’histoire de notre pays en temps de paix. Je crois que nous sommes dans un phénomène plus général à l’échelle de l’Occident: on peut l’analyser à la fois comme la destruction de l’enseignement classique, à commencer par l’effondrement des humanités sur lesquelles a reposé la formation de nos dirigeants jusque dans les années 1980; et comme l’incapacité de l’école secondaire et de l’enseignement supérieur à s’adapter à la Troisième Révolution industrielle. Nous ne formons pas les emplois qualifiés nécessaires à nos économies digitalisées. C’est là une grande différence avec des pays comme Taïwan ou Singapour. Le drame de la France dans la crise du Coronavirus, c’est que nous sommes un pays largement désindustrialisé. Quand vous avez des dirigeants du type d’Emmanuel Macron dont la capacité à mobiliser une culture générale au service de la décision politique  est quasi-inexistante et qui n’a pas d’autre expérience du secteur privé que le secteur financier, on est peu préparé à affronter un défi, même d’intensité moyenne, comme le COVID 19.  

Une école en difficulté est-elle un terreau fertile qui peut expliquer la défiance envers le gouvernement ou envers les scientifiques que l’on constate actuellement dans les pays les plus touchés par le covid ?

François Dubet : En ce domaine il est plus raisonnable d'établir un lien entre le niveau scientifique des individus et la confiance dans la science et les gouvernements. Quelques sondages relatifs au complotisme et à la croyance dans les fake news scientifique autorisent à formuler une hypothèse qu'il nous faudrait vérifier. Tout se passe comme si la défiance dans la science reposait sur un paradoxe : les individus sont suffisamment éduqués pour douter de la science et pour se méfier de l'autorité de savants, mais ils n'ont pas une culture scientifique suffisamment solide pour comprendre comment se constituent les connaissances scientifiques. Ils s'informent sur la toile afin de conforter leurs doutes, sans être suffisamment informés pour comprendre la nature des débats scientifique qui font partie de la "science normale". Dans ce cas, ceux qui ont une bonne culture scientifique croient plus volontiers les savants, de la même manière que ceux qui n'ont aucune culture scientifique et font plus confiance à leur docteur. On pourrait se demander si la défiance, dont on sait qu'elle est particulièrement forte en France, ne vient pas de ce paradoxe du rapport à la connaissance ; trop savant pour être dupe de la science, pas assez pour y croire. Et comme la toile renforce plus les certitudes que les doute, la défiance s'auto-alimente.

Ceci étant dit, il faut rappeler que la gestion politique de la pandémie est un machine à produire de la défiance. D'une part on ne sait pas tout sur le virus et la science est incertaine en la matière tout en étant la science. D'autre part les gouvernements n'ont le choix qu'entre des mauvaises solutions: ce qui est bien sur le plan sanitaire est une catastrophe pour l'économie et les libertés personnelles; ce qui est bien pour l'économie est une catastrophe sanitaire. On peut toujours se consoler en pensant que cette incertitude des politiques est préférable aux certitudes de Trump ou de Bolsonaro.  

Edouard Husson : Encore une fois, il faut faire attention aux générations ! Il se peut que l’actuelle génération sacrifiée par l’Education Nationale donne des résultats encore plus catastrophiques lorsqu’elle sera en âge de gouverner. Mais notre sujet d’aujourd’hui, c’est la génération des 30-50 ans qui est au pouvoir et qui a trébuché sur un obstacle au fond pas très élevé. Nous disposons encore de générations de médecins solides, à la fois ceux que l’on appelle les médecins de ville et quelques très grands scientifiques, dont le virologue le plus cité au monde dans les revues scientifiques - et dont on n’a plus besoin de donner le nom. Nous avons encore quelques grands industriels, qui étaient capables d’aider. L’armée est capable d’organisation. Sur le terrain, les maires ont souvent réagi avec bon sens. Nous avions tout pour faire face à ce qui est une épidémie de basse intensité avec bon sens. Mais il a fallu que des diplômés sans expérience politique ou industrielle et des apparatchiks du Ministère de la Santé imposent une gestion hypercentralisée de la crise. Ils ont substitué la croyance et la panique irrationnelle à ce qui devrait être le bon usage de la raison et au sang froid que l’on attend d’un gouvernement. Il faut ajouter que la population est finalement passive. Elle semble avoir perdu, y compris dans les générations plus âgées, la culture générale médicale, minimale mais efficace, qui aurait dû détourner absolument du confinement, dont l’inefficacité est démontrée par les comparaisons internationales. Et qui, bien évidemment, retarde la moment de l’immunité collective. 

Courre-t-on le risque que l’impact du Covid sur le monde de l’éducation pendant cette pandémie nous rende encore moins aptes à gérer les éventuelles prochaines ?

François Dubet : Au-delà des effets du confinement scolaire et universitaire sur les acquis des élèves et sur les inégalités scolaires, sans ignorer la démoralisation des élèves et des enseignants, la crise sanitaire pose la question du niveau et de la culture scientifique des élèves français. Non seulement les élèves français sont parmi les moins bons de l'OCDE, mais leurs performances moyennes baissent au fil des enquêtes pisa. Or la culture scientifique est nécessaire, non pour devenir un scientifique professionnel, mais pour comprendre comment fonctionne la science ou ce que peuvent nous apprendre les statistiques auxquelles nous sommes sans cesse confrontés. Cette culture, fut-elle élémentaire, est un outillage indispensable au fonctionnement des sociétés démocratiques dans lesquelles les citoyens devraient comprendre les enjeux des débats scientifiques. Il y quelques années nous parlions des "humanités scientifiques et techniques". Il me semble que le thème est un peu oublié aujourd'hui et on pourrait espérer que "le monde d'après", s'il y en a un, se saisisse de cette question. Les humanités scientifiques ne sont pas seulement utiles à la croissance économique et au développement technologique, elle sont indispensables à la vie démocratique afin que chacun comprenne que les données scientifiques ne sont pas de simples opinions. Je peux penser que Racine est supérieur à Corneille ou que Monet est supérieur à Picasso, ça se discute, mais je ne peux pas défendre l'opinion selon laquelle la terre est plate ou selon laquelle les vaccins tuent plus de gens qu'ils n'en sauvent; tout simplement parce que c'est faux.

Edouard Husson : C’est encore un autre sujet ! La génération des quadras/quinquas, par son incompétence, a insufflé la panique dans les générations les plus âgées et décidé de confiner ou contraindre tout le monde y compris les jeunes générations. Imposer le port du masque à de jeunes enfants est un non-sens. Maintenir les étudiants loin des campus universitaires, qui sont des lieux de vie et de sociabilité autant que d’apprentissage est absurde.  

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