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L'eau française, une des plus abordables d'Europe ?  Pas si sûr…
©Pixabay

Bonnes feuilles

Le marché de l'eau en France demeure opaque. Pour la plupart des habitants des plus grandes villes, la facture est souvent invisible, car noyée dans les charges collectives. Sait-on pourtant que le véritable prix du mètre cube d'eau en France est de 1,50 euro, quand le prix moyen payé par les abonnés en France est de 3,98 euro par m3 ? Une enquête édifiante sur une situation intolérable à l'heure où, avec le changement climatique et l'apparition de nouvelles pollutions chimiques, la gestion de l'eau devient cruciale. Extrait de "Plongée en eau trouble" de Thierry Gadault, publié aux Editions Michalon (2/2)

Thierry Gadault

Thierry Gadault


Thierry Gadault, journaliste économique indépendant, a travaillé pour La Tribune, l'Expansion et le Nouvel Économiste. Il est co auteur d’"Henri Proglio, une réussite bien française. Enquête sur le président d'EDF et ses réseaux, les plus puissants de la République" aux Editions du moment, (2013), et publie fin octobre une enquête sur EDF chez First édition, "La bombe à retardement". Il est également rédacteur en chef du site Hexagones.fr

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Cocorico! Soyons fiers, nous les Français, le tarif moyen de l’eau et de l’assainissement collectif en vigueur dans le pays est l’un des moins élevés d’Europe. « L’eau et l’assainissement coûtent 11 % moins cher en France qu’en Europe », trompète France Info le 27 novembre 2017. « La France reste un des pays d’Europe où l’eau est la moins chère », confirme, le 28 novembre 2017, le quotidien économique Les Échos. « L’eau courante est plutôt bon marché », ajoute, le même jour, Le Figaro.

Une nouvelle fois, une grande partie de la presse est tombée dans le piège tendu par la FP2E, le lobby patronal des entreprises privées du secteur. Si tout le monde a bien signalé que le baromètre NUS Consulting était publié par la fédération professionnelle, rares sont les journaux qui, comme La Tribune, ont signalé, dès les premières lignes, que ce baromètre se contentait d’étudier les tarifs de cinq grandes villes dans chacun des pays européens. Il ne s’agit donc pas d’une étude sérieuse sur la moyenne tarifaire dans chacun des pays.

Et puis, quel sens cela a de comparer un pseudo tarif moyen en France (3,56 euros selon cette étude) et au Danemark (6,61 euros)? Pour ceux qui ne le sauraient pas, l’eau potable distribuée dans l’Hexagone est pompée soit dans les nappes phréatiques, soit dans les cours d’eau. Dans la plupart des cas, les usines de production utilisent très peu de traitement pour la rendre potable. Ce qui n’est pas le cas au Danemark : selon Eurostat (l’office européen de statistiques), ce pays prélève, chaque année, plusieurs milliards de m3 d’eau de mer pour sa consommation en eau potable. Transformer cette eau salée et polluée en eau consommable coûte logiquement bien plus cher que pomper une nappe phréatique dont la qualité de l’eau est quasi impeccable…

Pas grave pour la FP2E, l’objectif visé par la publication de cette étude, pour le moins guère crédible, a été atteint: faire croire que le prix de l’eau n’est pas cher en France, et enterrer ainsi toute nouvelle polémique sur le sujet. Depuis une dizaine d’années, le lobby de l’eau sait que les tarifs de l’eau provoquent des réactions épidermiques. Tout a commencé en janvier 2006 avec la publication de la première étude de l’association de consommateurs UFC Que Choisir. Consacrée aux villes de plus de 300 000 habitants, elle montrait que les opérateurs privés dé- gageaient des marges très élevées: pour le Sedif, le syndicat intercommunal de l’eau qui dessert 150 municipalités d’Ile-de-France et qui a confié le contrat à Veolia depuis 1923, la marge nette était ainsi évaluée à 59 % ! L’étude affirmait également que le prix de l’eau était 1,7 fois plus cher que son coût réel à Lyon (une ville Veolia). À l’époque, les géants de l’eau et leur association professionnelle avaient dénoncé cette enquête jugée non sérieuse et le Sedif promettait un procès qui n’a jamais été intenté…

Un an plus tard, UFC Que Choisir publiait une deuxième enquête sur le sujet et comparait la situation dans les villes qui avaient conservé l’eau et l’assainissement dans le giron public à celles qui les avaient délégués au privé. « Avec la deuxième liste de villes, l’étude porte désormais sur 19 communes et syndicats de communes. Commençons par la bonne nouvelle. Certaines collectivités locales facturent l’eau au juste prix. C’est le cas d’Annecy, Chambéry, Clermont-Ferrand et Grenoble. Leur marge se situe entre 10 et 19 %, ce qui n’a rien d’excessif même si le coût de l’assainissement facturé à Grenoble et Annecy paraît un peu élevé. Cette tête de classement pourrait chagriner les multinationales de l’eau. Ces quatre villes ont en effet un point commun: elles gèrent le service de l’eau en direct, sans recourir au privé », expliquait l’association dans son communiqué de presse. Si d’autres régies publiques affichaient des tarifs très élevés, l’association notait que « la palme des excès tarifaires revient au Sedif, au syndicat des eaux de la presqu’île de Gennevilliers (92) et à Marseille, qui ont confié la distribution à un délégataire privé. 60 % de marge sur ce service, c’est exorbitant. »

Dix ans plus tard, la situation n’a guère évolué, malgré les baisses de prix imposées aux acteurs privés pour pouvoir conserver leur contrat de délégation de service public. Le baromètre de la FP2E, qui en est à sa onzième édition, tombait d’ailleurs à point nommé pour faire taire de nouvelles accusations selon lesquelles les prix en France sont bien trop chers. Les accusations ont été relancées par la publication, au cours du premier semestre 2017, de plusieurs rapports de la Cour des comptes concernant la gestion de l’eau en Ile-de-France.

Extrait de "Plongée en eau trouble" de Thierry Gadault, publié aux Editions Michalon

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