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L’Arabie saoudite menace d’entrer dans la course à l’armement nucléaire : le vrai-faux défi de Riyad à Washington
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Hiroshima mon amour

Dans un entretien à la BBC, le prince saoudien Turki al-Faisal, ancien responsable des renseignements du royaume wahhabite, met en garde l'occident contre un risque de course à l'armement nucléaire au Moyen-Orient. Des déclarations qui interviennent en pleine négociation sur le dossier du nucléaire iranien, porté par les Etats-Unis, et auquel l'Arabie saoudite, grande rivale de l'Iran, reste fermement opposée.

Fabrice Balanche

Fabrice Balanche

Fabrice Balanche est Visiting Fellow au Washington Institute et ancien directeur du Groupe de recherches et d’études sur la Méditerranée et le Moyen-Orient à la Maison de l’Orient.

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Atlantico : Dans une interview, Turki al-Faisal affirme qui si jamais les 5+1 parvenaient à un accord sur le nucléaire avec l’Iran, d’autres puissances régionales, comme l’Arabie saoudite, pourraient, elles aussi, demander le droit d’avoir un programme nucléaire. Est-on face à une réalité géopolitique dans la région ou est-ce plutôt un effet d’annonce de la part de celui-ci ?

Fabrice Balanche : Il est vrai qu’au Moyen-Orient, nous assistons à un conflit majeur entre l’Arabie saoudite et l’Iran, lequel se traduit par une guerre de milices interposées que ce soit en Syrie, en Irak, au Liban... Donc si les Iraniens ont la bombe atomique, cela leur donne un avantage énorme sur l’Arabie saoudite, car ils peuvent ainsi sanctuariser leur territoire, et les Saoudiens se verraient dévalorisés d’un point de vue stratégique et, pour équilibre la balance, ils pourraient être tentés de se lancer dans un programme nucléaire. Le problème est que, à mon avis, les Saoudiens n’ont pas la capacité scientifique de le faire. L’Iran compte dans ses rangs des savants, des physiciens, et son programme nucléaire est ancien, il a commencé à l’époque du Shah d’Iran mais a été interrompu par la révolution islamique avant de reprendre dans les années 90. Il s’agit donc d’un projet de longue haleine avec une base scientifique capable de le mener, ce que n’a pas du tout en Arabie saoudite. Evidemment, ils ont de l’argent, ils peuvent faire venir des savants, mais il faudrait aussi qu’ils achètent la technologie nucléaire, aux Etats-Unis par exemple, mais cela m’étonnerait que les Américains la leur fournissent. On peut également penser au Pakistan, qui a été aidé par les Etats-Unis dans son acquisition de la bombe nucléaire, mais il n’est pas sûr que les Pakistanais souhaitent partager la technologie avec les Saoudiens, car quand on a la bombe on fait partie d’un petit club très fermé et on tient à le rester. On peut donc se poser la question, s’il ne s’agit pas plutôt ici d’un effet d’annonce que d’une réalité stratégique. Je pense que c’est un effet d’annonce dans le cadre des négociations avec l’Iran sur le nucléaire, de manière à influencer le Congrès américain et l’administration Obama. S’il y a le moindre problème dans les négociations, avec les pressions qu’Obama subit de la part des Saoudiens, des Israéliens et d’autres, il pourrait ainsi peut-être renoncer dans ce dossier du nucléaire iranien.

Pourtant, l’Arabie saoudite a tout de même signé un accord de coopération nucléaire avec la Corée du Sud, qui inclut un plan d’études concernant la faisabilité de la construction deux réacteurs nucléaires dans le royaume. De même, Riyad a signé d’autres accords en ce sens avec la France, la Chine et l’Argentine. Il y a tout de même des avancées dans le dossier du nucléaire saoudien…

Il ne faut pas confondre, là il s’agit bien de nucléaire civil et de technologie étrangère, c’est différent. Les Iraniens avaient d’ailleurs aussi, à l’époque, signé des accords avec les Européens pour le nucléaire civil, et ce n’est pas ça qui pose problème, mais plutôt leur capacité à enrichir eux-mêmes de l’uranium à haute dose afin de permettre le développement d’une bombe atomique. S’il s’agit juste de centrales dont l’uranium enrichi est fourni par la France ou la Corée du Sud, cela ne pose pas de problème car on peut bloquer le passage du civil au militaire.

Quand Turki al-Faisal parle de "course à l’armement" dans la région, est-on proche de la réalité ou s’agit-il seulement d’une déclaration pour faire peur ?

On est face à une réalité, le Moyen-Orient est l’un des meilleurs marchés d’armement au monde, on voit les contrats mirifiques qu’a signé l’Arabie saoudite avec les Etats-Unis l’an dernier, pour 60 milliards de dollars ; en France il s’agit de notre premier client en matière d’armement. Nous sommes face à un conflit entre l’Arabie saoudite et l’Iran, il y a donc énormément d’armes achetées et diffusées à différentes milices, au Yémen, en Syrie, en Irak et qui se battent pour le compte de leur bailleur de fond.

Au-delà de ces deux pays, y en a-t-il d’autres qui pourraient être intéressés par cette course à l’armement et ainsi se plonger dans une course vers des armes plus destructrices ?

L’Irak n’est plus en état de le faire, même si sous Saddam Hussein il y avait eu un début de programme nucléaire en collaboration avec la France. Les Israéliens avaient bombardé la centrale nucléaire d’Osirak en 1979, puis cela s’était arrêté. Après cet épisode, on a parlé des armes de destruction massive de Saddam Hussein, mais on s’est finalement aperçu qu’il s’agissait d’une chimère. Les pays comme le Qatar, le Koweït, les Emirats arabes unis ne sont pas dans cette logique qui est trop chère et dangereuse. Il n’y a guère que l’Arabie saoudite qui pourrait se lancer là-dedans. On peut également penser à l’Egypte, puissance militaire mais pays pauvre, or un programme nucléaire coûte cher, je ne pense pas qu’elle en ait les moyens. Eventuellement la Turquie, qui a les moyens et la capacité technique, et aspire à jouer un rôle régional dans un jeu à trois, aux côtés de l’Arabie saoudite et de l’Iran, avec deux outsiders que sont Israël et le Qatar. Mais ce sont essentiellement les trois premiers qui se disputent le leadership dans la région.

Pour revenir à la question de la relation entre les Etats-Unis et l’Arabie saoudite, on voit que cette dernière se rebiffe face à la ligne américaine qui n’est plus aussi dure qu’avant avec l’Iran. Washington a-t-il perdu de son emprise sur Riyad ?

Effectivement, la relation entre ces deux pays n’est plus au beau fixe depuis plusieurs années. Les Saoudiens cherchent à s’émanciper de la tutelle américaine, et les Américains voient d’un mauvais œil que les Saoudiens n’en fassent qu’à leur tête, notamment en finançant des mouvements rebelles de tendance djihadiste. Ce problème se vérifie avec l’Etat islamique, qui a bénéficié d’un financement saoudien, du moins au départ. Les Etats-Unis voudraient ramener Riyad à la raison, qui n’en fait qu’à sa tête, et les Saoudiens veulent bien être l’allié privilégié des Etats-Unis, mais dans cas-là il ne faut pas que les Américains brisent cette relation et desserrent l’étau sur l’Iran, permettant à celle-ci de respirer et de redevenir le "gendarme du Moyen-Orient" comme elle l’était à l’époque du Shah, jusqu’en 1979. C’est très clair. Après, le pacte du Quincy signé en 1945 entre Roosevelt et Ibn al-Saoud, le fameux pétrole contre protection, a été renouvelé pour une durée de 60 ans en 2005, donc on a, de toutes façons, une alliance très forte entre les Etats-Unis et l’Iran du point de vue militaire. S’il y a le moindre problème pour l’Arabie saoudite, les Américains viendront les défendre, il n’y a pas d’autre pays au monde qui peut se substituer aux Etats-Unis. Il y aura donc des brouilles, le roi d’Arabie saoudite boudera en refusant de prendre son siège au Conseil de sécurité comme c’est arrivé il y a deux ans, mais il y aura réconciliation. Il est vrai que les Saoudiens, par rapport à Obama, sont inquiets et le trouvent trop mou, trop faible par rapport à l’Iran, ils préféraient un Républicain ou un Démocrate beaucoup plus ferme, comme Hillary Clinton.

Comment la relation peut-elle évoluer maintenant, notamment avec les élections américaines à venir ?

Tout va dépendre du nouveau président américain. On ne sait pas si, finalement, Hillary Clinton, arrivera à se présenter pour le camp démocrate à cause de l’affaire de Benghazi. Cela s’est calmé depuis qu’elle n’est plus ministre des Affaires étrangères dans le gouvernement Obama, John Kerry l’ayant remplacée. Les Républicains ont donc renoncé à lancer une procédure d’impeachment contre elle. Cependant, il y a maintenant l'affaire de ses emails, et les Républicains souhaitent ainsi l’empêcher de se présenter à la primaire démocrate en faisant éclater un scandale, affirmant qu’elle était au courant des problèmes liés aux groupes djihadistes en Libye et qu’elle n’a pas pris les mesures nécessaires et aurait menti. Les Républicains souhaitent donc l’impeachment à son égard, face à un supposé mensonge visant à cacher le financement de groupes terroristes par les Américains, et cela peut lui coûter sa carrière politique. A part elle, il est difficile de dire qui pourrait succéder à Obama du côté des Démocrates. La logique voudrait donc que ce soient plutôt les Républicains qui reviennent au pouvoir. On sait que les lobbies saoudiens ou pro-israéliens poussent en ce sens. Après, le bilan des Démocrates sera plutôt jugé au niveau de la politique intérieure, mais il est vrai qu’Obama aimerait bien terminer par un succès diplomatique avec l’Iran, en montrant qu’il est possible d’empêcher les Iraniens de faire la bombe par la négociation et non pas par une intervention militaire hasardeuse. Car c’était sa crainte quand il est arrivé au pouvoir en 2008, d’être entraîné contre son gré dans une guerre contre l’Iran, par un acte frondeur de Netanyahu qui aurait envoyé l’aviation bombarder quelque centrale...

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