L’apocalypse (budgétaire) qui a fait pschitt : et si les 85 milliards de coupes brutales passées presque inaperçues aux Etats-Unis prouvaient que la réduction massive des dépenses publiques n’était pas insurmontable ?<!-- --> | Atlantico.fr
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La Fed dispose aujourd’hui d’un objectif de 6,5% de chômage et cela indépendamment des mesures budgétaires.
La Fed dispose aujourd’hui d’un objectif de 6,5% de chômage et cela indépendamment des mesures budgétaires.
©Reuters

Remise en question

Alors que le gouvernement américain a été contraint de procéder à 85 milliards de dollars de coupes budgétaires en mars, l'économie américaine devrait connaitre une croissance de 2% en 2013.

Alexandra Estiot et Nicolas Goetzmann

Alexandra Estiot et Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann est Stratégiste Macroéconomique et auteur d'un rapport sur la politique monétaire européenne pour le compte de la Fondapol.

Alexandra Estiot est économiste, spécialiste des Etats-Unis chez BNP Paribas.

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Atlantico : Alors que le gouvernement américain a été contraint de procéder à 85 milliards de dollars de coupes budgétaires en mars en raison du sequesterles Etats-Unis devraient connaitre une croissance de 2% en 2013. De quoi faire pâlir les économies européennes. Comment expliquer une telle résilience de l'économie américaine ? 

Alexandra Estiot : La résistance de l'économie américaine s'explique par plusieurs éléments. En premier lieu, les assainissements et les processus de désendettement dans le secteur privé ont débuté bien plus tôt de l'autre côté de l'Atlantique qu'en zone euro. Ce phénomène fut très violent et s'est traduit par une chute brutale des prix immobiliers sur quelques années seulement. Le problème du Sud de l'Europe est que les processus d'ajustement ont été trop agressifs ce qui est beaucoup plus coûteux pour l'ensemble des économies.

Enfin, la politique monétaire menée par la Fed - la banque centrale des Etats-Unis - a toujours consisté à soutenir la croissance du pays via l'activation de la planche à billets, l'objectif étant d'éviter que la première économie mondiale ne tombe dans une spirale déflationniste (une baisse générale des prix, ndlr). Elle en est déjà à sa troisième vague d'assouplissement quantitatif et les taux longs sur la dette sont tombés à des niveaux très bas, même s'il y a une légère crispation sur les marchés depuis les dernières annonces de Ben Bernanke (le président de la Fed, qui a annoncé une réduction de son programme d'achat de titres publics, ndlr). Tous ces facteurs expliquent pourquoi l'économie américaine a été beaucoup plus résiliente que la zone euro.

Nicolas Goetzmann Il s’agit encore une fois d’une controverse académique majeure. Les keynésiens ont hurlé devant le risque des coupes budgétaires aux Etats-Unis, alors que le bilan a été plutôt positif. C’est-à-dire que les coupes budgétaires ont été sans effet sur l’économie dans sa globalité. Il ne s’agit pas de magie mais de ce qu’avait annoncé l’économiste Scott Sumner à travers la notion aujourd’hui appelée "Sumner Critique" : grâce à la politique monétaire américaine, la politique budgétaire est neutre sur la croissance.

Voici pourquoi ; la Fed dispose aujourd’hui d’un objectif de 6,5% de chômage et cela indépendamment des mesures budgétaires. Si le gouvernement fédéral décide par exemple d’abaisser les niveaux de dépenses par des coupes budgétaires ou de faire l’inverse, le résultat est le même pour la Fed : l’objectif sera toujours de 6,5% de taux de chômage. Et seul cet objectif compte pour les acteurs économiques qui ajusteront leur niveau d’investissement en fonction de ce seuil. Plus le secteur public est restreint, plus le secteur privé est soutenu. Le résultat est neutre globalement.

Cela signifie-t-il qu'il faut revoir notre jugement sur les effets des coupes budgétaires sur la croissance ?

Nicolas Goetzmann : Tout dépend de la politique monétaire. La Banque centrale européenne (BCE) dispose d’un mandat de stabilité des prix qui ne donne pas d’objectif suffisamment clair aux acteurs économiques. Si l’autorité monétaire se dotait d’un objectif, par exemple, de croissance nominale, les coupes budgétaires n’auraient pas d’effet sur la croissance. En effet, dès lors que votre banque centrale affiche un objectif de 4% de croissance du PIB nominal (qui inclut les effets de l'inflation, ndlr), celui-ci sera atteint avec ou sans soutien budgétaire. Si l’Etat décide de couper ses dépenses, l’autorité monétaire se chargera d’inciter toujours plus les investisseurs privés afin de parvenir à son objectif.

Bien entendu la rationalisation des dépenses aura un impact sur la croissance réelle et l’inflation. Plus l’Etat opérera des réformes en faveur de la compétitivité, plus cette croissance nominale se traduira en termes de croissance réelle. A l’inverse si les réformes ne sont pas faites, le risque est de voir poindre quelques points d’inflation supplémentaires (mais toujours dans la limite d’une croissance nominale de 4%).

Mais malheureusement, l’impression qui ressort est que les néo-keynésiens ne veulent pas seulement atteindre le plein emploi, ils veulent l’atteindre avec leurs modèles. Les Américains se montrent plus souples sur le plan idéologique et plus pragmatiques.

Alexandra Estiot : Nous ne pouvons pas totalement revoir notre jugement sur les effets négatifs des coupes budgétaires sur la croissance car il y a un effet d'"illusion" sur la croissance américaine. Certes, elle devrait être sur un rythme entre 2% à 2,5% cette année - ce qui parait élevé par rapport à la zone euro - mais il s'agit d'un niveau très faible par rapport au potentiel de croissance américain. La croissance américaine est donc assez molle. En réalité, les efforts budgétaires ont frappé la croissance plus violemment aux Etats-Unis qu'en moyenne en zone euro (en moyenne car l'ajustement ayant été beaucoup plus fort dans certains pays comme la Grèce ou le Portugal). Néanmoins, comme la croissance est restée positive outre-Atlantique, les effets se sont moins fait ressentir.

Sans ces restrictions budgétaires, qui sont d'ailleurs assez nouvelles au niveau fédéral, la croissance américaine serait beaucoup plus élevée. Le Congressional Budget Office, bureau chargé de chiffrer le coût de toutes les mesures fédérales, estimait que sans ces efforts budgétaires, la croissance serait de l'ordre de 4%. L'écart est donc très important.

Lorsque l'on parle d'ajustement budgétaire dans les comptes fédéraux, il faut rappeler que le sequester ne représente qu'une goûte d'eau par rapport à l'économie américaine. Il s'agit d'efforts qui, relativement à la taille de l'économie, sont bien plus faibles que ceux que nous avons demander à la Grèce ou ailleurs. Certes, certains employés fédéraux ont été mis au chômage partiel avec plusieurs jours chômés dans l'année par exemple. Mais, globalement, comme des contrats avaient déjà été signés et que des ajustements ont été effectués sur des postes particuliers (comme les contrôleurs aériens...), l'ajustement total est en réalité limité à une quarantaine de milliards sur l'exercice budgétaire actuel. Les effets des coupes budgétaires aux Etats-Unis ont donc été très faibles par rapport aux hausses des impôts décidées sur les plus hauts revenus et la hausse de deux points des taux de cotisation salariale qui, pour leur part, ont beaucoup affecté l'économie. Mais les mesures les plus contraignantes restent encore à venir avec des renégociations de contrats (exemple : achats d'avions militaires...) qui devraient survenir.

Alors que le chancelier de l’Échiquier britannique George Osborne a annoncé 11,5 milliards de livres d'économies, en France, la Cour des comptes a évalué à 28 milliards d'euros les économies nécessaires sur deux ans. De telles coupes sont-elles possibles en France sans trop affecter la croissance ? La France doit-elle les craindre ou aurait-elle à y gagner si elle se lançait dans un grand programme d'assainissement des finances publiques ?

Nicolas Goetzmann : Concernant le Royaume-Uni, je vous rappelle que Mark Carney s’apprête à prendre les rênes de la Bank of Englandle 1er juillet. Et Carney n’a pas été choisi au hasard, il vient pour appliquer une politique monétaire qui s’adaptera aux coupes budgétaires annoncées. C’est-à-dire que le gouvernement de David Cameron va pouvoir opérer ses réformes sans se soucier outre mesure de leur impact sur la croissance.

Cela n’est pas transposable en l’état en France notamment en raison du mandat actuel de la Banque centrale européenne. Nous devons calquer nos décisions à la fois sur la politique de la BCE et sur l’ensemble des décisions budgétaires des Etats membres de la zone euro. Cependant, cela deviendrait tout à fait réalisable si la BCE visait un objectif de croissance nominale (ou plus imparfaitement un objectif de taux de chômage, comme aux Etats Unis).

Alexandra Estiot : La nature des multiplicateurs budgétaires (c'est-à-dire des effets des coupes ou des relances budgétaires sur l'économie réelle et la croissance) est très difficile a évalué et dépend fortement de la nature d'une économie. Une économie qui croit rapidement et qui est dynamique encaisse forcément mieux les coupes budgétaires.

Des économies budgétaires en France sont-elles compatibles avec une politique de croissance beaucoup plus large ?

Alexandra Estiot : Dans un processus d'ajustement budgétaire, il faut trouver des sources de croissance. Celles-ci peuvent venir du commerce extérieur ou d'une dépréciation du taux de change pour rendre nos produits plus compétitifs par exemple. Bien sûr, de telles solutions sont impossibles en zone euro. Mais beaucoup d'autres mesures peuvent être adoptées au niveau national pour rendre nos produits compétitifs. Enfin, une politique monétaire extra-accommodante permet d'atténuer les effets de coupes budgétaires.

Le meilleur exemple est celui du Canada qui a réussi son assainissement budgétaire dans les années 1990 en bénéficiant :

  • d'une politique monétaire très accommodante pour limiter les effets récessifs des coupes budgétaires

  • d'une dévaluation de la monnaie pour améliorer la compétitivité des produits

  •  du boom économique américain, ce qui lui a permis de jouer sur le levier du commerce extérieur (le facteur le plus important).


Sur ce dernier point, l'Espagne, le Portugal ou la Grèce auraint vu les effets des coupes budgétaires atténués si les pays du Nord avaient adopté dans le même temps des politiques de relance. Mais l'harmonisation des politiques de rigueur en Europe a empêché un tel processus.

Nicolas Goetzmann : Oui. Une politique de croissance monétaire vous permet d’ajuster votre situation budgétaire, et ainsi de détendre la tension qui peut exister sur votre niveau de detteDès lors que la croissance revient, les rentrées fiscales augmentent sans rehausser le niveau de l’impôt, et peut rapidement vous permettre d’abaisser la pression fiscale.

La crise n’est pas due au niveau de dette mais bien au manque de croissance. Seule la croissance nous donnera la latitude nécessaire pour éponger nos dettes. Les keynésiens veulent favoriser la croissance avec plus dette, mais une telle solution serait folle. Le "market monétarisme" (de l’économiste Scott Sumner) vous offre la possibilité de provoquer un retour de la croissance tout en apurant votre situation budgétaire.

Pour y parvenir, la France pourrait-elle s'inspirer du sequester américain, mettant en place un dispositif de coupes budgétaires automatiques qui entrerait en action si aucun accord n'était trouvé en matière d'économies entre les deux grands partis ?

Alexandra Estiot : Le sequester est tout simplement la pire des idées : celle de la coupe automatique et généralisée des dépenses. Tout est coupé sans discrimination : on coupe aussi bien des dépenses utiles, voire d'investissement, que des dépenses qui relèvent parfois du gaspillage. Il s'agit en plus d'un véritable casse-tête à mettre en place. La France n'a aucun intérêt à s'en inspirer.

Nicolas Goetzmann : Il est peut être préférable de trouver une solution plus responsable... Ici nous parlons d'une contrainte qui présuppose le manque de courage politique.  Mais si les mesures ne sont pas prises, cela restera peut-être le seul moyen de parvenir à un résultat. Mais c’est un aveu d’échec.

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