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L’Allemagne réalise un excédent commercial record de 199 milliards d’euros mais à quel prix pour l’Europe ?
©REUTERS/Tobias Schwarz

Le gros qui mange les petits

A cause de la faiblesse de sa demande intérieure, l'Allemagne est poussée à l'exportation, ce qui explique en partie son excédent commercial, qui est est colossal par rapport à ses partenaires européens.

Francesco Saraceno

Francesco Saraceno

Francesco Saraceno est économiste senior au sein du département Innovation et concurrence de l'OFCE. Il est également signataire de la tribune : The economist warningVous pouvez le suivre sur son compte twitter : Francesco Saraceno.

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Atlantico : L'excédent commercial allemand atteint en 2013 un nouveau record pour s'établir à 198,9 milliards d'euros (voir ici). A quels échanges (intra-européens ou extra-européens) cet excédent est-il imputable ?

Francesco Saraceno : Au début de la crise, en 2008, l'Allemagne avait un excédent important avec les pays de la zone euro. Les programmes d'austérité dans les pays de la périphérie (Espagne, Italie, Grèce, Portugal, Irlande) ont considérablement réduit les déficits commerciaux de des pays-ci. L'Allemagne a aujourd'hui un solde pratiquement nul avec la zone euro. Son excédent s'est reporté sur les pays extra-zone euro, et surtout extra-UE. Il vaut la peine d'ajouter que le surplus vis-à-vis du reste du monde est imputable à une chute des importations, et donc à une faiblesse de la demande intérieure allemande, plutôt qu'à une augmentation des exportations.

A lire également : Euro-bugs, un virage décisif ? Pourquoi l’Allemagne est loin de ne devoir ses excédents qu'à la gestion vertueuse de son économie (et ce que pourra faire la Commission européenne maintenant qu'elle en a pris conscience)

Quelle part de l'excédent commercial de la zone euro est imputable à l'excédent allemand ? Est-ce une bonne nouvelle pour l'Europe ou le signe que la zone euro est structurellement déséquilibrée ? Quelles conséquences concrètes les résultats allemands ont-ils sur les autres Etats membres ?

L'excédent commercial de la zone euro, une évolution récente, résulte d'une contraction importante des déficits de la périphérie, encore en pleine récession ; et d'un excédent allemand qui reste solide même si, comme on disait plus haut, il  à changé de nature. Le Fonds Monétaire a récemment estimé que la réduction des déficits commerciaux de la périphérie est de nature cyclique, ce qui veut dire que les déséquilibres de la zone euro sont réabsorbés seulement temporairement.

Ce qui semble aujourd'hui fonctionner pour l'Allemagne peut-il fonctionner sur le long terme et pour les autres Etats européens ?

Non. Le modèle allemand n'est pas généralisable par définition, tout le monde ne pouvant pas avoir un excédent en même temps (à moins qu'on n'arrive à échanger avec Mars). Il est bien étrange d'être un modèle qui ne se prête pas à être généralisé ! En fait, l'Allemagne rencontre le succès précisément parce que d'autres pays ne suivent pas le même modèle, et lui achètent ses produits. Certes, on pourrait imaginer une zone euro qui adopte le modèle allemand et qui devienne excédentaire, de façon structurelle, vis-à-vis du reste du monde. Mais la zone euro deviendrait alors  le passager clandestin de l'économie mondiale. Ceci poserait des problèmes avec les partenaires commerciaux. On en a eu un avant-goût à l'automne, avec le rapport du département du commerce américain fustigeant les excédents commerciaux allemands. Il est facile d'imaginer les réactions si l'Europe entière menait les mêmes politiques.

Comment évaluer la dépendance de l'économie européenne vis-à-vis de ses partenaires commerciaux ? Quel rôle l'Allemagne joue-t-elle dans cette évolution ?

Ceci est le deuxième problème que je vois dans l'adoption d'un modèle de croissance tirée par les exportations. L'Europe serait en fait dépendante, pour son bien-être, des conditions économiques du reste du monde. Nous ne serions pas maîtres de notre destin, nous dépendrions des États-Unis un jour, de la Chine un autre,  et ainsi de suite. Les turbulences de ces jours-ci sur les marchés émergents, et les craintes qu'elles suscitent dans les capitales européennes, en sont un exemple flagrant. Les conséquences ne seraient pas seulement économiques, mais aussi géo-politiques. L'Europe se condamnerait à ne compter pour rien sur la scène internationale. Un géant économique, mais un nain politique. Même la Chine a compris les risques d'une croissance tirée par les exportation, et est en train de rééquilibrer, avec difficulté, son modèle de développement. L'Allemagne est restée seule à prôner un modèle export-led, et à l'imposer à ses partenaires européens affaiblis par la crise.

Cette évolution se fait-elle au détriment de la demande intérieure ? Avec quelles conséquences à court et à long terme ?

La compétitivité allemande s'est construite sur une compression importante des coûts salariaux et de la demande intérieure. L'excédent commercial n'est rien d'autre que le reflet comptable d'un excès d'épargne, privée et publique. Une partie de cet excès d'épargne peut même être justifié. L'Allemagne est un pays vieillissant qui doit pourvoir à ses futurs retraités. Mais les niveaux qu'on a atteint ne sont pas soutenables, et pourraient déclencher des guerres commerciales dont les conséquences sont difficilement prévisibles.

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