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La chancelière allemande Angela Merkel lors d'un rassemblement de l'Union chrétienne-démocrate (CDU) pour présenter un programme sur la future politique numérique du pays, le 6 septembre 2021.
La chancelière allemande Angela Merkel lors d'un rassemblement de l'Union chrétienne-démocrate (CDU) pour présenter un programme sur la future politique numérique du pays, le 6 septembre 2021.
©Markus Schreiber / POOL / AFP

Nuage sur l’Europe

L’Union européenne compte beaucoup sur la participation financière allemande. Le prochain chancelier pourra-t-il continuer à payer pour l’Europe, notamment au regard de sa faible marge de manœuvre budgétaire ? A quoi peut-on s’attendre pour l’Europe après le départ d’Angela Merkel de la chancellerie ?

Alexandre Robinet Borgomano

Alexandre Robinet Borgomano

Alexandre Robinet Borgomano est responsable du programme Allemagne de l’Institut Montaigne. Il a rejoint l’Institut Montaigne en 2019. Il a travaillé auparavant au Bundestag, comme attaché parlementaire d’un député allemand. Il a conduit pour la Fondation du patrimoine culturel prussien un projet d’exposition visant à présenter à Berlin les collections d’art moderne du dernier Shah d’Iran. Il a également participé au lancement d’un fonds d’investissement européen dans le domaine de la Smart City et pris part à l’initiative pour l’unification du droit des affaires en Europe. Diplômé de Sciences Po Paris, il est également titulaire d’une maîtrise en histoire moderne de la Sorbonne (Paris IV).

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Atlantico : La contribution allemande à l’Union européenne a augmenté graduellement durant les mandats d’Angela Merkel, comment la chancelière a-t-elle fait pour que cela ne pose pas un problème politique en Allemagne ? 

Alexandre Robinet-Borgomano : Il faut remonter à la crise grecque de 2011 pour comprendre la façon dont le débat sur la contribution financière de l’Allemagne au projet européen se construit Outre-Rhin. Le politologue Herfried Münkler, dans son ouvrage Macht in der Mitte (2015) a très bien montré la contribution de cette crise à la politisation du débat sur l’Europe, et ses conséquences sur le positionnement européen des Allemands. 

Auparavant, le sujet du financement de l’Union était largement occulté dans l’opinion. Avec la crise grecque, les Allemands prennent conscience qu’ils sont les premiers contributeurs nets en Europe, alors même que le patrimoine médian d’un Allemand est inférieur à celui d’un Grec. Les réticences allemandes vis-à-vis des plans de sauvetage de la Grèce procèdent sans doute à l’époque de considérations morales, mais également d’une certaine défiance à l’égard d’un gouvernement qui ne semble pas en mesure de rétablir la compétitivité de l’économie grecque, quel que soit le montant des sommes injectées… 

L’opposition au sauvetage de la Grèce était largement partagée en Allemagne avant 2015, mais la publication de plusieurs analyses sur les bénéfices du marché intérieur et de l’euro pour l’économie allemande a progressivement installé dans l’opinion publique la conviction que « l’Allemagne n’ira bien que si l’Europe va bien » (Es wird Deutschland gut gehen, nur wenn es Europa gut geht ), une affirmation souvent répétée par la Chancelière. On aurait tort de sous-estimer son engagement, à l’époque, en faveur du projet Européen. Alors que l’opinion publique et le puissant Bundestag s'opposent à un nouveau plan d’aide, et que son ministre des finances Wolfgang Schauble envisageait une sortie de la Grèce de l’Euro -non pas comme on l’a dit pour punir les Grecs mais pour permettre au pays de retrouver une marge de manœuvre et éviter de verser des sommes qui serviraient seulement au remboursement de la dette- Angela Merkel s’en tient à son mantra :  si l’Euro échoue, c’est l’Europe qui échoue.

Angela Merkel est parvenue, au cours de son mandat, à lier intimement les intérêts de l’Allemagne et ceux de l’Europe, à faire comprendre au peuple allemand que l’intérêt général allemand et l’intérêt général européen ne pouvaient être séparés. C’est sans doute l’un des principaux achèvements des ses mandats à la tête de l’Allemagne. 

L’Union européenne compte beaucoup sur la participation allemande. Le prochain chancelier, quel qu’il soit, pourra-t-il (et voudra-t-il) continuer à payer pour l’Europe, notamment au regard de sa faible marge de manœuvre budgétaire discrétionnaire ? 

Vous avez raison de rappeler que la marge de manœuvre du chancelier allemand est limitée. Le pouvoir budgétaire appartient en Allemagne au Bundestag, et plus précisément à la puissante commission du budget (Haushaltsausschuss) que l’on appelle à Berlin la « commission principale » (Hauptausschuss). Le ministère des finances dispose quant à lui d’une large autonomie et tout porte à croire que le futur ministre allemand des Finances ne sera pas du même bord politique que le Chancelier. 

A l’heure actuelle, il est fort probable que le successeur de la Chancelière sera un chancelier -soit le conservateur Armin Laschet, soit le social-démocrate Olaf Scholz- et que celui-ci devra former une coalition avec les Verts, mais sans doute également avec les libéraux du FDP. Quel que soit le candidat élu, son action européenne s'inscrira dans le prolongement de celle de la Chancelière. L’un des vrais enjeux des élections réside davantage dans la désignation du ministre des finances, un poste convoité à la fois par le co-président des Verts, Robert Habeck et par le président du FDP, Christian Lindner, bien moins enclin que les Verts à prolonger le fonds de relance européen et l’endettement commun. 

Aujourd’hui, il existe une ligne de fracture entre ceux qui considèrent que le plan de relance post Covid était une réponse exceptionnelle à une situation exceptionnelle (les conservateurs et le FDP) et ceux qui considèrent que l’Allemagne et l’Europe doivent investir massivement dans l’avenir (le SPD et les Verts). Mais au fond cette alternative est un peu stérile : l’accord historique de juillet 2020 représente incontestablement une étape essentielle vers davantage d’intégration européenne et se traduira par de nouvelles mesures, comme la mise en place de nouvelles ressources propres pour le financement de l’Union. Je crois au fond que l’idée que l’Allemagne « continuera à payer pour l’Europe » procède d’une rhétorique dépassée… L’Allemagne consent à financer le projet européen en augmentant sa contribution financière graduellement mais insiste également sur le nécessité de distinguer « dépenses » et « investissements » et conditionne cet apport à une véritable transformation des économies européennes, visant à renforcer leur compétitivité. Cette idée était au cœur du plan de relance européen initié en 2020 par la Chancelière et le président Macron, et restera la matrice européenne du prochain chancelier. 

Pour convaincre l’Allemagne et les pays dits “frugaux” (Suède, Danemark, Autriche, Pays-Bas) du bien fondé de son engagement financier, la priorité devrait être pour les États membres de rétablir leur compétitivité et non d’insister sur le fait que l’Allemagne est la première puissance à bénéficier du marché intérieur. 

A quoi peut-on s’attendre pour l’Europe après le départ d’Angela Merkel de la chancellerie ? 

Merkel fut une grande européenne : on a parfois du mal à le voir en France, parce que sa volonté de préserver l’unité européenne l’a emportée sur l’audace du changement. A partir de ce constat, je crois qu’on peut craindre et espérer deux choses: 

  • Son départ pourrait fragiliser l’unité européenne. Merkel a grandi à l’Est, dans cette “autre Europe” que nous avons du mal à comprendre et que, trop souvent, nous regardons de haut. Elle s’est attachée à maintenir une relation constructive avec la Pologne et la Hongrie, malgré la position difficile de ces deux États aux derniers conseils européens. Je crains que son départ n’accentue la division entre l’Est et l’Ouest de l’Europe et qu’il ne soit plus possible, demain, de construire un véritable projet politique avec des Etats qui ne partagent plus nos valeurs. 

  • Parallèlement , l’arrivée d’une nouvelle génération de décideurs en Allemagne pourrait permettre un “reset” du projet européen, un renforcement de la construction européenne autour d’un noyau dur, et en parallèle, un approfondissement du marché intérieur, qui reste le fondement de tout projet de souveraineté. 

Comme nous l’avons montré dans la note de l’Institut Montaigne “Quelle Allemagne après Merkel?”, l’Allemagne assume de plus en plus sa dimension géopolitique, ses dépenses militaires dépassent désormais les dépenses françaises, et je crois que l’Allemagne, désormais convaincue du désengagement des Etats-Unis et de la menace chinoise,  deviendra moteur dans la construction de l’Europe de la défense. Mais il serait illusoire d’attendre de l’Allemagne de grands discours ou la définition d’une vision européenne nouvelle. Le prochain chancelier cherchera davantage à impulser des projets concrets, susceptibles de renforcer la compétitivité et l’unité européenne, comme la mise en place d’un prix commun du CO2 et de son corollaire, une taxe carbone aux frontières de l’Union, l’unification du droit des affaires pour achever le marché intérieur, ou la définition de grands projets industriels européens, centrés sur le numérique ou le spatial.   

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