L’Allemagne débat de la possibilité de lever le pied sur son frein à la dette. Et nous ferions bien de nous y intéresser <!-- --> | Atlantico.fr
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Angela Merkel Helge Braun Allemagne constitution frein à l'endettement Europe zone euro CDU France
Angela Merkel Helge Braun Allemagne constitution frein à l'endettement Europe zone euro CDU France
©John MACDOUGALL / AFP

Stratégie du cavalier solitaire, stop ou encore ?

Le chef de cabinet d’Angela Merkel propose de modifier la Constitution au sujet du frein à l’endettement. La CDU est en proie à un vif débat. L’Allemagne est-elle prête à laisser filer sa dette ?

Mathieu  Mucherie

Mathieu Mucherie

Mathieu Mucherie est économiste de marché à Paris, et s'exprime ici à titre personnel.

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Atlantico.fr : Un conseiller d’Angela Merkel a évoqué la possibilité de réformer le frein à l’endettement allemand. L’Allemagne est-elle prête à laisser (un peu) filer sa dette ?

Mathieu Mucherie : J’aimerais bien qu’on arrête de juger les finances publiques allemandes à leurs intentions et qu’on les regarde telles qu’elles sont. C’est-à-dire non pas une limite d’endettement, qui n’a jamais été respectée, ni un mécanisme de limitation de la dette, qui a explosé, comme partout, en 2020 et pour les années à venir, mais qu’on regarde les chiffres. L’Allemagne est un pays endetté qui n’est sain que par rapport à ses voisins de la zone euro. C’est valable pour les finances publiques, la croissance, la plupart des classes d’actifs et des éléments d’appréciations économiques et financiers allemands. Ils sont bons dans les critères zone euro, qui sont très bas. La logique est la même pour le Covid. Concernant les finances, la dette publique allemande officielle est forte. Les dettes publiques non officielles, implicites, avec notamment un système de retraites non provisionné, sont fortes aussi. Par ailleurs, les Allemands sont les spécialistes du hors-bilan. Il y a aussi des dettes du secteur énergétique et d’autres dettes qui s’accumulent au jour le jour. C’est la même chose que chez nous en un peu moins pire. Notamment parce qu’ils tiennent le système monétaire à Francfort et qu’ils ont fait un peu moins d’erreurs. Vous pouvez, dans les bonnes années respecter les règles budgétaires, mais si quand il y a une crise comme en 2008 ou actuellement, vous chutez fortement et mettez des années à revenir au niveau d’avant crise, ça n’a pas d’intérêt. Les Allemands ont été les premiers à déroger au pacte de stabilité en 2003, suivis de près par les Français. C’était pour de bonnes raisons à l’époque : les réformes Schröder, mais ils l’ont fait quand même. La fable de l’Allemagne comme pays vertueux a commencé en 2009 pendant la crise. Alors que des créances douteuses allemandes ont été retirées et replacées dans un circuit géré par la Bundesbank. Les dépenses publiques allemandes évoluent de 2% par an en moyenne depuis 15 ans. Soit deux fois plus que celles des Italiens. Les Allemands sont les champions de la dépense, de la violation du pacte de stabilité et de leurs règles internes. Ils n’ont jamais respecté leurs engagements. Si vous êtes sérieux, les règles sont inutiles et si vous ne l’êtes pas elles le sont aussi car vous ne les respecterez pas.

Que penser alors de la proposition de réforme du frein à l’endettement allemand ?

C’est du fantasmatique dans le fantasmatique. Je n’ai pas de problème avec l’idée, mais elle est déjà appliquée, concrètement. Donc je veux bien qu’il y ait une proposition plus ou moins téléguidée par Merkel pour faire plaisir aux Français en triangulant avec les uns et les autres pour faire croire que l’Allemagne va dépenser un peu plus ou de manière plus anticyclique. Le respect d’une règle qui est déjà systématiquement violée, c’est du story-telling. Si la règle passe de -0,2 à -0,5 alors qu’on est passé d’un excédent à un déficit de – 7, cela pose question. Dès qu’il y a des crises exogènes, la règle doit être violée, cela est plus ou moins assumé. Mais les Allemands font une fixette sur les règles et ils arrivent à gêner une aura de vertu car ils y sont attachés, sans les respecter.

Ce que j’aimerais que l’on comprenne c’est que les Italiens sont plus sérieux budgétairement que les Allemands depuis 15 ans et que le budgétaire n’est qu’une petite fraction de la réalité. Tout cela n’est qu’une histoire d’affichage politique.  C’est un petit jeu au sein de la CDU/CSU en phase d’élections avec la question de la succession de Merkel. Et ce genre de questions est clivante. Il est important pour gagner des électeurs de surjouer l’austérité afin de toucher l’électeur médian bavarois. Mais ce n’est pas relié au réel.

La conjecture actuelle, avec notamment un environnement des taux bas, est-elle une période propice à un endettement réussi de l’Allemagne ? 

Aujourd’hui, tous les pays, même ceux de la périphérie, peuvent s’endetter à des taux négatifs. Dans un contexte de taux négatifs, créer des règles restrictives sur le budget n’a effectivement pas de sens, même s’il y a beaucoup de dettes à venir. Il est sûr qu’il faut être sérieux budgétairement, ce qui ne veut pas dire édicter des règles ou les relâcher mais concrètement agir. La question suivante me dérange : lorsqu’il faudra être plus sérieux budgétairement, d’ici deux ou trois ans, la présence de règles sera-t-elle contraignante ? Les règles ne vont-elles pas se télescoper avec une politique budgétaire contracyclique. De plus, ces règles ne sont pas coordonnées avec l’action de la Banque centrale européenne. Donc, ont-elles un sens à un certain niveau de l’euro et du taux d’intérêt. Plus le taux remonterait, plus il faudrait être sérieux budgétairement. Mais, en même temps, si les taux d’intérêt explosent à la hausse, cela crée un choc de PIB énorme et il serait gênant d’avoir une règle budgétaire au même moment. Donc tout est affaire de dosage et de rapport au réel.

En quoi cette annonce pourrait « faire plaisir aux Français » et aux Européens ?

Tout ce qui desserre les contraintes de pacte de stabilité, d’organisation avec les Allemands ou de la BCE est vu positivement à Bercy et à l’Elysée. La France aime dépenser sans compter dès qu’il y a un assouplissement. Elle le fait d’ailleurs avant même que la contrainte soit levée et elle ressent ensuite une moindre culpabilité. Tout ce qui va dans ce sens est donc vu très positivement. Mais ne faudrait-il pas des règles plus intéressantes de marché ? La question se pose. On est trop attachés à des ratios sur le PIB. Moi ça ne me dérange pas qu’on dépense plus en France, mais il faut dépenser dans la qualité. Il faut s’intéresser à la qualité des dépenses publiques et des investissements. Ce sont actuellement des dépenses de fonctionnement, souvent clientélistes, etc. Je ne suis pas certain qu’un prêt garanti par l’Etat pour Lagardère, un plan hydrogène ou un plan supercalculateur soient des priorités. L’Etat est un mauvais entrepreneur, il est légitime et efficace sur le régalien, mais il n’a pas l’intention d’y investir. Investir dans un projet spatial ou pour que l’université française ne soit pas aussi mauvaise, ça m’intéresserait. Mais la plupart des règles budgétaires sont très nominalistes, comptables.

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