L’Allemagne, cet espion qui ne voulait pas qu’on l’espionne<!-- --> | Atlantico.fr
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L'Allemagne aurait espionné les conversations téléphoniques de John Kerry et Hillary Clinton
L'Allemagne aurait espionné les conversations téléphoniques de John Kerry et Hillary Clinton
©Reuters

BND vs NSA : the battle

Hillary Clinton et John Kerry auraient été mis sur écoute à plusieurs reprises par... les services secrets allemands (le BND), a-t-on pu lire dans la presse outre-Rhin. Les deux secrétaires d'Etat ne sont pas les seules victimes : la Turquie, ainsi que des citoyens allemands seraient concernés.

Alain Chouet

Alain Chouet

Alain Chouet est un ancien officier de renseignement français.

Il a été chef du service de renseignement de sécurité de la DGSE de 2000 à 2002.

Alain Chouet est l'auteur de plusieurs ouvrages sur l’islam et le terrorisme. Son dernier livre, "Au coeur des services spéciaux : La menace islamiste : Fausses pistes et vrais dangers", est paru chez La Decouverte en 2011.

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Atlantico : Selon la presse allemande, le BND (Bundesnachrichtendienst) aurait mis sur écoute Hillary Clinton lors d'une conversation avec Kofi Annan sur la torture et la Syrie, puis son successeur John Kerry quelques mois plus tard. Comment expliquer leur réaction concernant les écoutes de la NSA dans la mesure où eux-mêmes n'hésitent pas à mettre sur écoute leurs alliés ?

Alain Chouet : Comme l’a relevé la commission d’enquête du Sénat américain, les écoutes de la NSA sont massives, indifférenciées dans de nombreux domaines et, outre les objectifs de sécurité nationale, ciblent systématiquement les responsables politiques, économiques et dirigeants de tous les pays, y compris les pays alliés des Etats-Unis. Le BND - et plus généralement les services européens - n’ont pas les moyens de se livrer à une tel "chalutage". Ce que la presse ne dit pas, c’est si les conversations de Hillary Clinton et de John Kerry ont été délibérément mises sur écoute en tant que telles ou si leur interception s’inscrit marginalement dans d’autres opérations de recueil de renseignement technique. A l’heure où n’importe quel "geek" peut pénétrer des systèmes sophistiqués, si les ministres américains des affaires étrangères utilisent des lignes non protégées pour des conversations qu’ils voudraient confidentielles, il ne faut pas s’étonner que ces conversations soient interceptées, et pas seulement par les services allemands.

Cela dit, c’est de bonne guerre de la part des Américains de faire jouer leurs relais de presse en Allemagne sur un incident de ce genre en vue de faire un peu oublier ou relativiser leurs propres attaques délibérées contre les plus hauts responsables allemands.

Selon les mêmes sources, le BND aurait également mis sur écoute certains de ses citoyens. A l'instar de la NSA, peut-on parler d'un viol des libertés démocratiques ?

Il faudrait d’abord savoir quels citoyens ont été mis sur écoute. En Allemagne comme ailleurs il existe des dispositions judiciaires ou administratives autorisant la mise sur écoute de citoyens suspectés de se livrer à des activités de trafic, de terrorisme, d’espionnage ou de criminalité organisée. En Allemagne, ce sont les services de sécurité intérieure et d’anticriminalité (BfV et BKA) qui sont en charge de ces écoutes quand elles visent des citoyens allemands. Le BND n’intervient dans ce type d’affaires que quand elles sont le prolongement d’opérations suivies par ce service à l’étranger. Dans la mesure où ces différents services de sécurité opèrent dans le respect des textes législatifs et réglementaires organisant les écoutes, les libertés publiques sont respectées.

D'après Der Spiegel, le gouvernement allemand aurait également mandaté les services secrets depuis 2009 pour espionner la Turquie, son partenaire au sein de l'Otan. Quelles peuvent-être les conséquences, si ces accusations se vérifient ?

En matière de renseignement, il n’y a ni ami ni allié mais seulement des intérêts nationaux. D’ailleurs, comme on l’a vu, les Etats-Unis ne se privent pas de mettre sur écoute les dirigeants de tous les pays membres de l’OTAN. Dans tous les cas, les conséquences de ce type d’agissement sont uniquement fonction du rapport de force politique, économique, voire stratégique entre les protagonistes et le plus fort impose en général le silence aux autres.

Cela dit "espionner la Turquie" ne veut rien dire. Pour autant que le fait soit vérifié, il faudrait savoir ce que les Allemands recherchent en Turquie. La Turquie est pour l’Allemagne un partenaire économique important mais pas primordial, un partenaire stratégique dont les récentes réorientations islamistes peuvent être sujet d’inquiétude et le pays d’origine de la principale communauté de migrants étrangers. Ce sont autant de problématiques susceptibles de retenir l’intérêt des services de renseignement mais certainement pas de constituer des priorités de recherche.

Dans un contexte d'espionnage international, quels sont les objectifs des Allemands ?

L’Allemagne n’affiche pas, comme la France, des ambitions planétaires… Les objectifs des services allemands sont étroitement liés aux objectifs économiques et stratégiques du pays. Et ces objectifs se trouvent principalement en Europe centrale, en Europe de l’Est, en Russie et dans les anciennes républiques soviétiques. On peut noter également une certaine virtuosité des services allemands à entretenir des liens de confiance discrets mais efficaces avec les différents protagonistes des conflits du Moyen-Orient. Avec Israël bien sûr, mais aussi avec l’Iran, le Hezballah, les Palestiniens, etc. C’est ce qui a permis au BND de contribuer à résoudre parfois avec difficulté et toujours avec modestie des problèmes apparemment insolubles de prises d’otages, de libération de prisonniers ou de restitution de corps de soldats tués au combat.

De quels moyens dispose le BND ? 

Les moyens humains et financiers du BND sont comparables à ceux de la DGSE en France. C'est à dire - compte tenu des populations respectives - deux fois moins que les Britanniques et dix fois moins que les Américains ou les Russes…

Depuis la Guerre froide, la NSA et le BND travaillent étroitement ensemble. Quelle est la nature précise de leur collaboration ? Peut-on penser que la NSA manipule le BND ?

Le BND est plutôt l’équivalent de la CIA que de la NSA. Il est clair que pendant la Guerre froide, l’Allemagne et le secteur centre Europe étaient l’objectif prioritaire des services soviétiques qui disposaient dans leurs manœuvres de l’appui précieux des Allemands de l’Est et profitaient de l’agressivité des euroterroristes. Une étroite collaboration s’est donc établie pendant plus de quarante ans entre services alliés du Pacte atlantique, en particulier entre les services allemands et les services américains.

Si les liens de confiance et d’amitié tissés pendant cette période demeurent forts, il n’en reste pas moins que l’époque a changé. L’Allemagne est devenue "l’homme fort de l’Europe", les pays de l’Est ne sont plus pour elle une menace mais un marché et ses objectifs divergent largement de ceux de l’allié américain fourvoyé dans des initiatives hasardeuses au nom d’une "guerre contre la terreur" mal comprise et mal menée.

Les services allemands - comme la plupart des services d’Europe occidentale - continuent de manifester une solidarité sans faille aux services américains sur les points cruciaux de sécurité, mais ce serait les prendre pour des imbéciles que de penser qu’ils seraient "manipulés" par la NSA ou toute autre agence de renseignement américaine.

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