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François-Xavier Oliveau publie « La crise de l’abondance aux éditions » de L’Observatoire.
François-Xavier Oliveau publie « La crise de l’abondance aux éditions » de L’Observatoire.
©Philippe HUGUEN / AFP

Bonnes feuilles

François-Xavier Oliveau publie « La crise de l’abondance aux éditions » de L’Observatoire. Des milliers de générations ont rêvé à notre pays de cocagne. Grâce au progrès technique, nous avons appris à mieux exploiter nos terres, à accéder à l'instruction et à inventer la société de consommation et de loisirs. Mais cette abondance provoque une triple crise : de la planète, de l'argent, de l'Homme. Extrait 1/2.

François-Xavier Oliveau

François-Xavier Oliveau

François-Xavier Oliveau accompagne les entreprises dans leur transition écologique, à la fois en capital et sur le plan opérationnel. Il vient de publier La crise de l'abondance aux Editions de l'Observatoire. Il y interroge l'invraisemblable paradoxe d'une société plus riche que jamais mais traversée de crises majeures. Après avoir décrit le mécanisme d'innovation et de baisse permanente des prix qui nous donne accès à l'abondance, il propose des solutions concrètes pour maîtriser cette abondance. Son premier essai, Microcapitalisme (PUF, 2017, collection Génération Libre) a obtenu le prix du jury du comité Turgot. Il a enfin publié en avril 2019 une étude avec l'Institut Sapiens sur les impacts entre technologie, prix et monnaie, Pour la Création d'un dividende monétaire.

François-Xavier Oliveau accompagne les entreprises dans leur transition écologique, à la fois en capital et sur le plan opérationnel. Il vient de publier La crise de l'abondance aux Editions de l'Observatoire. Il y interroge l'invraisemblable paradoxe d'une société plus riche que jamais mais traversée de crises majeures. Après avoir décrit le mécanisme d'innovation et de baisse permanente des prix qui nous donne accès à l'abondance, il propose des solutions concrètes pour maîtriser cette abondance. Son premier essai, Microcapitalisme (PUF, 2017, collection Génération Libre) a obtenu le prix du jury du comité Turgot. Il a enfin publié en avril 2019 une étude avec l'Institut Sapiens sur les impacts entre technologie, prix et monnaie, Pour la Création d'un dividende monétaire.

Les opinions exprimées dans ses articles n'engagent que lui.

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Car l’abondance n’évite pas les crises. La crise économique et sociale déclenchée par la pandémie de Covid-19 s’inscrit dans des déséquilibres de plus long terme. La croissance économique s’est faite au prix d’une explosion continue et incontrôlable de la dette, accentuée par la crise. Les inégalités de patrimoine se sont fortement creusées. La numérisation de l’économie fait planer une menace de long terme sur nos emplois. Les tensions géopolitiques s’accumulent. Les États-Unis et la Chine sont en concurrence ouverte pour la première place mondiale. Le Royaume-Uni fait sécession de l’Europe. Au Moyen-Orient, les tensions se cristallisent autour du pétrole. Et le réchauffement de la planète fait peser une menace mortelle sur nos civilisations.

L’abondance ? Pas pour les électeurs de Donald Trump, ni pour les Brexiters de l’Angleterre industrielle, ni pour les Gilets jaunes français ; ni, enfin, pour toutes les victimes de la crise de 2020, avant tout les plus précaires et les plus fragiles. Quel invraisemblable paradoxe ! D’un côté, des tendances de long terme inscrites dans les chiffres, qui démontrent une amélioration constante et indiscutable de nos conditions de vie. De l’autre, des crises tout aussi indiscutables – politique, environnementale, sociale, financière.

Le paradoxe n’est qu’apparent. Car l’abondance elle-même est à la source de nos crises. Autrefois, nous mourions de faim. Aujourd’hui, dans le monde, on meurt trois fois plus d’obésité que de malnutrition. Le tabac et l’alcool tuent vingt fois plus d’humains que la faim. Trop de graisses, de sucres, de tabac, d’alcool. « Trop » tue plus que « pas assez ».

Autrefois, nous mourions de froid. Aujourd’hui, nous produisons, roulons, volons, chauffons, bref nous dépensons une énergie folle, au point de réchauffer la planète. Trop de dioxyde de carbone.

Autrefois, nous ne possédions pas grand-chose. Aujourd’hui, nos déchets polluent l’atmosphère, les sols, les forêts, les rivières et les océans. Ils provoquent allergies et affections respiratoires et réduisent notre temps de vie. Trop de déchets, de gaz soufrés, de particules fines. Trop de rejets.

Autrefois, nous nous battions pour un or rare. Aujourd’hui, les marchés financiers croulent sous les liquidités. Elles font monter à l’infini la valeur des biens immobiliers et des actions, creusent les inégalités de patrimoine, pénalisent l’accès à la propriété. Trop de dette, trop de monnaie.

On pourrait multiplier les exemples. L’abondance est une chance historique qui nous a permis de sortir de la misère ; mais elle crée de nouveaux problèmes. Des « problèmes de riches », certes. Mais de vrais problèmes. Notre ancien « problème économique », celui qu’évoque Keynes, a bien disparu comme il l’annonçait. Depuis la nuit des temps, il s’agissait d’allouer des ressources rares et insuffisantes. Ces ressources étaient la nature et la terre, la force de travail de l’homme, enfin le capital productif – outils, charrues, bâtiments, silos. Comment fallait-il les utiliser au mieux pour survivre, puis pour produire le maximum de biens et de services ?

Ces ressources sont désormais abondantes ; mais cette abondance n’est pas qu’une chance. Elle apporte aussi de nouvelles crises. La première crise de l’abondance est celle de la Terre. Notre système économique a abouti à cet incroyable et mortel paradoxe : rendre abondantes des ressources finies. Loin de se raréfier et renchérir comme beaucoup l’annonçaient, les matières premières n’ont jamais été aussi bon marché. Annoncé comme épuisé depuis des décennies, le pétrole bat des records de prix à la baisse. Nous consommons massivement des hydrocarbures et des matières premières, au détriment de nos écosystèmes. Ces océans apparemment infinis contiendront autant de plastique que de poissons dans trente ans. Cet air que nous respirons stocke des gaz à effet de serre qui transforment notre planète en four. Ces sols sont endommagés et pollués par la façon dont nous les exploitons. Ces espèces qui sont sur Terre depuis toujours sont menacées par les impacts de nos productions. Les prophètes de la rareté se trompent depuis des décennies. Hélas, pourrait-on dire. Car les pluies acides, le trou dans la couche d’ozone, les pollutions au soufre ou aux particules fines, le réchauffement climatique, bref, toutes les crises de l’environnement sont la conséquence de notre surconsommation, de cette abondance que nous avons su créer.

La deuxième crise est celle de l’argent. Déversé à flots dans l’économie, il est aujourd’hui presque gratuit, avec des taux d’intérêt nuls ou négatifs. Le monde n’a jamais été aussi endetté : sa dette représente presque quatre années de production de richesse. Bien que nous sortions d’une décennie de croissance, les dettes publiques sont plus élevées qu’en 1945, après six ans de guerre mondiale. Nous sommes tous endettés. Entre la dette des États qui pèse sur le citoyen, le prêt étudiant qu’on rembourse pendant des décennies, l’emprunt immobilier qui peut désormais s’étaler sur trente ans et les multiples tranches de dettes portées par l’entreprise, nous vivons à crédit. Or quand la dette et donc l’argent se déversent dans une économie, le prix des actifs – actions et immobilier – monte. La richesse de ceux qui possèdent augmente mécaniquement. Mais les classes moyennes des pays occidentaux constatent la baisse de leur pouvoir d’achat : les salaires stagnent et les loyers augmentent, poussés par la hausse de l’immobilier. Abondant mais mal distribué, l’argent creuse paradoxalement les inégalités.

La troisième crise de l’abondance est celle de l’Homme, de sa place dans la société par le travail. Essor de l’indépendance, multi-activité, télétravail, évolution technologique bouleversent déjà notre vision classique et linéaire des idées de métier et de carrière. Mais les mutations qui s’annoncent sont plus profondes encore. Les robots et l’intelligence artificielle constituent une nouvelle force de travail sans limites, bon marché et qui ne dort jamais. Ces esclaves mécaniques nous promettent d’infinies richesses, mais aussi une crise immense. Car la promesse de l’ère de la croissance, c’était la « valeur travail » : travaille et tu t’enrichiras. Que devient cette promesse si les robots innombrables nous concurrencent en faisant mieux pour moins cher ? Comment allons-nous vivre ? Comment allons-nous allouer les richesses produites ? La peur de la fin du travail fait aussi émerger la question morale pressentie par Keynes : quel est le sens de nos vies si le travail nous est ôté ? Aujourd’hui, il nous procure un statut social, une raison d’exister face à nos pairs. Mais demain, ce sera quoi ? Ces machines et ces robots, promis en abondance, nous libèrent et nous épouvantent tout à la fois. La crise du travail qui s’annonce est à la fois économique et morale. Sur ces deux plans, elle est terrifiante. Trois crises majeures.

Trois crises simultanées, aux enjeux immenses. Faute de mieux utiliser les ressources, nous risquons de détruire notre planète. Faute de maîtriser la création de l’argent, nous risquons de continuer à déstabiliser l’économie et la société. Faute de comprendre la crise du travail, nous risquons de faire basculer une frange entière de la population dans le déclassement et la révolte. Nos problèmes de riches sont à deux doigts de nous tuer.

Extrait du livre de François-Xavier Oliveau, "La crise de l’abondance", publié aux éditions de L’Observatoire

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