Justice pour les mineurs : réécrire l'ordonnance de 1945 traduit un incroyable retard idéologique<!-- --> | Atlantico.fr
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Pour la justice des mineurs, le principe du primat éducatif repose sur l’ordonnance de 1945.
Pour la justice des mineurs, le principe du primat éducatif repose sur l’ordonnance de 1945.
©Reuters

Résolutions fermes

La ministre de la Justice Christiane Taubira présentera à l'été 2016 son projet de réforme de la justice des mineurs, dans la lignée de l'ordonnance de 1945. Ou comment une fois de plus passer à côté d'une vraie réforme dont on ne peut plus faire l'économie.

Alexandre Giuglaris

Alexandre Giuglaris

Alexandre Giuglaris est délégué-général de l’Institut pour la Justice.

 

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Atlantico : Depuis 1945, la justice des mineurs en France met toujours en avant l'aspect éducatif plutôt que répressif des institutions pénitentiaires pour mineurs, et aucune réforme n'a jamais remis ce principe en question. Pourtant, il ne semble pas avoir fait ses preuves au vu des chiffres sur la délinquance des mineurs. Comment expliquer que la justice française s'accroche à une ordonnance qui semble complètement dépassée ?

Alexandre GiuglarisLe principe du primat éducatif repose sur l’ordonnance de 1945, mais pas seulement. La France est signataire de conventions internationales qui imposent de traiter les mineurs différemment des majeurs, et cela me paraît un principe nécessaire et de bon sens. Mais tout est une question de proportion. Il est plus que temps de cesser d’opposer les volets éducatif et répressif. Lorsque l’on punit son propre enfant, c’est pour son éducation. Pourquoi refuser aux mineurs délinquants, qui pour certains ont besoin de repères et d’encadrement, les mêmes principes qu’à ses propres enfants ?

Mais pour revenir à votre question, je vois deux impératifs en matière de justice des mineurs. Il faut supprimer cette ordonnance de 1945 et créer un code pénal des mineurs qui s’intéressera à ces questions avec beaucoup plus de pragmatisme. Car en effet, le deuxième impératif est de sortir de l’idéologie. La justice des mineurs se meurt d’un militantisme qui a pu conduire certains magistrats à revendiquer ouvertement le fait de ne pas appliquer certaines réformes ou textes avec lesquels ils étaient en désaccord. 

Aux Etats-Unis, mais aussi au Japon ou en Angleterre, le choix d'une justice répressive a été adopté avec des résultats concluants, notamment sur la récidive. Pourquoi est-il difficile en France de proposer une justice plus répressive?

Je crois que le frein principal à une justice plus pragmatique (car la répression n’est pas et ne doit pas être la seule réponse) est l’idéologie et le manque d’intérêt ou le rejet de ce qui se fait chez nos voisins comme, par exemple, au Canada. L’école de la défense sociale, car il s’agit de ce courant, considère toujours le condamné ou le mis en cause comme une victime de la société. Cette conception est dangereuse : Frédéric Carteron, qui a été longtemps juge pour enfants au tribunal pour enfants de Pontoise, l’un des plus grands de France, souligne le fait que le discours qui excuse les délinquants est contre-productif pour le développement d’un mineur délinquant car aucune personnalité, responsable et consciente de ses actes délictuels ou criminels, ne peut se construire sur l’excuse.

Un autre exemple concret de cette idéologie dangereuse et inefficace est celle qui consiste à vouloir donner du temps au mineur délinquant pour s’amender… C’est exactement le contraire qu’il faut faire, en favorisant une réponse judiciaire extrêmement rapide. En Californie, par exemple, le mineur est généralement jugé dans les 15 jours. En France, ce délai est de 6 mois à 4 ans et le projet de Madame Taubira voudrait encore allonger ces délais en rendant obligatoire une césure du procès sous prétexte de mesurer les efforts de réinsertion et la sortie de la délinquance. C’est, là aussi, dangereux, car le rapport au temps des mineurs n’est pas du tout celui des majeurs, et cela entretiendra par ailleurs un sentiment d’impunité déjà largement répandu aujourd’hui.

En effet d'ici l'été 2016, la garde des Sceaux, Christiane Taubira, devrait présenter les bases d'une nouvelle réforme sur la justice des mineurs, à laquelle elle semble très attachée. Quelles seront les grandes lignes de ce projet et vous semblent-elles à la mesure des enjeux posés par la délinquance des mineurs en France ?

L'une des mesures phares est donc la création de cette césure du procès des mineurs à laquelle nous sommes défavorables. La suppression des tribunaux correctionnels pour mineurs récidivistes âgés de 16 à 18 ans risquant plusieurs années de prison est également actée. Voilà encore une décision idéologique prise pour annuler ce qui a pu être fait sous Nicolas Sarkozy.

Il a également été question de fixer à 13 ans un âge d’irresponsabilité pénale. C’est une mauvaise idée car la délinquance des mineurs a changé depuis 1945 et l’on voit aujourd’hui des réseaux mafieux instrumentaliser des mineurs pour commettre des délits. Veut-on les laisser agir en toute impunité ? C’est irresponsable. Enfin, confier le suivi de mineurs délinquants à des juges pour enfants jusqu’à 21 ans est un non-sens et une déresponsabilisation coupable. C’est d’autant plus étonnant que le gouvernement a envisagé de porter l’âge de vote à 16 ans aux élections locales. Donc on serait assez mûr et responsable pour voter à 16 ans mais il faudrait bénéficier de la clémence de la justice des mineurs quand on commet des crimes et des délits jusqu’à 21 ans ? C’est inacceptable en plus d’être incohérent. 

Quelles seraient selon vous les pistes à explorer pour parvenir à encadrer les mineurs délinquants français ?

Il y a trois enjeux majeurs : la rapidité, la fermeté et le suivi. Les statistiques de la chancellerie sont claires : plus on agit jeune, plus on risque de récidiver et plus on le fera rapidement. L’urgence est donc de réagir au plus vite et certainement pas de "laisser du temps au temps" comme je vous le disais. L’objectif doit être de juger un délit dans un délai d’un mois maximum. Cela passe par une réforme des procédures, l’embauche de greffiers et de magistrats et le recentrage des missions du juge des "mineurs" (qu’il conviendrait de nommer ainsi et non juge "des enfants" comme aujourd’hui) et le fait de confier aux services sociaux ce qui dépend de leurs attributions. N’en déplaise aux tenants de la harangue d’Oswald Baudot, dont se réclame le Syndicat de la Magistrature, les juges pour mineurs ne sont pas des assistantes sociales ou des éducateurs. Cessons de confondre les rôles et de dissoudre les responsabilités. Concernant la fermeté, il faut maintenir les tribunaux correctionnels pour mineurs récidivistes, sanctionner les parents défaillants dans l’accompagnement scolaire de leurs enfants (je pense aux sanctions concernant les allocations familiales supprimées en 2013), augmenter le nombre de centres éducatifs fermés comme l’avait promis François Hollande, sans tenir cette promesse.

Enfin, la prévention doit être renforcée. La détection la plus rapide possible doit être faite sur les enfants en difficulté scolaire ou aux comportements suspects pour permettre d’accompagner et d’aider efficacement les familles en difficulté. Il faut également développer les travaux d’intérêt généraux et s’assurer que les mineurs délinquants soient suivis et encadrés sur des temps longs par la justice. Il ne faut pas oublier par ailleurs que l’accompagnement, notamment psychologique, des victimes (mineures) doit absolument être amélioré. Nous regrettons que cela semble, une nouvelle fois, un angle mort des propositions de la chancellerie…

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