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Journées du Patrimoine : circulez, il n'y aura bientôt plus rien à voir
©REUTERS/Jacky Naegelen

Urgence culturelle, trésors en péril

Pour Christian Combaz, la protection du patrimoine sera bientôt dévolue dans la plupart des cas, aux termes de la loi Pellerin, à ceux qui décident localement des charcutages fonciers et qui servent des intérêts souvent privés.

Christian Combaz

Christian Combaz

Christian Combaz, romancier, longtemps éditorialiste au Figaro, présente un billet vidéo quotidien sur TVLibertés sous le titre "La France de Campagnol" en écho à la publication en 2012 de Gens de campagnol (Flammarion)Il est aussi l'auteur de nombreux ouvrages dont Eloge de l'âge (4 éditions). En avril 2017 au moment de signer le service de presse de son dernier livre "Portrait de Marianne avec un poignard dans le dos", son éditeur lui rend les droits, lui laisse l'à-valoir, et le livre se retrouve meilleure vente pendant trois semaines sur Amazon en édition numérique. Il reparaît en version papier, augmentée de plusieurs chapitres, en juin aux Editions Le Retour aux Sources.

Retrouvez les écrits de Christian Combaz sur son site: http://christiancombaz.com

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Voici revenu le temps des annonces triomphales selon lesquelles les journées du Patrimoine recueillent un intérêt sans cesse accru qui se traduit par une fréquentation en hausse constante. Les gens se montent littéralement les uns sur les autres pour entrer au musée Guimet, à l'Hôtel Matignon, au fort de Brégançon. Cet engouement est largement commenté et filmé par un personnel médiatique assez docile, habitué à ces sujets obligatoires et qui nous les inflige avec un entrain de plus en plus mou. L'exercice passe par le trottoir de l'Elysée où les gens attendent depuis quatre heures du matin. Ensuite direction la cour du château de Fontainebleau ou celle de Versailles. Les caméras éviteront de montrer les sujets qui fâchent comme la fameuse trompette rouillée de dix mètres de haut couverte d'inscriptions qui défigure la perspective de Lenôtre et qui témoigne que le bien culturel commun sert de paillasson à la plus grossière finance artistique internationale pendant que nos caisses sont vides et que nos églises sont en ruines.

De l'avis même des fonctionnaires dissidents du Ministère de la Culture, dont le nombre grossit à chaque circulaire de Fleur Pellerin ce fameux chiffre de fréquentation à la hausse est un coup de com' périodique comparable à ceux que pratiquaient les responsables des plans quinquennaux soviétiques en matière de production de blé ou d'avoine. Les chiffres sont livrés à la presse avant même que quiconque ait relevé les compteurs. L'autosatisfaction représente la garantie du maintien du budget pour l'année suivante, donc le délire ne connaît plus de limites. On a l'impression que la France, toutes affaires cessantes, vient faire la queue partout par amour des pierres et des bronzes antiques. Par le même principe d'autocélébration le million de visiteurs de la première année du Mucem à Marseille incluait les promeneurs venus voir la terrasse. L'an prochain les gens qui lèvent les yeux sur le bâtiment en passant dans le quartier seront comptabilisés comme visiteurs.

Pourquoi cet optimisme volontaire, balisé, recommandé ? Pour masquer un désastre en cours. Même Jack Lang, qui prétend avoir inventé ces fameuses journées, commence à s'émouvoir de l'effondrement de toute notion de protection patrimoniale sous la direction béotienne et évaporée de Fleur Pellerin. Non contente de parler et de diffuser un sabir administratif qui est la négation même de sa mission de protection du langage, de se dispenser de vanter au monde les mérites de notre littérature le jour du prix Nobel de Modiano, d'être incapable de nommer les auteurs des tableaux qui ornent son bureau (cf. un reportage récent de Canal Plus où elle plane littéralement au dessus des contingences, ne sait pas se servir de son téléphone, ne sait pas allumer la télévision, découvre les bibelots un an après sa prise de fonction) elle court après des lubies comme la copie privée ou la taxe sur les cartouches d'encre et flatte le « spectacle vivant » pendant que ses services préconisent la pose de filets de protection dans les églises faute de pouvoir entretenir les corniches. C'est un peu comme quelqu'un qui sauverait un bronze de vingt centimètres et qui regarderait, amoureusement, sa statuette préférée pendant que le château brûle.

La loi qui rassemble toutes les missions de protection du patrimoine sous l'expression idiote de « cité historique » et qui ne s'applique à aucun monument situé en rase campagne (comme Chambord) a pour objet de transférer l'entretien et la préservation des biens historiques aux communes, lesquelles n'ont souvent ni le niveau de compétences nécessaire, ni le souci du bien commun quand il est culturel et qu'il y a de l'argent en jeu. La réforme qui est en route tend à conférer au Plan Local d'Urbanisme le pouvoir de décider des périmètres de protection. Tous les propriétaires qui ont eu affaire à un PLU voté à la va-vite, monté par un cabinet d'études hors de prix, et approuvé par un enquêteur public qui a besoin de lunettes savent très bien que la délégation aux communes est un désastre pour le patrimoine. Le PLU dans nombre de cas est une offense à la simple égalité des citoyens devant la loi car il écrase les intérêts des uns pour servir ceux des autres avec la complicité des banques et des entrepreneurs locaux qui n'hésitent pas à se faire élire au conseil. Contre un conseil municipal qui multiplie les irrégularités de procédure et les erreurs de jugement, surtout dans le cas de communes minuscules ou la qualité du personnel en matière culturelle est plus que douteuse, il faut compter quatre ans de procédure coûteuse et difficile.

Comment je le sais ? J'en sors, à peine, vainqueur aux dépens de ma commune,  mais les bâtiments construits ne sont pas susceptibles d'être détruits même si le tribunal administratif donne raison au plaignant. Les forêts coupées, les terrains aplanis à la dynamite en zone de protection naturelle ne font l'objet d'aucune obligation de replantation. Les conclusions du tribunal administratif vous permettent tout juste de rentrer dans vos frais de justice .  Le mal est fait, dans le cas du voisinage d'une abbaye  l'atteinte au patrimoine est entérinée. C'est dire que grâce à Mme Pellerin, nous allons voir se multiplier les lotissements autour des châteaux, des églises, des hôtels particuliers, d'autant que les promoteurs sont friands de ce genre de voisinages qui "ajoutent un plus".

Il restera aux amoureux du patrimoine la ressource de se précipiter dans les zones ultra-protégées comme Rocamadour mais pour la plupart des lieux ordinaires semés de joyaux, le « circulez, il n'y a plus rien à voir » est déjà programmé.



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