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Journée du paludisme : mais en fait, où en est la France du retour des moustiques infectés avec le réchauffement climatique ?
©Hugh Sturrock, Wellcome Images, Flickr, cc by nc nd 2.0

Journée mondiale de lutte contre paludisme

Pour la première fois depuis trois ans le paludisme est en recrudescence. Un danger pour l'Afrique, où la maladie prolifère essentiellement, mais également pour d'autres pays.

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet est médecin des hôpitaux au CHU (Hôpitaux universitaires) de Strasbourg, chargé d'enseignement à l'Université de Strasbourg et conférencier.

 

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Atlantico : En 2016, on a dénombré 216 millions nouveaux cas de paludisme selon l'OMS, ayant causé 445 000.décès. Si cette maladie touche essentiellement l'Afrique aujourd'hui, quel est le risque qu'elle réapparaisse dans les pays du Nord, et notamment en France ?

Stéphane Gayet : Le paludisme fait partie des maladies à vecteur ou vectorielles. Son agent infectieux est un parasite microscopique unicellulaire, le plasmodium ; son vecteur est un moustique, l'anophèle. Avec les maladies à vecteur, nous avons affaire à un mode de transmission bien particulier, étant donné que les agents infectieux utilisent un arthropode (un insecte ou un arachnide) pour assurer leur transmission d’un individu à un autre. En règle générale, le vecteur est à la fois indispensable et spécifique, ne pouvant être substitué. Beaucoup de ces maladies infectieuses, qu’elles soient humaines ou animales, concernent des pays tropicaux, mais plusieurs d'entre elles sont peu ou prou présentes en Europe occidentale (infection à virus West Nile, encéphalite à tique, fièvres à phlébotome, leishmanioses, fièvre catarrhale ovine, rickettsioses, babésioses, maladie de Lyme, dengue, chikungunya...).

Sur le plan épidémiologique (fréquence et répartition des maladies), les systèmes vectoriels sont constitués de trois principaux éléments biologiques (l’agent infectieux, le vecteur et le vertébré hôte) qui ont des relations étroites entre eux ainsi qu'avec l’environnement. Ce sont de ce fait des systèmes épidémiologiques complexes, dont le fonctionnement demeure incomplètement connu. On comprend qu’ils soient sensibles aux changements de l'environnement, en particulier aux variations climatiques. Une modification durable du climat peut théoriquement affecter chacun des trois composants du système vectoriel, soit de façon directe, soit indirectement par action sur l’écosystème au sein duquel ils vivent.

De nombreuses régions d’Europe étaient autrefois impaludées, cela depuis le néolithique (période préhistorique la plus récente de l'âge de pierre). L’endémie européenne de paludisme a été éradiquée au début du XXe siècle, sans pour autant qu'il y ait eu une disparition du vecteur. L’élimination du paludisme en Europe n'a pas été liée non plus à des modifications climatiques, mais aux progrès accomplis dans les domaines socioéconomique et sanitaire. Il faut insister sur ce point : les anophèles sont bien présents en Europe. Mais il manque trois facteurs clé pour qu'une endémie palustre puisse s'y réinstaller. En premier, une population suffisante de personnes impaludées, auprès desquelles les anophèles femelles pourraient s'infester par un "repas sanguin". En deuxième, la présence de nombreux réservoirs d'eau douce stagnante près des habitations. En troisième, une température ambiante favorable au développement rapide des anophèles à partir des œufs pondus dans l'eau. Les deux premiers facteurs sont indépendants du climat, mais sont liés à l'état sanitaire et à la salubrité de la région concernée. Le troisième est proprement climatique. C'est lorsque les trois conditions sont remplies que l'on observe une forte endémie, telle qu'en Afrique subsaharienne et dans plusieurs pays d'Asie du Sud-Est.

Si le réchauffement climatique devait se poursuivre en Europe occidentale, le troisième facteur deviendrait plus favorable et le niveau de risque augmenterait. Toutefois, les deux premiers facteurs seraient en principe contrôlés : la population de personnes impaludées, par une prise en charge médicale précoce et efficace ; les réservoirs d'eau douce stagnante près des habitations, par le respect de consignes relevant d'un règlement sanitaire national et plus simplement de règles de vie. En somme, le réchauffement climatique pourrait faire craindre un retour du paludisme en Europe occidentale, mais le niveau médical, sanitaire et de salubrité des pays industrialisés concernés s'y opposerait. En outre, les anophèles européens ne seraient peut-être pas de bons vecteurs pour des souches plasmodiales tropicales qui ne leur seraient pas adaptées.

Selon vous, les efforts de recherche sont-ils suffisants pour espérer un vaccin, ou un traitement suffisamment efficace permettant d'atténuer les effets du paludisme ?

Le Roll back malaria (RBM) partnership (en français : le partenariat pour faire reculer le paludisme) est une structure mondiale visant à mettre en œuvre une action coordonnée contre le paludisme. Il est constitué de plus de 500 partenaires : les pays touchés par cette maladie et leurs partenaires de développement, des organisations non gouvernementales (ONG), des fondations et des institutions universitaires et de recherche ainsi que des organismes privés. Le partenariat RBM a été lancé en 1998 par l'Organisation mondiale de la santé (OMS), le Fonds d'urgence des Nations unies pour l'enfance (UNICEF), le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) et la Banque mondiale, avec la volonté de fédérer de façon synergique les efforts mondiaux contre le paludisme pour le faire enfin reculer d'une façon décisive.

Depuis la création du Roll back malaria (RBM) en 1998, de remarquables progrès ont été réalisés concernant la lutte mondiale contre cette maladie. Plus de 4,3 millions de décès ont pu être évités dans le cadre du Plan d’action mondial contre le paludisme 2008-2015. Mais ces progrès restent fragiles et répartis inégalement dans le monde. De plus, la résistance aux antipaludéens et aux insecticides augmente d'une façon préoccupante et c'est un sérieux frein à la poursuite des progrès déjà accomplis. Le dernier plan d'action est intitulé Action et Investissement pour vaincre la malaria (AIM) : pour un monde sans paludisme 2016-2030. Les objectifs de ce plan sont une réduction des taux de mortalité et d’incidence (taux de nouveaux cas par an) liés au paludisme de 90 %, l’élimination de la maladie dans au moins 35 pays de plus (par rapport à 2015) d’ici 2030 et l'empêchement de sa réapparition dans tous les pays déjà exempts de paludisme. L'atteinte de ces objectifs coûtera 101,8 milliards de dollars US et 673 millions de dollars US supplémentaires seront nécessaires chaque année pour financer la recherche et le développement. Plus de 10 millions de vies devraient être ainsi sauvées.

Quelles actions concrètes va comporter ce plan pour atteindre ses objectifs ? Il n'est pas question d'espérer un quelconque remède miraculeux, mais de plus et mieux utiliser les moyens déjà disponibles, qui ne manquent pas. Car les concepteurs de ce plan en sont arrivés à cette conclusion que notre monde actuel avait les moyens scientifiques, techniques et humains nécessaires au contrôle de ce fléau mondial qu'est le paludisme, mais que ce sont surtout la volonté et la coordination mondiale qui avaient jusqu'à présent manqué.

Et qu'en est-il des espoirs de vaccin ? Il y a déjà eu dans le passé plusieurs tentatives de mise au point de vaccin. Aujourd'hui, le RTS-S/AS01 est porteur d'un réel espoir. Il s'agit d'un vaccin en cours d'élaboration dans le cadre d'un partenariat entre les laboratoires GlaxoSmithKline Biologicals et "l'Initiative vaccin contre la malaria" (MVI), qui est le projet d'une organisation privée à but non lucratif (ONG) spécialisée dans l'innovation en santé publique et intitulée PATH (la voie, le chemin). Ce vaccin est dirigé uniquement contre Plasmodium falciparum, l'espèce la plus dangereuse et la plus résistante ; il ne cible donc pas Plasmodium vivax, la deuxième espèce fréquente avec falciparum. Si ce vaccin était commercialisé, ce serait le premier vaccin antiparasitaire : en effet, tous les vaccins actuellement commercialisés sont soit antiviraux, soit antibactériens (ou antitoxine).

Quels sont les autres grands problèmes sanitaires (bactéries, virus…) induits par les changements climatiques ? Dans la mesure où les projections sur les changements climatiques à moyen et long terme montrent une augmentation constante, quels seraient les risques sanitaires à venir ?

En France métropolitaine en 2016, le risque de dengue et de chikungunya s'est avéré dans le sud de la France, comme l'indiquent les données épidémiologiques. Depuis 2006, année durant laquelle une importante épidémie de chikungunya a touché les îles de l’océan Indien et notamment la Réunion, le risque d’émergence de dengue et chikungunya en France métropolitaine est surveillé. Une flambée épidémique de chikungunya a touché près de 300 personnes dans la région italienne d’Émilie Romagne lors de l’été 2007. Un foyer autochtone de chikungunya est survenu à Montpellier en 2014. Des cas importés et autochtones de dengue et chikungunya surviennent de façon récurrente entre mai et novembre en France métropolitaine. Ces différents exemples confirment la possibilité de survenue de ces arboviroses (maladies liées à des arbovirus : virus transmis par des arthropodes hématophages, comme les moustiques) tropicales en France métropolitaine.

Ce risque concerne en France principalement le littoral méditerranéen, zone où le vecteur Aedes albopictus (moustique tigre) est maintenant implanté. Sa présence expose au risque de transmission autochtone de ces arboviroses, cela en raison de l’introduction des virus de la dengue et du chikungunya par des voyageurs infectés lors d'un séjour dans les zones de circulation de ces virus. Ce risque progresse d’autant plus que le moustique tigre augmente régulièrement son aire géographique d’implantation et que l'importation de virus en provenance de zones tropicales progresse également du fait de l'accroissement des voyages. Le changement climatique et la multiplication des échanges internationaux de personnes et de biens sont aussi des facteurs favorables à l’introduction de ces virus en France métropolitaine.

La dengue et le chikungunya sont des maladies virales invalidantes, pour lesquelles il n’existe pas de traitement curatif ; la surveillance et la prévention sont donc tout à fait primordiales. Parmi les arboviroses tropicales, ce sont donc deux menaces bien réelles pour les pays tempérés de l’Europe méridionale, dont la France. Mais ce ne sont pas les seules maladies virales à transmission vectorielle à risque d’émergence dans le sud de la France. On peut citer : l'infection à virus du West-Nile ou virus du Nil occidental (le virus peut être transmis par des moustiques présents dans le sud de la France ; l’infection chez l’homme est souvent asymptomatique, mais 20 % des personnes infectées présentent un syndrome grippal et environ un cas sur 150 développe une forme plus sévère de la maladie avec une atteinte neurologique) ; l'infection à virus Toscana (le virus peut être transmis dans le pourtour méditerranéen par les piqûres de phlébotomes - petits moucherons "coupeurs de veine" -; parfois asymptomatique, l’infection à virus Toscana peut être responsable d’un syndrome pseudo-grippal, mais aussi de méningites et plus rarement d’encéphalites) ; l'infection à virus Zika (virus proche de ceux de la dengue et de la fièvre jaune ; il est transmis par le moustique tigre ; dans 70 à 80% des cas, la maladie est asymptomatique, mais des complications neurologiques de type syndrome de Guillain-Barré ainsi que des microcéphalies et des anomalies du développement cérébral intra-utérin ont été décrites).

Par ailleurs, le changement climatique semble avoir un effet important sur la répartition d'Ixodes ricinus (tique vectrice de maladies, dont la borréliose de Lyme et l'encéphalite à tique), principalement aux zones limites de son aire de répartition. Une surveillance des populations d’Ixodes ricinus et de la prévalence des agents pathogènes chez cette espèce est recommandée, afin de pouvoir adapter les mesures de prévention et anticiper les éventuelles évolutions de l’épidémiologie de ces maladies. Ainsi, le climat constitue un déterminant important de la modification de la distribution des vecteurs et des agents pathogènes qui leur sont associés. Toutefois, l’impact d’autres modifications (développement socio-économique, urbanisation, modifications paysagères et d’utilisation des sols, globalisation des voyages et du transport de marchandises…) apparaît dans de nombreuses situations, comme plus important que le changement climatique. Il faut donc retenir que le changement climatique n’est qu’un déterminant parmi d’autres dans l’émergence d’un vecteur ou d’une maladie infectieuse.

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