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Journée de la santé bucco-dentaire : pourquoi prendre soin de votre bouche vous protège de beaucoup plus de choses (graves) que des caries
©Reuters

Faites AAAAAhhhhh

Ce dimanche, c'est la journée de la santé bucco-dentaire. L'occasion de rappeler chaque année combien il est important de prendre soin de sa bouche et de ses dents pour éviter les caries. Ce que l'on dit moins, c'est que cela permet aussi d'éviter d'accroître le risque de maladies graves.

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet est médecin des hôpitaux au CHU (Hôpitaux universitaires) de Strasbourg, chargé d'enseignement à l'Université de Strasbourg et conférencier.

 

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Atlantico : Lorsqu'on parle de santé bucco-dentaire, on parle essentiellement de caries. Or, plusieurs études ces dernières années ont montré que des problèmes d'hygiène bucco-dentaire pouvaient avoir des conséquences beaucoup plus graves sur notre organisme. Dans quelle mesure ? 

Stéphane Gayet : Dans le cas d’une carie, c’est l’émail dentaire qui est attaqué. Il s’agit d’une substance très dure et inerte qui ne comporte aucun vaisseau sanguin. Cette partie périphérique de la dent qui n’est pas vascularisée n’a de ce fait aucune relation possible avec le reste de notre corps. Une carie non compliquée reste donc une atteinte strictement locale.

En revanche, dès que le processus de destruction gagne en profondeur la pulpe dentaire ou atteint les tissus qui entourent la dent - et que l’on appelle le parodonte -, le foyer infectieux se trouve en relation avec le reste du corps par l’intermédiaire des vaisseaux sanguins. De fait, dès l’instant où des bactéries (microbes) se trouvent au contact d’un vaisseau sanguin, même minuscules, elles peuvent voyager dans l’ensemble du système vasculaire et se retrouver ainsi dans n’importe quelle région de notre corps où elles peuvent débuter un nouveau processus infectieux, dont la gravité sera fonction de l’importance physiologique de l’organe atteint (cerveau, cœur, œil, foie, rate, articulations, os…).

Parmi les études précédemment évoquées, il y a notamment celle réalisée en 2013 par l'Université de l'Ecole Centrale de médecine et de dentisterie de Lancashire qui a conclu avoir trouvé dans le cerveau de personnes touchées par la maladie d'Alzheimer des bactéries d'origine gingivale et parodontale. D'autres études ont également révélé un lien entre les parodontites et certaines maladies cardiovasculaires, comme l'endocardite infectieuse. Comment ces liens entre la santé bucco-dentaire et des maladies comme Alzheimer ou celles du cœur se traduisent-ils ? Ces liens sont-ils surprenants ? 

Comme nous l’avons vu, une infection de la pulpe dentaire ou du parodonte peut théoriquement se propager à l’autre extrémité de notre corps et cela sans prévenir. Ce processus de dissémination est d’autant plus facile que les infections dentaires et parodontales évoluent souvent de façon lente et insidieuse, sans grande efficacité du système immunitaire sur leur contrôle. Cela s’explique en particulier par le type de bactéries en cause dans les foyers infectieux dentaires et parodontaux : il s’agit de bactéries peu agressives, de croissance plutôt lente et qui ne suscitent donc pas de réponse immunitaire énergique, à la différence de bactéries virulentes et rapides comme le staphylocoque doré.

On se rend compte à travers ce mécanisme qu’une infection lente est en réalité souvent plus redoutable qu’une infection aiguë. Schématiquement, une infection aiguë nous tue ou guérit. Une infection lente nous détruit à bas bruit sur des semaines ou des mois. Les dents et les parodontes constituent donc de bonnes portes d’entrée pour des infections lentes dans le reste du corps, qu’il s’agisse du cœur, du cerveau, des os, des articulations, du foie, des poumons, etc.

On connaît de fait, depuis plus de 30 ans, les manifestations pathologiques à distance d’un foyer infectieux dentaire. Elles ont d’abord été décrites à propos de maladies du cœur et de maladies des articulations. Dans le premier cas, à partir d’un foyer infectieux dentaire ou du parodonte, les bactéries gagnent les valves cardiaques et les infectent lentement : c’est le mécanisme de l’endocardite subaiguë ou lente, autrefois appelée endocardite d’Osler, et qui est particulièrement redoutable. Dans le deuxième cas, il pourrait s’agir, tantôt d’un mécanisme à nouveau directement infectieux, tantôt d’un mécanisme plutôt immunologique. Ces maladies sont donc connues depuis des décennies et les découvertes récentes ne viennent que compléter et parfaire leur connaissance.

S’agissant des découvertes effectuées dans le cerveau de personnes atteintes d'une maladie d’Alzheimer, il faut bien comprendre une chose : cette maladie est un drame pour de très nombreuses personnes et leur famille. Il en résulte que les investissements en matière de recherche sur la maladie d’Alzheimer sont colossaux, tant en crédits qu’en nombre de chercheurs engagés. De telle sorte qu’à force d’explorer le cerveau de personnes qui sont décédées de cette maladie et avec les moyens extrêmement performants dont on dispose aujourd’hui, on finit par y trouver un peu de tout : des métaux (plomb, mercure, cadmium, nickel, aluminium…), des bactéries, des virus, des dioxines, etc. Il n’y a pas de raison que cela s’arrête. On finira, et cela s’est déjà produit, par montrer l’existence d’une corrélation entre tel ou tel élément étranger et la maladie d’Alzheimer. Mais corrélation n’est pas lien de cause à effet et ces découvertes successives ne font qu’enrichir en le complexifiant l’immense chantier ouvert sur la maladie d’Alzheimer, jusqu’à ce que l’on découvre enfin sa ou plutôt ses véritables causes.

De quelle manière l'hygiène bucco-dentaire doit-elle être prise en compte dans la prévention contre ces maladies ? 

L’hygiène n’est pas la propreté, mais une spécialité médicale dont l’objet est la prévention des maladies. Quand on parle d’hygiène tout court, on sous-entend que l’on traite d’hygiène microbienne. L’implication de foyers infectieux dentaires et parodontaux dans la survenue de maladies graves située à distance de la bouche nous apprend ou plutôt nous confirme que la propreté bucco-dentaire est bien une mesure d’hygiène.

Contrairement à une opinion répandue, l’hygiène n’est ni facile, ni dépassée. Beaucoup de personnes la considèrent à tort comme facile, car ils la confondent avec le nettoyage et la propreté. Un grand nombre d’individus la considère à tort comme dépassée au motif que la médecine curative serait devenue tellement performante que l’hygiène n’aurait plus cours. Sans parler des scientifiques qui osent parler d’excès d’hygiène, lequel nous rendrait soi-disant fragiles. Au contraire, ces études viennent réhabiliter l’hygiène, s’il en était vraiment besoin.

Mais les habitudes de vie des plus jeunes d’entre nous sont aux antipodes d’une bonne hygiène bucco-dentaire. En grignotant à longueur de journée, en mangeant des confiseries et des aliments sucrés devant leur écran d’ordinateur, en buvant des boissons acides et sucrées, en considérant que le brossage des dents permet surtout d’avoir une denture présentable et une haleine fraîche, ils n’ont pas intégré les fondements et les pratiques d’une hygiène bucco-dentaire adaptée et efficace.

Alors, faut-il vraiment rappeler qu’il est nécessaire de se brosser complètement les dents après chaque repas, qu’il faut s’abstenir de manger entre les repas, qu’il faut consommer avec modération des confiseries, aliments sucrés et jus de fruits sucrés et acides, qu’il est très préjudiciable de prendre une confiserie avant de s’endormir et qu’il faut faire appel à un dentiste au moins une fois par an pour un contrôle systématique et un détartrage ? Oui, il est prouvé que l’hygiène bucco-dentaire contribue à préserver notre santé et c’est une bonne nouvelle, s’il s’agit vraiment d’une nouvelle.

Comment les pouvoirs publics doivent-ils communiquer pour nous informer plus efficacement sur les risques d'une mauvaise hygiène bucco-dentaire liés à d'autres maladies ? Tout le monde est-il concerné ou y-a-t-il des populations plus à risque ? 

Les Français ne sont pas les champions de la prévention en santé et les autorités sanitaires françaises ne sont pas expertes en communication sur la prévention en santé. Une accumulation de bévues telles que l’affaire du vaccin contre l’hépatite B et celle du vaccin grippal pandémique ont accentué la défiance des Français vis-à-vis des vaccins en particulier, mais aussi de bon nombre de mesures de prévention en général. Mais il est assez habituel d’opposer l’esprit germanique, plutôt discipliné et préventif, à l’esprit latin, plutôt rebelle et attentiste, et la population de la France n’est bien sûr pas homogène sur ce point…

Qui doit communiquer sur l’hygiène bucco-dentaire et comment le faire ? Le mot hygiène fait ringard, vieux jeu, has been. La tendance est au contraire à la prise de risques, aux excès en tous genres qui procurent des sensations et donnent le sentiment d’être branché, d’être dans le coup, dans son époque. Il faut repenser notre communication sur l’hygiène. Il faut trouver de nouvelles idées force qui amèneront les jeunes générations à y adhérer. Il paraît acquis que les discours culpabilisants ou effrayants n’ont que très peu d’impact.

Quant aux personnes concernées, ce sont surtout les enfants, adolescents et femmes enceintes, sans oublier les personnes âgées. Il y a aussi, bien sûr, tous les sujets fragiles et en particulier les immunodéprimés, ainsi que les personnes ayant une insuffisance hépatique ou rénale et celles qui souffrent d’une maladie du cœur, plus particulièrement celles qui ont une atteinte ou une prothèse des valvules cardiaques.

Pour terminer sur une note humoristique, les anatomistes nous apprennent que l’évolution de l’homme va dans le sens d’une réduction du nombre de ses dents. Par exemple, les molaires extrêmes appelées "dents de sagesse" tendent à disparaître. Ainsi, dans trois mille ans, l’espèce humaine n’aura peut-être plus aucune dent et les difficultés qui ont trait à l’hygiène bucco-dentaire seront alors enfin définitivement réglées.

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